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interview

Littérature

«Le monde de l’édition ne croit pas aux auteurs africains»

Entretien avec Boniface Mongo-Mboussa, critique à la revue Africultures et auteur de Désir d’Afriques, chez Gallimard. Un ouvrage consacré à la littérature francophone d’Afrique, de l’Océan Indien et des Caraïbes, produite depuis l’Europe mais ignorée par les circuits classiques de diffusion et de promotion du livre.
RFI : La littérature africaine ne rencontre que trop peu son lectorat. Vous parlez d’un public de raison, qui serait celui de la contrée d’origine, et d’un public de cœur, qui consommerait réellement le livre au final…
Boniface Mongo-Mboussa: C’est à Mohamadou Kane, un critique sénégalais, qu’on doit ce thème de «public de raison» et de «public de cœur». Il avait publié un texte dans la revue Présence africaine en 1969, qui s’intitulait «l’écrivain africain et son public». Evidemment quand j’ai utilisé ces deux concepts, je me suis heurté à certains jeunes écrivains. Je pense notamment à Kossi Efoui, qui m’a dit qu’il écrit pour l’universel. Mais ce n’est qu’une pirouette intellectuelle, parce que l’universel part d’abord du particulier. La littérature russe a d’abord été lue en Russie, avant d’être connue en Occident. Un écrivain comme l’Allemand Gunter Grass, prix Nobel de littérature, avant d’être légitimé en France ou bien aux Etats-Unis, a d’abord un «public de cœur» chez lui, ne serait-ce que parce que les problématiques qu’il évoque dans ses livres parlent d’abord aux Allemands. Or ce qui se passe pour nous, c’est que la littérature africaine naît effectivement en Occident, où on ne la désire pas, ne serait-ce que parce que c’est une littérature très jeune. L’Occident n’est pas demandeur de cette littérature.

RFI : Le paradoxe est là. Cette littérature émerge dans une capitale européenne, où elle apparaît ensuite complètement ghettoïsée. Elle manque de visibilité.
Boniface Mongo-Mboussa: Je crois qu’il y a le paradoxe de l’Afrique elle-même. On ne voit pas tellement l’Afrique sur le plan littéraire. Mais même sur le plan médiatique, on ne la voit pas. Sur le plan économique mondial, que vaut l’Afrique? Je vais dire peut-être 1%. Le ghetto, nous le portons en nous, économiquement, politiquement et peut-être culturellement. Et donc cela influe sur la littérature que nous produisons. Nous n’existons pas.

RFI : Le problème n’est-il pas que le marché du livre n’existe pas en Afrique?
Boniface Mongo-Mboussa
: Tout à fait. D’ailleurs, le marché culturel dans son ensemble n’existe pas. A l’époque de Senghor, on a créé les NEA (les nouvelles éditions africaines) justement pour essayer de désenclaver l’Afrique du point de vue culturel. Mais qui a lu les NEA? Il n’y avait pas un marché viable, ne serait-ce que parce que le livre coûte cher sur le continent. Il faut reconnaître que la lecture, en tous cas de la fiction, ne fait pas partie des priorités africaines. Nous avons là un grand problème. Il faudrait qu’on commence par conquérir ce public de cœur. Et que la culture, ainsi que la lecture, deviennent un pain quotidien en Afrique, avant d’attendre la légitimation des autres. Autrement, on attendra un siècle.

RFI : Les auteurs africains évoluent dans la marge, ignorés par la critique ou par les institutions. Comment expliquer qu’ils soient ainsi boudés en France qui se présente comme la «républque des lettres»?
Boniface Mongo-Mboussa
: Prenez Senghor. Dans certains bouquins, vous vous retrouvez devant quelqu’un comme Beckett, reconnu en tant qu’écrivain français. Alors qu’on n’y retrouve pas Senghor, qui est agrégé de grammaire et de littérature française depuis les années 30, qui est citoyen français et membre de l’Académie française. Prenez Kundera, qui est entré dans le dictionnaire de littérature française, alors qu’on sait il y a deux ou trois ans de cela qu’il a commencé à écrire en langue française. A côté de lui, je peux vous en citer Césaire que l’on oublie parfois. Césaire qui est antillais. Ou bien quelqu’un comme Edouard Glissant. Une grande pensée, fulgurante... Glissant est revenu parfois en France par le biais des Etats-Unis. Alors que c’est un écrivain français, puisqu’il est martiniquais. Mais on préfère Kundera à la place. Là, il y a un véritable problème, qui relève de ce qu’Edward Saïd appelle «l’inconscient colonial». C’est-à-dire, qu’on le veuille ou pas, à la relation de l’Occident à l’Africain, à l’Afrique, à l’homme noir en général, qui est toujours ambiguë. C’est plus fort que la marginalisation. Derrière ça, il y a toute l’histoire de l’esclavage, de la colonisation, du paternalisme ambiant, du non-dit, qu’il faut un jour essayer de décortiquer. Dès le départ, on ne croit pas en ces écrivains. Et on ne commence à s’intéresser à eux que quand ils réussissent à échapper justement aux tirages faibles.

RFI : Il y a quand même eu quelques succès comme celui de Kourouma?
Boniface Mongo-Mboussa
: Son premier roman, Le soleil des indépendances, on le sait bien, a été refusé par les éditions du Seuil. Le livre a été publié au Canada. Il a connu un succès extraordinaire. Ce qui a conduit les éditions du Seuil à racheter les droits au Québec. Ahmadou Kourouma a été plébiscité ailleurs, y compris dans les universités américaines intéressées par la littérature francophone. Son livre est devenu un best-seller. En fait, il était déjà en soi un produit, quand son éditeur français s’est intéressé à lui. Kourouma n’a pas été fait, contrairement à ce que l’on croit, par les éditions du Seuil. C’est le Canada qui l’a propulsé et l’institution universitaire… Et les éditions du Seuil l’ont accompagné. Ils ont compris tout de suite que c’était un produit. Ce qui fait que systématiquement, et le service commercial, et le service de presse, s’y mettent, à chaque fois qu’il y a un livre Ahmadou Kourouma. On assiste là à un phénomène éditorial.

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Propos recueillis par Soeuf  Elbadawi

Article publié le 25/12/2002