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Littérature

Pourquoi Paris boude les écrivains d’Afrique

Paris, capitale des cultures du monde, a du mal à reconnaître les talents littéraires venus d’Afrique francophone et de l’Océan Indien. Une littérature qui émerge pourtant en France.
Kourouma n’aura été qu’un miracle éditorial. Son roman Allah n’est pas obligé a été vendu à plus de 260000 exemplaires. En attendant le vote des bêtes sauvages a atteint les 149000 exemplaires. Quant à son Soleil des indépendances, paru dans les années 70, il en est à 180000. Le prix Inter et le Renaudot, qui lui ont été décernés, ont probablement aidé à ce miracle. Sa popularité est désormais assurée dans les bacs des librairies. Mais il reste l’exception qui fait la règle parmi ses pairs africains dans un microcosme littéraire, où la moyenne des ventes, lorsqu’il s’agit d’auteurs d’excellente qualité, reconnus et salués par la critique, se situe entre 3000 et 4000 exemplaires.

Le constat est amer, à propos de la place prise durant ces dix dernières années par les auteurs venus d’Afrique et de l’Océan indien dans le paysage littéraire français, où se publient pourtant une bonne partie des écrits concernés. Paris, capitale de l’Afrique littéraire francophone, continue à faire la fine bouche face à des auteurs dont la qualité est de plus en plus appréciée par les lecteurs les plus avertis. Certes, Gallimard, Le Seuil, Actes Sud et quelques autres maisons ayant pignon sur rue, continuent à faire confiance à quelques auteurs chanceux et à leur donner des moyens d’exister. Mais les médias ne suivent pas toujours. Le marché grand public non plus.

D’aucuns accusent la critique parisienne d’ignorer volontairement cette littérature. Paris a encore du mal à accepter ces auteurs venus des «périphéries et des petits pays». Quand l’exotisme ne les accompagne pas, les imaginaires qu’ils portent, bien que racontés en langue française, paraissent difficiles d’accès pour un lectorat d’Europe. Ce qui pose un véritable problème. En Afrique et dans l’Océan Indien, où le livre coûte relativement cher, comparé aux revenus d’un cadre moyen (le 1/6ème du salaire parfois), aucune politique culturelle ne permet pour l’instant d’espérer la constitution d’un lectorat conséquent. L’écrivain togolais Sammy Tchak pense qu’il n’y a plus qu’«un marché viable pour cette littérature: le marché européen». Mais comment faire quand on vous rejette ou qu’on vous ignore, en se basant sur des à priori?

L’Europe, seul débouché possible pour ces œuvre littéraires

La capitale française contribue depuis les débuts du 20ème siècle à l’émergence de nombre d’auteurs phares des pays d’Afrique francophone et de l’Océan Indien. Certains auteurs ont même été soutenus par des personnalités intellectuelles françaises. Qui ne se souvient de la préface signée par Sartre pour l’Anthologie nègre et malgache de Léopold Sedar Senghor? Emmanuel Mounier ou encore Michel Leiris ont accompagné une revue comme Présence Africaine. Mais tout se passe comme s’il y avait «un seuil, au-delà duquel on ne vous tolère plus… au-delà duquel on vous suit de moins en moins» confie Boniface Mongo-Mboussa, critique à la revue Africultures. Des lecteurs avisés vont jusqu’à parler d’un mépris de la part des cercles de promotion et de diffusion du livre en France. Ainsi de cette anecdote qui raconte qu’un ancien ministre français de la francophonie aurait -lors d’un cocktail- affirmé avec le sourire qu’un auteur africain francophone n’égalerait jamais le talent d’un écrivain français.

Installés en France pour la plupart (exil politique ou migration économique dans leur majeure partie), ces écrivains d’Afrique ou des îles, souvent écartelés entre deux mondes, celui du pays d’origine et celui du pays d’accueil, se retrouvent au final dans une situation ambiguë, que certains assimilent sans hésiter au poids de l’Afrique elle-même dans l’imaginaire occidental. Auteure de La république mondiale des lettres aux éditions du Seuil, Pascale Casanova avance, elle, l’idée que l’Afrique francophone est prisonnière de la France, dans la mesure où celle-ci joue un rôle capital dans son développement économique et politique. Un rapport de dépendance culturelle existerait entre les deux mondes.

En comparaison, la situation des auteurs africains anglophones serait plus clémente. Si Londres avait joué au paternalisme avec Wole Soyinka par exemple, celui-ci aurait pu éventuellement se faire légitimer à New York, dans la mesure où New York n’a pas une relation «immédiate» avec le Nigeria, avant de revenir à Londres en force. Ce n’est pas le cas pour les francophones. Paris étant ce que Pascale Casanova nomme «la république mondiale des lettres», les auteurs d’Afrique et de l’Océan Indien qui sont sous sa coupe, subissent aussi ses sautes d’humeur. Comme l’explique Boniface Mongo-Mboussa: «Si Paris ne te légitime pas, tu n’existes pas. Or la légitimation par Paris est ambiguë».

A lire demain :
«Le monde de l’édition ne croit pas aux auteurs africains»

Entretien avec Boniface Mongo-Mboussa, critique à la revue Africultures et auteur de Désir d’Afriques, chez Gallimard.

A lire après-demain :
«L’édition française ne s’ouvre pas aux autres»

Entretien avec Pierre Astier, éditeur français, sous l’enseigne du Serpent à Plumes, qui a accompagné quelques uns des enfants terribles de la littérature d’expression française venus d’Afrique et de l’Océan Indien depuis le début des années 90.



par Soeuf  Elbadawi

Article publié le 25/12/2002