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Irak

Divisé, le Conseil de sécurité pense à l'après-guerre

Au cours d'une étrange séance, le Conseil de sécurité a examiné hier le programme de travail des inspecteurs de l'ONU... qui venaient d'évacuer l'Irak. Divisé sur la question de la guerre, le Conseil tente de se réconcilier autour de la reconstruction de l'Irak et de l'aide humanitaire à apporter aux Irakiens.
De notre correspondant à New York (Nations unies)

Hans Blix était le premier à reconnaître l'ironie de la situation. Alors qu'il présentait son programme de travail au Conseil de sécurité, les derniers inspecteurs évacuaient l'Irak, dans l'attente de l'invasion américaine. «J'éprouve naturellement de la tristesse» a reconnu le chef des inspecteurs de l'ONU, déplorant que «plus de temps n'ait pas été donné aux inspections et qu'une action armée semble imminente». Dans la mesure où il avait distribué lundi soir son rapport au Conseil de sécurité, Hans Blix n'a pas énuméré les principales tâches de désarmement qui restent à accomplir en Irak. Il s'est toutefois montré ouvert aux propositions de certains pays, qui proposaient, au lieu de recourir à la force, de régler un à un les problèmes en les accompagnant d'un calendrier précis : résoudre en mars la question de l'anthrax et du gaz innervant VX, la question des drones en avril... Hans Blix a également appelé le Conseil de sécurité à redéfinir le rôle de ses inspecteurs, dans la mesure où même si les résolutions ayant créé son équipe ont toujours force de loi, la situation sur le terrain rend leur travail impossible.

La séance du Conseil de sécurité, quelque peu surréaliste alors que les médias du monde entier attendaient le coup d'envoi de la guerre, avait été demandée à l'insistance de la France, de l'Allemagne et de la Russie. «Nous avons décidé de venir pour marquer notre responsabilité à un moment très important pour la communauté internationale. Pour nous tous, il y avait une autre option, celle du désarmement pacifique de l'Irak. Cette option est soutenue par une très large majorité de la communauté internationale» a expliqué Dominique de Villepin. Ses homologues américain et britannique, Colin Powell et Jack Straw ont préféré ostensiblement boycotter la séance, jugée «inutile» en privé par les diplomates anglo-saxons. Seuls les pays ouvertement hostile à la guerre, la France, la Russie, l'Allemagne et la Syrie étaient représentés par leurs ministres des Affaires étrangères, ainsi que la Guinée. «L'Allemagne rejette solennellement la guerre» a affirmé Joschka Fischer. «Aucune décision n'autorise le recours à la force contre l'Irak en dehors du cadre de la charte des Nations unies» a pour sa part estimé Igor Ivanov. Plusieurs pays, dont le Mexique et le Chili, ont également affirmé que l'ONU aurait pu pacifiquement désarmer l'Irak.

Restaurer l’unité du Conseil

Le ministre français s'est livré à une charge sévère contre l'attitude américaine. «L'irruption de la force dans cette zone si instable ne peut qu'accroître les tensions, les fractures dont se nourrissent les terroristes» a-t-il prévenu. Son intervention avait également pour but de préparer l'après guerre. «Au fracas des armes doivent répondre d'un seul et même élan l'esprit de responsabilité» a-t-il expliqué. L'idée générale est de restaurer l'unité du Conseil de sécurité autour des tâches urgentes qui se profilent à l'horizon. Pour Dominique de Villepin, cette réconciliation des Nations unies est indispensable pour «panser les blessures de la guerre» à travers la reconstruction politique et économique de l'Irak, mais aussi, à plus court terme, à travers l'assistance humanitaire et la poursuite du programme humanitaire pétrole contre nourriture.

En vertu de ce programme, le régime irakien est autorisé à vendre du pétrole, en échange de médicaments, de nourriture et de biens humanitaires. Mais depuis lundi, les employés de l'ONU chargés de contrôler les denrées qui entrent ont été évacués. L'aide ne passe donc plus. Normalement, elle était principalement distribuée à travers un vaste réseau de fonctionnaires irakiens. Toute la population irakienne, soit près de 25 millions de personnes, bénéficiait de cette aide massive, qui se chiffre en milliards de dollars. Pour 60% des Irakiens, il s'agissait de la seule source de subsistance. En prévision de la guerre, des rations supplémentaires ont déjà été distribuées. Selon les spécialistes de l'humanitaire, la plupart des gens ont de quoi tenir environ six semaines. Mais les familles les plus pauvres revendent parfois ces rations, contre des médicaments et des biens de première nécessité. Pour ces gens-là, et pour les centaines de milliers de personnes qui pourraient être jetées sur les routes, la situation risque d'être rapidement très grave. Kofi Annan devait d'ailleurs hier faire des propositions au Conseil pour réadapter le programme à l'Irak de demain.

A la fin de la séance du Conseil, le secrétaire général de l'ONU a toutefois rappelé que «selon le droit international, la responsabilité pour protéger les civils lors d'un conflit incombe aux belligérants et, dans toute zone d'occupation militaire, la responsabilité de l'assistance aux populations repose sur la puissance occupante». Selon le Secrétaire général de l'organisation, les «Nations unies feront tout pour aider». «Des millions de personnes à travers le monde sont déçues par la perspective d'une guerre imminente» a rajouté Kofi Annan selon lequel il s'agit d'un «triste jour pour l'ONU et la communauté internationale». Alors que l'ambassadeur américain à l'ONU insistait sur les dizaines de millions d'aide humanitaire prévus pour l'Irak, l'ambassadeur irakien, Mohammed al-Douri, a rétorqué : «Le fait que les Etats-Unis se soient engagés à reconstruire les infrastructures qu'ils s'apprêtent à détruire est pour nous une source de joie sincère». Mais en dépit de cette passe d'arme diplomatique, un consensus semblait se dessiner au sein du Conseil pour engager l'ONU dans l'aide humanitaire et la reconstruction, même si selon les mots d'un diplomate, «il s'agit de faire le sale boulot des Américains».



par Philippe  Bolopion

Article publié le 20/03/2003