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L''affaire Elf

Loïk Le Floch-Prigent livre ses premiers aveux

Devant le tribunal correctionnel de Paris, Loïk Le Floch-Prigent, l'ancien PDG d'Elf a créé la surprise en reconnaissant, pour la première fois et sans ambiguïté, l'existence d'une «caisse noire» au sein du groupe pétrolier, destinée notamment à des «interventions politiques» en France, avouant au passage avoir lui-même bénéficié de «certains règlements».
Absent à l’ouverture du procès, le 17 mars dernier, avant d’assister le lendemain à tous les débats, l’ancien patron d’Elf entre 1989 et 1993, fragilisé physiquement et psychologiquement depuis le début de ses ennuis judiciaires, a été mis en difficulté, tous comme les autres prévenus - Alfred Sirven , André Tarallo… etc. - par un président pugnace et habile, l’obligeant à se positionner clairement sur certains points de l’affaire. S’en tenant strictement aux faits, Michel Desplan n’a donc laissé aucun répit aux protagonistes ; sans relâche, il les a questionnés, les a confrontés, et a relevé leurs contradictions. Une stratégie qui s’est avérée payante puisqu’elle a notamment permis, depuis le début du procès, de pousser Alfred Sirven à reconnaître qu’il avait mélangé ses deniers personnels et l’argent d’Elf.

Ainsi, le 25 mars, Loïk Le Floch-Prigent a reconnu que des sommes détournées des caisses du groupe avaient servi à des fins de corruption politique. «J’ai su l’existence d’une caisse noire à Elf, notamment pour des interventions politiques (…) Cette pratique, je l’ai tolérée car elle a servi à Elf», a-t-il dit avant d’avouer avoir bénéficié «indirectement de certains règlements», affirmant même qu’il le «regrettait vivement» et d’ajouter qu’il donnerait des détails plus tard. Toutefois, Loïk Le Floch-Prigent n’a livré, pour le moment, ni les noms ni les partis des éventuels bénéficiaires de cette caisse noire. Une déclaration qui est intervenue au terme d’un après-midi au cours duquel il avait été mis à mal par ses deux principaux co-prévenus, Alfred Sirven et André Tarallo.

André Tarallo se cache derrière Omar Bongo

Auparavant, Alfred Sirven, l’ancien directeur des Affaires générales du groupe, avait reconnu avoir reversé une partie de l’argent de cette caisse noire à Loïk Le Floch-Prigent. «Il est arrivé un certain moment où j’ai sorti de l’argent pour des choses le concernant. J’ai réglé des choses pour lui», a déclaré l’ancien dirigeant, incarcéré depuis février 2001. Poursuivi pour abus de biens sociaux à hauteur de 183 millions d’euros, l’ancien PDG est soupçonné de s’être enrichi personnellement, en se faisant notamment financer un appartement ou payer son divorce par le groupe pétrolier.

D’autre part, lundi 24 mars, à la reprise du procès, André Tarallo qui a également été mis en difficulté, a affirmé sans toutefois convaincre que les comptes suisses qu’il détenait, alimentés par l’argent du groupe, appartenaient en fait au président du Gabon Omar Bongo. «Ces comptes là, ce sont les comptes habituels du président Bongo. Comme d’autres comptes que je ne citerai pas», a-t-il fini par lâcher devant le tribunal, après avoir éludé les questions de Michel Desplan. Ce dernier a en effet malmené le «Monsieur Afrique» d’Elf en lui faisant remarquer que son épouse prénommée Colette avait procuration sur certains de ces comptes. «Je ne m’en souviens plus. Il n’y avait pas lieu, c’était une erreur de ma part», lui a répondu André Tarallo. «Le tribunal est un peu surpris. Comment se fait-il qu’un homme aussi intelligent que vous, sorti d’une école prestigieuse, ait pu faire une telle erreur, mettre une procuration à son épouse sur des comptes qui porteraient sur des commissions aussi sensibles ?», lui a rétorqué Michel Desplan.

Sur ces commissions destinées aux chefs d’Etat africains, Loïk Le Floch-Prigent a expliqué, ce mardi, qu’une partie de cet argent versé à l’occasion de marchés pétroliers en Afrique étaient en fait destiné aux chefs d’Etat du continent et notamment à ceux du Gabon, du Cameroun, du Congo ou encore de l’Angola. «Et à quoi servait ces commissions ?» interroge le président du tribunal. «Le président gabonais aimait bien financer son opposition. C’était sa manière à lui d’avoir un pays calme» commente l’ancien PDG. Des propos confirmés par André Tarallo et Alfred Sirven.



par Clarisse  Vernhes

Article publié le 26/03/2003