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Irak

Le Vatican est contre la guerre

Depuis le début de l’année, l’Eglise catholique se mobilise à tous les niveaux pour tenter de conjurer le déclenchement d’une guerre contre l’Irak. Aux appels répétés de Jean-Paul II et de ses collaborateurs, les évêques du monde entier multiplient les déclarations en faveur d’une intensification des pressions diplomatiques sur Bagdad en alternative au conflit. Parallèlement, le pape active tous les canaux diplomatiques dont dispose le Saint-Siège.
De notre correspondant au Vatican

«La guerre ne saurait être seulement la dernière, elle est aussi la pire des solutions et nul ne peut s’y résigner». Cette petite phrase prononcée par le cardinal Roger Etchegaray à son arrivée à Bagdad, mardi 11 février, résume à elle seule la position adoptée par l’Eglise catholique depuis que la perspective d’une intervention militaire en Irak se précise. A défaut d’être une puissance militaire ou économique, la diplomatie vaticane peut au moins se targuer d’être une puissance morale et le pape, autorité spirituelle de plus d’un milliard de catholiques dans le monde, a manifestement décidé de faire entendre, par tous les moyens, son opposition à la guerre. Le 15 janvier 1991, à la veille de ce qui allait devenir la première guerre du Golfe, Jean-Paul II avait écrit à Saddam Hussein et au Président Bush (père), leur demandant «un geste généreux de dernière minute» pour sauver la paix. L’appel n’avait pas été entendu. Douze ans plus tard, le pape a cette fois décidé de dépêcher à Bagdad un émissaire, le cardinal Etchegaray, porteur d’un message personnel au Raïs, alors qu’il s’apprête à recevoir vendredi matin au Vatican le vice-Premier ministre irakien, Tarek Aziz.

La visite en Irak du prélat français, l’homme des missions impossibles puisqu’il a notamment été le premier évêque catholique à se rendre dans la Chine communiste, vise trois objectifs. Offrir tout d’abord un canal diplomatique parallèle dans la conviction qu’il faut «tout tenter, jusqu’à la dernière minute», y compris par des médiations indirectes. Le second but de la visite du cardinal Etchegaray, c’est d’apporter une solidarité tangible au peuple irakien «exténué par plus de douze années d’embargo», comme l’a souvent répété le pape, notamment à la minorité chrétienne de ce pays, qui compte environ 500 000 fidèles, et où, à défaut de règles démocratiques, la liberté religieuse a toujours été respectée.

«l’opportunité d’irriter un milliard de musulmans»

Enfin, et ce n’est pas le moindre, le troisième objectif est à plus long terme. «Il est important que l’on sache que les chrétiens ne veulent pas la guerre, que l’Eglise a toujours essayé d’empêcher toute tentative de faire la guerre», affirmait lundi Mgr Jean Sleiman, Archevêque catholique des latins de Bagdad. Une petite phrase qui fait écho à la récente déclaration du cardinal Angelo Sodano, secrétaire d’Etat, numéro deux du Vatican, qui affirmait le 29 janvier qu’il serait bon que les Américains réfléchissent «sur l’opportunité d’irriter un milliard de musulmans». La rencontre interreligieuse d’Assise, en janvier 2002, s’insérait déjà dans la même ligne: l’Eglise souhaite désamorcer autant que possible les risques sérieux de tensions religieuses au niveau planétaire.

C’est dans ce contexte que s’inscrit la venue à Rome de Tarek Aziz. Depuis l’automne, le pape et ses collaborateurs n’ont eu de cesse de rappeler les principes qui guident leur engagement dans cette crise. Le Vatican récuse tout d’abord toute légitimité morale et juridique au concept de guerre préventive et Mgr Jean-Louis Tauran, responsable de la diplomatie du Saint-Siège, rappelait le 23 décembre qu’«elle n’est pas prévue dans la charte de l’ONU». Secundo, le pape insiste sur le rôle central et incontournable des Nations unies. Tertio, dans ce cadre institutionnel, l’option militaire ne saurait être qu’un «ultime recours». En d’autres termes, la position de l’Eglise catholique est assurément plus proche de celle de Paris et de Berlin que de Londres ou Washington.

En témoignent d’ailleurs les nombreuses déclarations rendues publiques par les conférences épisopales des cinq continents. Dans la «vieille Europe» comme aux Etats-Unis, en Inde comme en Afrique, les évêques se sont, presque à l’unisson, déclarés hostiles à la guerre. Sans compter les mouvements ou associations de base, mobilisés eux aussi dans les manifestations pacifistes qui devraient se dérouler ce samedi. Une récente déclaration d’un haut prélat américain est à cet égard éloquente. Le 4 février dernier, dans un entretien au mensuel Inside the Vatican, le cardinal James Francis Stafford, ancien évêque de Denver (Etats-Unis) et actuel président du Conseil pontifical pour les laïcs, affirmait: «le gouvernement américain n’a pas offert de preuves concluantes d’un danger imminent pour la sécurité nationale (…) il a récemment menacé d’utiliser des armes nucléaires contre l’Irak: c’est indigne de la plus ancienne démocratie du monde».



par Laurent  Morino

Article publié le 13/02/2003