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Sénégal

Vingt ans de rébellion en Casamance

Le 26 décembre 1982, une manifestation dégénère en Casamance et l’événement donnera naissance à un mouvement de rébellion qui prendra les armes contre les autorités de Dakar. Retour sur 20 ans de guerre civile.
De notre envoyé spécial en Casamance

Ce jeudi 26 décembre 2002, la Casamance, la région sud du Sénégal, célèbre un double anniversaire. Anniversaires dont la Casamance et le Sénégal, réunis dans un cauchemar commun, auraient souhaité se passer. Il y a 20 ans commençait le conflit qui déchire la plus belle région du Sénégal. Bilan: des centaines de morts, des dizaines de villages détruits ou désertés, des milliers de populations déplacées ou enfuies. Mais ce 26 décembre, c'est aussi un autre triste anniversaire: les trois mois du naufrage du bateau le «Joola», le «Titanic» sénégalais, emportant avec lui quelques 1500 victimes dont certaines sont toujours enfouies dans ses entrailles, quelque part dans les eaux bleues de l'Océan Atlantique, au large des cotes gambiennes. La Gambie, ce doigt enfoncé dans le flanc sud du Sénégal, faisant de la Casamance, une sorte d'excroissance insolite dans le corps du pays.

26 décembre 1982, (un dimanche), la Casamance, en particulier sa capitale, Ziguinchor, sort péniblement des libations de Noël. Dans le brouillard de ce matin de décembre un peu frisquet, les habitants perçoivent comme dans un rêve, des silhouettes fantomatiques qui marchent dans les rues vers le centre de la ville. Dans toutes les grandes artères. Des centaines d'hommes, de femmes et d'enfants, venus des différents quartiers de la villes, des villages environnants et d'autres plus lointains, les femmes sorties du bois sacré, se dirigent vers la Gouvernance, siège de l'administration régionale, représentation de l'administration centrale.

Vers 11 heures, la manifestation, appelée par le Mouvement des forces démocratiques de la casamançaises (MFDC), dont beaucoup entendaient parler pour la première fois, s'agglutine devant la grande bâtisse de style colonial, en face du fleuve Casamance. Mal préparées à ce qui allait se passer, les autorités n'avaient pas mis en place un dispositif de sécurité important. Juste quelques policiers mal équipés, mal entraînés aux affrontements de rues. Soudain, au grand ahurissement général, le drapeau national est descendu et remplacé par un drapeau blanc. Plus tard, les responsables du MFDC expliqueront que ce drapeau blanc, était le signe que leur mouvement était pacifiste, un signe de paix. Par ce geste de lèse-république, pour les autorités de l'époque, le MFDC affichait ainsi ouvertement ses velléités indépendantistes. Mais après la première surprise, les autorités revenues à la réalité, donnent l'ordre aux forces de police de disperser la manifestation. Plusieurs manifestants sont blessés, des dizaines arrêtés dont l'Abbé Diamacoune Senghor, qui plus tard, apparaîtra comme le secrétaire général du mouvement.

Le conflit a provoqué la fuite de 70 000 personnes

Un an plus tard, cette fois -ci le 17 décembre 1983, le MFDC décide de commémorer l’anniversaire de la manifestation réprimée l'année précédente; Mais cette fois, l'administration s'est préparée, pour le meilleur comme pour le pire. ce sera pour le pire et le début d'un conflit meurtrier qui dure depuis maintenant 20 ans. Cette fois, les manifestants aussi se sont préparés. Ils sont venus armés de machettes, de coupe-coupe et autres armes blanches et occupent la même place qu'un an auparavant. Mais cette fois, en face des manifestants sagement assis devant les grilles de l'imposant bâtiment de la Gouvernance, un dispositif impressionnant de forces de l'ordre fortement armés les attend. Après de violents affrontements, des dizaines de corps sans vie jonchent le sol devant la Gouvernance et dans certaines artères de la ville. La nouvelle du drame, comme une traînée de poudre, gagne les villages les plus reculés et autres îles de la Casamance, ainsi que les autres villes du Sénégal. La «rébellion casamançaise» est née.

La tragédie d'une région a commencé, le MFDC a déclaré la guerre à Dakar, accusée d'avoir «massacré des filles et des fils de la Casamance». Un an plus tard, quelque part dans la foret classe (foret sacrée), à la frontière avec la Guinée Bissau, «Atka», la branche armée du MFDC voit le jour à l'initiative de Sidy Badji, un ancien «ancien combattant» de l'armée française...

Dans un premier temps, les autorités de Dakar, tout entier engluées dans les soubresauts violents des élections présidentielle et législatives de février 1983, ne voient pas le maquis se développer sur son flanc sud et le qualifient de «bandes armées hétéroclites», de «cliques», de «bandits». Au début mal équipés, les maquisards se retrouvent bientôt dotés d’un armement sophistiqué dont l'essentiel vient de Guinée Bissau, un pays qui sort de plus d'une décennie de guerre d'indépendance contre l'ancienne puissance coloniale, le Portugal.

Jusqu'en 1990, date de l'intensification du conflit, c'était une sorte de «drôle de guerre» qui se déroulait au Sud. Mais tout change brutalement du tout au tout. Aux fusils de chasse qu'ils utilisaient jusque là, les rebelles passent aux fusils d'assaut et autres mitraillettes AK-47. Le gouvernement réalise avec horreur que la «jacquerie» initiale est devenue une vraie guerre et met le paquet pour, dit il, «éradiquer» la rébellion. Ce qui était plus facile à dire qu'à faire. A preuve, elle dure encore. Selon des chiffres généralement cités sans pour autant qu'on puisse jurer de leur exactitude, entre 1990 et 2000, le conflit aurait fait environ 600 victimes dont plus d'une centaine de tués de part et d'autre, ainsi que des civils.

C'est durant cette décennie que l'armée sénégalaise connaîtra également ses plus grandes pertes qui marquent le tournant du conflit. En effet, en 1995 à Babonda, un village frontalier avec Bissau, et 1997, à Mandina Mancage (à trois kilomètres de Ziguinchor), l'armée tombe dans deux embuscades et y laisse une soixantaine de soldats. On estime aujourd’hui à plus de soixante-dix mille personnes déplacées, des centaines de villages détruits et/ou désertés, minés comme la plupart des routes et pistes de la Casamance.

Ecoutez le reportage de Sophie Malibeaux, correspondante de RFI à Dakar (26/12/2002, 7,59)



par Demba  Ndiaye

Article publié le 26/12/2002