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Djibouti

Les USA s’installent dans la Corne de l’Afrique

Un peu plus d’un an après les attentats du 11 septembre 2002, les Etats-Unis sont parvenus à s’installer, militairement et diplomatiquement, à Djibouti, le centre géographique de la Corne de l’Afrique qui baigne à la fois dans la Mer Rouge et le Golfe d’Aden. Une région au cœur de la lutte anti-terroriste lancée par le président Bush, que Washington avait été obligé de quitter au milieu des années 70, lorsque l’Ethiopie de Hailé Sélassié, après la Somalie de Siyad Barre, avait basculé dans le camp soviétique, à la suite de la révolution du «Derg» dirigé par Hailé Mariam Mengistu, le «négus rouge» aujourd’hui en exil au Zimbabwe. Et alors que, de l’autre côté du détroit de Bab el Mandeb, le Yémen du Sud s’était lui aussi rangé du côté de Moscou, en prenant ainsi en tenaille le petit Territoire Français des Afars et des Issas (TFAI), devenu en 1977 la République de Djibouti.
Donald Rumsfeld, le très conservateur secrétaire d’Etat américain à la Défense a eu de la peine à cacher son émotion, ce mercredi 11 décembre, lorsqu’il a terminé une tournée historique dans la Corne de l’Afrique, par une étape à Djibouti qui a sanctionné le basculement de toute la région dans le camp américain. «Je m’attends à ce que dans deux, trois ou quatre ans ces installations (aujourd’hui américaines) soient là», a-t-il dit, au centre du Camp Lemonier, une grande base militaire de la Légion étrangère française jusqu’à il y a quelques années, occupée depuis six mois par quelque 900 soldats américains, presque tous membres des forces spéciales. «Nous devons être là où l’action est, a-t-il précisé. Il n’y a aucun doute que c’est une région où il y de l’action. Il y a des terroristes par exemple juste de l’autre côté, au Yemen, et dans le sud de l’Arabie saoudite. Il y a des problèmes sérieux, (mais) c’est un bon endroit pour avoir un point de vue (sur toute la région) au cours des prochaines années».

Un état-major de 400 hommes basé sur un navire

En six mois seulement, les «marines» ont littéralement transformé les vieux bâtiments presque délabrés de cette ancienne base française en une petite ville made in America. Une base appelée à «s’agrandir rapidement», car, selon Rumsfeld, «Djibouti est un grand partenaire des Etats-Unis». Avec le consentement explicite du président djiboutien Ismaël Omar Guelleh et quelques grincements de dents du côté de l’ancienne puissance coloniale.

Car, la France a été mise quelque peu devant le fait accompli par les Etats-Unis et le président Guelleh. Elle craint désormais que celui-ci ne soit sous peu tenté de placer la barre encore plus haut, lors des prochaines négociations - politiques et financières - sur la location de ce qui le reste la principale base française à l’étranger, avec un effectif de plus de 2 700 soldats. Une base indispensable à la France pour continuer de peser dans toute la région et qui ne cesse de prouver son utilité depuis la fin de la «guerre froide» et le début de toutes les autres guerres, à commencer par celle du Golfe (1991).

C’est aussi à partir de Djibouti que, depuis vendredi 13 décembre 2002, l’état-major de la coalition internationale contre le terrorisme dans le golfe d’Aden, dirigé par les Etats-Unis, est officiellement opérationnel. Constitué de 400 personnes, cet état-major représente toutes les forces armées américaines, et comprend quelques Allemands, Britanniques, Italiens et Espagnols, mais pas de Français. Une «armada» impressionnante dirigée par un commandement installé à bord du navire USS Mount Witney mais directement reliée au Camp Lemonier flambant neuf que Donald Rumsfeld a tenu à inaugurer.

Autre détail qui n’a guère échappé aux observateurs, le même jour la radio publique internationale Voice of America a commencé à émettre sans interruption en ondes moyennes à Djibouti, en arabe comme en anglais, grâce à un émetteur très puissant (600 kilowatts) qui devrait permettre aux Américains de «couvrir» toute la région, y compris une partie de la péninsule arabique. Ces émissions s’ajoutent à celles que VOA continue d’assurer en ondes courtes en anglais mais aussi en arabe et en amharique, la langue officielle éthiopienne.

D’autre part, avant d’annoncer son intention de s’implanter au cœur de la Corne de l’Afrique, Donald Rumsfeld s’est assuré le soutien explicite des principaux pays de la région, à commencer par les frères-ennemis d’Addis Abeba et d’Asmara. Issaias Afeworki, le président de l’Erythrée - dont les côtes s’étirent sur 800 kilomètres sur la Mer rouge - a déclaré qu’il était prêt à permettre aux navires américains l’accès aux installations militaires de son pays. Or, l’Erythrée dispose notamment de pistes d’atterrissage capables d’accueillir des avions cargos gros-porteurs et surtout des ports en eau profondes, à Massawa et à Assab, situés juste en face des côtes yémenites et saoudiennes, que Washington a déjà commencé à fréquenter depuis l’accession à l’indépendance du pays.

L’Ethiopie de Meles Zenawi, elle aussi allié des Etats-Unis depuis le départ du «Négus rouge», a quant à elle maintes fois prouvé sa disponibilité constante à prêter main forte aux soldats américains, notamment lorsqu’il s’agit de pourchasser les éventuels membres d’Al Qaïda présents en Ethiopie (dans l’Ogaden et chez les Oromos) mais aussi en territoire somalien. «Dans la lutte mondiale contre le terrorisme, l’Ethiopie ne va pas hésiter, à dit Zenawi à Rumsfeld. Nous ferons tout ce qu’il faudra pour le combattre».

C’est surtout dans le Somaliland et le Puntland, deux «Etats autonomes» qui contrôlent les principales côtes du Nord de la Somalie, que les Etats-Unis peuvent trouver les autres appuis indispensables pour une surveillance efficace du Golfe d’Aden. C’est aussi ici que se situent deux autres ports qui pourraient devenir utiles : celui de Berbera (Somaliland) qui dispose d’une base navale autrefois soviétique que les Américains auraient pu utiliser dès la fin des années 70, lorsque la Somalie de Barre a basculé du côté de Washington ; et celui de Bossasso (Puntland), vite devenu une "capitale" très dynamique du nord somalien grâce aux trafics en tous genres entre les côtes somaliennes et celles du Yemen.

Enfin, il se confirme qu’en Somalie, la très grande majorité des «seigneurs de la guerre» et des chefs de clan surarmés qui se disputent le territoire sont approvisionnés régulièrement par des trafiquants qui leur fournissent surtout du matériel américain : de l’armement qui transite souvent par l’Ethiopie et qui peut permettre à Washington de maintenir le contrôle du niveau d’un conflit qui dure depuis plus de dix ans.



par Elio  Comarin

Article publié le 13/12/2002