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Irak

Duel franco-américain à l'ONU

La France et les Etats-Unis ont déposé hier des documents concurrents à l'ONU. Les Etats-Unis, la Grande Bretagne et l'Espagne soumettent au Conseil de sécurité un projet de résolution autorisant la guerre. La France, l'Allemagne et la Russie proposent au contraire dans un mémorandum d'accélérer et de renforcer le processus d'inspection.
New York (Nations unies), de notre correspondant

Depuis des semaines, les Etats-Unis promettaient un projet de résolution «clair» et «musclé» pour régler une fois pour toutes la question irakienne. Hier, le projet présenté par Washington, Londres et Madrid apparaissait au contraire vague, complexe et alambiqué. L'objectif de ce projet de résolution est connu de tous: autoriser une guerre contre l'Irak. Mais à aucun moment il ne mentionne le mot «guerre». Il ignore aussi l'expression généralement utilisée par l'ONU -l'autorisation de tous les moyens nécessaires- pour endosser l'usage de la force. Le texte rappelle simplement dans son préambule, juridiquement plus inoffensif, que l'Irak, selon les résolutions antérieures, est déjà en «violation patente» des résolutions de l'ONU, et s'expose à de «sérieuses conséquences», conformément à la résolution 1441, la dernière en date. Le paragraphe clé indique simplement que «l'Irak a laissé passer la dernière chance que lui octroyait la résolution 1441». Les Etats-Unis auraient souhaité un texte beaucoup moins ambigu, mais ils ont cédé par égard pour leur allié britannique.

Contrairement à George Bush, prêt à agir en dehors de l'ONU, le Premier ministre Tony Blair a désespérément besoin du tampon onusien pour convaincre une opinion publique plus que rétive qu'une guerre s'impose en Irak. Pour obtenir cet adoubement onusien, il faut convaincre plusieurs pays très réticents à autoriser une guerre. Londres a donc choisi de présenter une résolution la plus vague possible, dans l'espoir que ces pays pourraient la voter en prétendant n'en pas connaître les implications guerrières. Pour lever tout doute sur ce point, au cours d'une séance de consultation du Conseil de sécurité hier, l'ambassadeur français a bien clarifié la nature réelle du texte.

Pour ne pas laisser les Etats-Unis dicter la nature du débat, la France a également distribué au cours de cette séance un «mémorandum» co-signé par l'Allemagne et la Russie, discrètement soutenu par la Chine, dont l'objectif est de muscler les inspections, tout en accélérant leur cadence. Il propose ainsi de définir un programme de désarmement très détaillé, pour forcer l'Irak à offrir des avancées concrètes. Il suggère également de nouveau d'augmenter le nombre des inspecteurs de l'ONU, d'améliorer leur mandat et leurs équipements. Selon ce projet, la cadence des inspections serait accélérée, en demandant notamment au chef des inspecteurs de l'ONU Hans Blix de revenir faire un rapport toutes les trois semaines au Conseil de sécurité. En langage onusien, un «mémorandum» ne correspond à rien. Il s'agit simplement d'une façon formelle de coucher par écrit des idées qui peuvent être mises en oeuvre dans le cadre des résolutions existantes, sans voter de nouveau texte. Mais si les Français y étaient contraints, ils pourraient les remodeler dans une résolution destinée à contrer les plans américains.

«La machine diplomatique américaine va tout écraser sur son passage»

Au terme de la réunion du Conseil, hier, chaque camp comptait anxieusement ses soutiens. Dans le camp de la guerre on retrouve très clairement les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l'Espagne, qui a co-signé le projet de résolution dans un geste purement politique, et la Bulgarie. Dans le camp des inspections renforcées se placent la France, l'Allemagne, la Russie, la Chine et sans doute la Syrie. Entre les deux, le Cameroun, la Guinée, l'Angola, le Mexique, le Chili et le Pakistan se gardent bien de prendre parti, et se contentent pour l'instant de promettre d'étudier avec le même sérieux les deux projets. Jusqu'à maintenant, tous ces pays se sont plutôt prononcés en faveur des inspections. Certains aimeraient qu'au lieu d'exercer des pressions contraires sur eux, les grandes puissances parviennent à trouver entre elles une solution de consensus.

«La machine diplomatique américaine est en marche, et elle va tout écraser sur son passage», prédit un diplomate qui estime que les Etats-Unis ont de bonnes chances d'arracher les neuf voix dont ils ont besoin. Dans cette hypothèse, la France devra décider si oui ou non elle utilise son droit de veto, éventuellement avec la Russie. Les diplomates français semble donner l'impression que l'option est plus que vraisemblable, mais il est difficile de déterminer si il s'agit d'un coup de bluff diplomatique. L'issu du combat dépend aussi beaucoup de la coopération irakienne. Si par exemple, comme Saddam Hussein semble le suggérer, l'Irak ne commence pas à détruire avant le 1er mars, comme l'exige Hans Blix, ses missiles illégaux Al-Samoud II dont la portée dépasse les 150 kilomètres autorisés par l'ONU, les Etats-Unis devraient facilement obtenir les voix dont ils ont besoin.

En attendant un geste irakien, le bras de fer franco-américain se poursuit. Jeudi, le Conseil de sécurité se réunit de nouveau en séance privée pour étudier les deux projets concurrents. Le 1er mars, Hans Blix doit remettre un rapport par écrit au Conseil. Le 7, ou peut-être plus tôt, il présentera en personne ce même rapport au Conseil. A partir de cette date, les Etats-Unis pourraient pousser leur texte au vote. Ils l'ont déjà fait enregistrer par les services des Nations unies, ce qui indique qu'ils ne sont pas prêts à l'amender, si ce n'est à la marge. Leur objectif est d'abord d'obtenir avec les «petits pays» du Conseil les neuf voix dont ils ont besoin, avant de tenter de convaincre la France, la Russie et la Chine de se joindre à la majorité. Si ils n'obtiennent pas ces neuf voix ou se heurtent à un veto, il est fort probable que Washington parte en guerre en contournant tout simplement l'ONU.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 25/02/2003