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Sommet France-Afrique 2003

Irak : Chirac obtient le soutien de l’Afrique

«On ne peut envisager une guerre sans les Nations unies, on ne peut envisager la paix sans les Nations unies». Jacques Chirac a apparemment gagné son pari: les cinquante-deux chefs d’Etat ou de gouvernements réunis à Paris pour la 22e Conférence franco-africaine ont adopté jeudi soir une «Déclaration sur l’Irak» qui conforte la position de la France face à Washington, au moment même où les Etats-Unis commençaient à courtiser les trois pays africains membres du Conseil de sécurité de l’ONU, pour les rallier à leurs vues sur l’Irak. Ce qui confirme que le sommet franco-africain de Paris a été un épisode de plus sur le chemin d’une confrontation franco-américaine qui n’est visiblement pas sur le point de se terminer.
Faute de progrès sensibles sur la crise ivoirienne, le sommet franco-africain de Paris a pour le moins permis à Jacques Chirac d’obtenir le soutien unanime des 52 chefs d’Etat ou de gouvernement d’Afrique sur la question la plus urgente pour la France: une éventuelle guerre contre Saddam Hussein. Seul continent sur lequel la France peut encore compter pour conforter son statut de puissance détenant un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU, l’Afrique a réaffirmé à Paris ce qu’elle avait adopté récemment à Addis Abeba, via l’Union africaine (UA2): poursuite des inspections, renforcement de leurs capacités humaines et techniques, appel à l’Irak «à apporter une coopération immédiate», et surtout «il y a une alternative à la guerre» voulue par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.

Sur le papier, la «Déclaration sur l’Irak» - un geste inhabituel pour ce genre de sommets qui ne se terminent généralement que par de simples communiqués - est un succès non négligeable pour Jacques Chirac. Et celui-ci de souligner que cette déclaration est «identique» à celle de France, et que le secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, présent aux travaux tout au long du sommet, avait pu «l’observer». Ce qui ne peut que conforter ceux qui, de Londres à Washington en passant par Canberra, ont exprimé leur étonnement - voire des critiques très violentes - en raison de la présence inhabituelle du secrétaire général de l’ONU à une réunion de type «régional».

De plus, une réelle incertitude demeure quant à la discussion autour de la «déclaration sur l’Irak» officiellement adoptée à l’unanimité: celle-ci n’aurait même pas été discutée par les chefs d’Etat, selon le président rwandais Paul Kagamé, qui participait pour la première fois à cette rencontre: «personne ne m’a demandé mon avis, a-t-il dit. Nous n’en avons même pas discuté. Je ne comprends pas très bien comment affaire est présentée, car ce qui est en jeu, ce n’est pas entre guerre et paix, c’est entre guerre ou armes de destruction massive».

Officieusement cette déclaration a été adoptée sans difficulté et sans grandes discussions, en partie pour remercier le pays hôte d’avoir fait des promesses intéressantes dans les domaines cruciaux du commerce international et des exportations agricoles. Jacques Chirac a ainsi pu se dire «pas du tout inquiet» sur l’avenir de l’ONU, en dépit d’une éventuelle guerre américaine en Irak sans l’autorisation préalable du Conseil de sécurité.

Vont-ils céder peu à peu aux sirènes américaines ?

Mais, dans les couloirs du Palais des Congrès de la Porte Maillot (à Paris), tous les regards et toutes les interrogations se sont portés sur le positionnement des trois pays africains actuellement membres du Conseil de sécurité, à savoir: le Cameroun, la Guinée et l’Angola. Vont-ils rester fidèles aux engagements souscrits lors de ce sommet, ou vont-ils céder peu à peu aux sirènes américaines d’ici au jour où la résolution serait formellement soumise au vote du Conseil de sécurité?

Walter Kansteiner, le secrétaire d’Etat adjoint pour les Affaires africaines a en effet entrepris jeudi 20 février une tournée dans ces trois pays, tous classés jusque là comme globalement favorables à la poursuite des inspections de l’ONU, mais susceptibles de changer d’avis. Et ce d’autant plus que la plupart d’entre eux ne sauraient trop vite rejeter les promesses pécuniaires de Washington, au vu de l’état de leurs propres finances.

La plupart des délégués sondés lors de ce sommet laissent néanmoins entendre que le Cameroun et la Guinée auront du mal à ne pas rester fidèles à Jacques Chirac, dont la réélection a été vivement saluée l’année dernière, après «quelques années d’incertitudes et d’interrogations du temps du gouvernement Jospin». De son côté le Cameroun ne peut que remercier la France de l’avoir ouvertement soutenu tout au long de sa guéguerre avec le Nigéria pour le contrôle de Bakassi (et de ses réserves en pétrole). De plus, les revendications périodiques de l’Ouest anglophone comme le Nord musulman ne peuvent que rapprocher encore plus le régime Biya de Paris, dans la perspective d’une éventuelle crise ouverte dans ces régions.

Il en va de même en Guinée, en dépit de l’absence prolongée du président Lansana Conté (toujours malade). Le régime militaire de Conakry, après avoir été souvent critiqué pour non respect des droits de l’Homme, s’est lui aussi réjoui de la victoire de Jacques Chirac et du retour à «la France engagée aux côtés de l’Afrique de toujours» cher à la tradition néo-gaulliste. Et ce d’autant plus que cela ne pouvait que conforter le «club des chefs d’Etat francophones» classés comme non démocratiques par la communauté internationale. Le poids de la Guinée sera d’autant plus important qu’elle assurera, à partir de mars prochain, la présidence tournante du Conseil de sécurité.

Enfin, concernant l’Angola, les paris restent ouverts. Les relations franco-angolaises ne seraient pas excellentes, en raison surtout de la longue afaire dite de l’Angolagate, et des soupçons souvent affichés à Luanda vis-à-vis de Paris, «coupable» de ne pas avoir suffisamment préservé l’image de l’Angola dans une affaire somme toute franco-française. Les réserves pétrolières de l’Angola étant d’autre part parmi les plus importantes du Golfe de Guinée, on voit mal Washington ne pas mettre le paquet pour faire pencher ce pays du côté de la maigre coalition anti-Saddam.



par Elio  Comarin

Article publié le 21/02/2003