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Centrafrique

Patassé sauvé par Kadhafi et Bemba

Apparemment, la «bataille de Bangui» a été remporté mercredi par le président Ange Patassé. Les rebelles se réclamant de l’ancien chef d’état-major François Bozizé ont été chassés des quartiers nord de la capitale centrafricaine par l’artillerie lourde libyenne et les commandos congolais de Jean-Pierre Bemba. Leur soudaine «débandade» avait été précédée par le retour forcé à Paris de leur leader. Mais le régime autoritaire de Patassé n’est pour autant pas sorti de l’impasse.
Mercredi après-midi, en quelques heures à peine, les forces loyalistes ont littéralement balayé les rebelles pro-Bozizé des quartiers nord qu’ils avaient investi vendredi 25 octobre. Mais ces forces loyalistes ne comportaient visiblement pas beaucoup d’éléments centrafricains, en dehors de la garde rapprochée du président Patassé. Les rebelles ont été probablement décontenancés par la disproportion des forces en leur défaveur, et ont «décroché» en direction du nord, d’où ils avaient lancé leur offensive.

En réalité les forces pro-gouvernementales étaient composées essentiellement d’un contingent libyen d’environ deux cent hommes très bien équipés en armement lourd et quelques petits avions, mais aussi de plus de cinq cent combattants rebelles congolais, envoyés ces derniers jours par Jean-Pierre Bemba depuis l’autre rive de l’Oubangui : une fois de plus, Zongo, la petite ville congolaise qui fait face à Bangui, a joué un rôle déterminant dans l’issue des combats. Avant d’accueillir d’autres milliers de réfugiés centrafricains qui ont eu la chance d’échapper aux combats. Et, pendant ce temps, d’importants mouvements de population intervenaient dans les quartiers nord de la capitale : certains habitants regagnaient leur domicile qu’ils avaient quitté au début des combats, d’autres s’en allaient à leur tour, par crainte d’exactions des commandos de Jean-Pierre Bemba : ceux-ci ratissaient déjà ce secteur, alors que nul n’a oublié les massacres perpétrés par ces «rebelles» congolais lors des affrontements sanglants de mai 2001.

Des soldats américains à Bangui ?

«Les assaillants sont en fuite. Nous sommes en train de les traquer», a déclaré un ministre centrafricain, et le président Patassé «est chez lui, avec sa famille». Selon lui, il n’aurait jamais quitté sa demeure banguissoise pour se réfugier dans un lieu sûr, comme lors de la dernière tentative de putsch, il y un peu plus d’un an. Interrogé sur l’implication du Tchad d’Idriss Déby dans cette énième rébellion, le ministre a déclaré : «Nous avons suffisamment de documents pour mettre en cause le Tchad». Ce que dément Ndjaména.

Une fois de plus Ange Patassé l’a échappé belle. Il a été sauvé in extremis par les contingents libyen et congolais, alors qu’une «petite équipe» de soldats américains s’apprête à atterrir à son tour à l’aéroport de Bangui, officiellement pour «examiner la situation et la zone pour décider éventuellement avec l’ambassadeur d’une assistance supplémentaire aux citoyens américains», selon un porte-parole du Pentagone. Autant dire que, depuis le départ des forces françaises des bases historiques de Bangui et de Bouar (près de la frontière camerounaise), on se bouscule quelque peu dans ce ventre mou de l’Afrique centrale riche en diamants et en uranium. Verra-t-on sous peu des militaires libyens et américains partager les mêmes rythmes tropicaux au Rock Hôtel de Bangui, à quelques pas seulement de l’ambassade de France ? Rien ne peut plus être exclu, au royaume de Patassé, autrefois premier ministre de l’empereur Bokassa 1er.

Celui-ci se retrouve néanmoins plus que jamais seul. En 2001 il avait difficilement survécu aux attaques des hommes (pour la plupart originaires de l’est) de l’ancien président André Kolingba ; cette fois-ci c’est son ancien allié du nord, François Bozizé qui l’a directement menacé. Et pourtant, c’est lui qui a assuré la victoire d’Ange Patassé lors des dernières présidentielles. Mais, depuis l’année dernière, et surtout depuis la mort de Lucienne, la première épouse du président Patassé originaire du nord du pays, la rupture est définitive entre celui-ci et Bozizé. Alors que les salaires des fonctionnaires ne sont plus payés depuis environ deux ans.

Qui viendra à son secours, la prochaine fois ? Le colonel Mouammar Kadhafi, qui connaît bien Ange Patassé depuis les années 70 pour l’avoir souvent aidé et même accueilli à Tripoli, ne semble pas enclin à assurer de nouveau sa permanence à la tête d’une République plus que jamais bananière. Il l’aurait même fait comprendre à l’ancienne puissance coloniale, et avait exprimé le désir de retirer son contingent, quelques mois seulement avant cette nouvelle rébellion. Désormais, il semble contraint de respecter une alliance de circonstance qui rapporte peu à la Libye, mais beaucoup à Ange Patassé et Jean-Pierre Bemba : les deux se partagent les bénéficies de tout le trafic clandestin de diamants, bois, cacao et café transitant par Bangui en provenance du nord-ouest de la République démocratique du Congo, que le rebelles de Bemba contrôlent depuis des années. Décidément, il n’est aisé pour personne d’être le «gendarme de l’Afrique».





par Elio  Comarin

Article publié le 31/10/2002