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Centrafrique

Bangui traumatisée

Le général centrafricain François Bozizé a déclaré dimanche soir la suspension de la Constitution, la dissolution de l'Assemblée nationale et du gouvernement. Lors d'une allocution à la radio nationale, le nouvel homme fort de Centrafrique a annoncé la mise en place d'un Conseil national de transition, regroupant les forces vives de la nation dans lequel siégeront notamment les anciens chefs d'Etat, en qualité de membres d'honneur. L'ancien chef d'état-major du président Patassé évoque «la préparation des échéances électorales à venir». Il appelle également ses concitoyens à l'arrêt des pillages et à la reprise du travail.

(L'allocution du général François Bozizé)
«Les gens ont encore peur après ce qui s'est passé hier. Ils commencent à sortir de chez eux. Il y a beaucoup de dégâts, il y a eu des morts. Il y a encore des tirs. Ils tirent en l’air, mais ça fait peur». Cet habitant de Bangui est encore effrayé, mais il a répondu à l’appel des nouvelles autorités et il est sorti en ville ce matin pour tenter de rejoindre son travail, malgré l’absence de taxis dans les rues de la capitales.

Les pillages ont été massifs. Administrations, sociétés, entreprises, commerces, habitations, rien n’a pas été épargné. Les véhicules, surtout, ont été «réquisitionnés». «Ce sont les gens de Bozizé», déclare ce témoin avec résignation : «ils les ont laissé faire pendant une journée». D’autres témoignages rapportent que des Banguissois ont été rançonnés par des hommes en armes qui ne comprenaient pas les langues centrafricaines et qu’ils n’ont eu la vie sauve qu’en payant leurs agresseurs. Ils désignent les Tchadiens recrutés par le nouvel homme fort pour lancer l’assaut final sur la capitale. Un dernier bilan recueilli par l'AFP indique que le coup d'Etat a fait au moins treize morts et des dizaines de blessés par balles. Lundi, dans un communiqué, le général Bozizé a annoncé que «des perquisitions à grande échelle seront effectuées afin de démasquer tous les voleurs et autres pilleurs, sans oublier les receleurs».

La nuit, la capitale centrafricaine retrouve un calme relatif à la faveur du couvre-feu instauré de 19 heures à 6 heures, pendant dix jours. Pourtant, entre indifférence et espoir, l’arrivée à Bangui du général François Bozizé, après des mois de guerre civile marqués par de multiples exactions, est aussi interprétée comme le signe d’un changement possible. «Les intentions ont l’air bonnes ; c’est peut-être une chance pour le pays», laisse échapper cet autre témoin qui ajoute aussitôt : «s’il n’y a pas de ‘lézard’ avec les pays autour, ni avec la France».

L’hypothèque régionale

La dimension régionale de la crise centrafricaine pèse en effet lourdement sur la suite des événements. Le coup de force de l’ancien chef d’état-major des Forces armées centrafricaines est unanimement rejeté. L’Union africaine, les communautés sous-régionales CEMAC (Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale) et Censad (Communauté économique des Etats sahélo-sahariens), ainsi que la France et le Gabon condamnent cette prise du pouvoir par les armes. Le texte adressé par Libreville «met en garde contre toute nouvelle violation de l'intégrité de la force de sécurisation de la CEMAC, qui serait alors considérée comme une agression délibérée envers tous les Etats membres». Trois soldats congolais ont été tués samedi lors de la prise de Bangui par les rebelles. Et, de longue date, le Gabon reste en effet très impliqué dans la recherche d’une solution politique en RCA. Avec les Congolais et les Equato-guinéens, l’essentiel des soldats du contingent de la CEMAC en Centrafrique est gabonais. Et la logistique est française. Ce contexte éclaire l'appel lancé par François Bozizé à une coopération militaire régionale.

Pour l'heure, encore selon le message gabonais, la CEMAC envisage plutôt le retour de ses soldats dans leurs pays respectifs, «au terme des opérations de sécurisation et d'évacuation des ressortissant étrangers». Quatre-vingts ont d'ores et déjà été évacués, dimanche, par des Transall de l'armée française. D'autres rotations devaient avoir lieu lundi.

A Bangui, lundi, la radio diffusait toujours de la musique militaire entrecoupée de bulletins d’informations et des messages des nouvelles autorités. Mais l’émetteur ondes courtes est coupé et les Centrafricains du reste du pays n’ont plus accès à leur radio nationale. Quant au président déchu, Ange-Félix Patassé, il se trouvait toujours à Yaoundé ce lundi où des discussions sont en cours pour lui trouver un pays d’accueil. A ce stade du conflit centrafricain, on imagine mal comment il pourrait se lancer à la reconquête de son pouvoir. Il ne dispose pas d’armée nationale en mesure de se battre. Les soldats du contingent international CEMAC n’ont pas compensé le départ de ses différents soutiens militaires, miliciens tchadiens et libyens et mercenaires congolais. Militairement affaibli, son régime n’a pas tenu.

A Paris, «l'Assemblée parlementaire de la francophonie condamne fermement la prise du pouvoir par la force en Centrafrique» et la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme applique à l’égard du nouveau régime le même traitement qu’envers le précédent : l’organisation «condamne» et «dénonce les graves violences qui accompagnent cet ultime coup de force et en particulier les pillages systématiques en cours».



par Georges  Abou

Article publié le 17/03/2003