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Le système des bonus occultes (extrait de l'ordonnance de renvoi)

L'ordonnance de renvoi (la décision du juge d’instruction qui conduit les prévenus de l’affaire Elf devant le tribunal) contient l'exposé des faits qui leur sont reprochés et indique leur qualification juridique. L’ordonnance de renvoi (pages 48 à 51) détaille l’un des systèmes mis en place au sein d’Elf pour procéder aux détournements de fonds : les bonus accultes.
A qui étaient destinés ces bonus?

M. TARALLO ( D 36245) a donné de nombreux exemples de versements de bonus. Le Gabon, de par sa position en Afrique, a été particulièrement efficace, et donc recherché, pour la mise en place de la politique de développement du groupe. Au cours de la période 1990-1997, les interventions souhaitées par ELF et appuyées par des autorités africaines ont été nombreuses et importantes puisque se sont alors constitués les domaines miniers au Nigeria, en Angola, au Gabon et au Congo qui sont les plus productifs aujourd'hui et qui constituent les perspectives les plus importantes.

Il a cité les exemples suivants :

- au Gabon, 40 millions de $ versés de 1990 à 1993 pour le gisement RABI qui est, de très loin, le plus gros gisement du pays (comptes COLETTE et CENTURI approvisionnés par M. SIRVEN),

- au Congo, 10 et 25 millions de $ pour les permis en eaux profondes dans les années 1992 à 1997, versés, en accord avec les présidents Le FLOCH PRIGENT et JAFFRÉ, dans les comptes de la FIBA et dans les comptes off- shore qui étaient contrôlés par le président LISSOUBA (circuit RIVUNION et SOFAX),

- au Nigeria et en Angola, durant la période 1992-1997, alors que les pays étaient en état de guerre civile permanente, des bonus ont été versés en contrepartie de l'obtention de blocs en mer sur lesquels ELF a pu obtenir une place importante et le rôle d'opérateur.

En outre, a poursuivi M. TARALLO (D 36244), du fait des relations personnelles entre les Chefs d'État de ces pays, l'intervention que l'on peut faire auprès de l'un d'entre eux est la meilleure introduction que l'on puisse obtenir auprès d'un autre chef d'État. Ce type d'interaction est très utile en Afrique. Ce fut le cas de M. SASSOU pour l'Angola en 1990 et de M. BON GO auprès des présidents successifs du Nigeria. De même, a expliqué M. TARALLO, le président BONGO est intervenu pour permettre à ELF d'obtenir un intérêt dans la recherche du pétrole au Tchad.

M. ISOARD a, lui aussi, donné de nombreux exemples de commissions versées jusqu'à son départ à la retraite en janvier 1998 (D 38304). La pratique des bonus n'a en effet oas cessé, même si elle a diminué, sous la présidence de M. JAFFRÉ.

Selon M. ISOARD, des engagements ont ainsi été pris au Nigeria dans les années 1989-1990. un permis d'exploration ayant été accordé grâce à un intermédiaire, M. ODUGWU, nigérian en cours auprès des autorités. Des paiements sont intervenus en Syrie lors de l'attribution du permis de DEIR EZOR en 1992-1993, lors de la mise en production du gisement découvert (de mémoire en 1995 sous la présidence de M. JAFFRÉ), puis lors du franchissement d'un certain seuil de production (18 mois plus tard); [...] les paiements ont été en Syrie de l'ordre de 2 millions de $ par étape; l'intermédiaire était M. HASSAN, syrien introduit auprès du Ministre du Pétrole et peut-être auprès du Chef de l'État; M. HASSAN se chargeait de rétribuer le Ministre du Pétrole de façon à ce que tes affaires aboutissent; nous avons constaté son efficacité.

Au Qatar, M. HASSAN a également servi d'intermédiaire pour des montants équivalents lors de l'attribution d'un permis off-shore en 1993, 1994 [...] M. HASSAN désignait une société off-shore. Ces commissions étaient visées par te président qui en référait au Secrétariat Général de l'Elysée.

Au Congo, M. ISOARD a "initié" un paiement de 4 millions de $ en 1996 en faveur du Ministre du Pétrole M. KOUKEBENE, avec l'accord de M. JAFFRÉ, par le canal de la direction financière sur une société off-shore ; des paiements importants, comme celui- là, ne se faisaient jamais sans la signature du président, qu'il s'agisse de M. LE FLOCH PRIGENT ou de M. JAFFRÉ.

M. GRUNDMAN, qui a occupé des fonctions importantes à la direction de l'exploration production et à la direction financière du groupe (5 juin 2001), a donné lui aussi donné de nombreux exemples, au Nigeria (de 1994 à 1996), au Congo (plusieurs millions de $), au Gabon (en millions de $), en Angola (à l'attention du pouvoir en place, celui de M. DOS SANTOS), en Libye (en millions de $, de 1994 à 1997 pour la signature de contrats de partage de production), en Syrie (pour plusieurs millions de $ via M. HASSAN). au Qatar, à Abou Dhabi, en Equateur, en Russie, au Kazakhstan et en Azerbaïdjan.

M. SIGOLET a cité l'exemple du Congo où de nombreux bonus ont été distribués, //s atteignaient 3 à 5 millions de $.

Section 5 La répartition des tâches entre MM. SIRVEN et TARALLO

Sous-section 1 La répartition territoriale

Avec la nomination du nouveau président M. LE FLOCH PRIGENT, suivie de celle de son directeur des affaires générales M. SIRVEN. le problème s'est posé de répartir les compétences africaines entre M. TARALLO, pilier du groupe en Afrique depuis de nombreuses années et proche de plusieurs chefs d'État africains, et M. SIRVEN qui souhaitait jouer un rôle en Afrique.

Selon M. TARALLO (D 30546), le système de financement occulte a toujours fonctionné au sein de la société sous le contrôle du président. Pour M. TARALLO, les commissions, c'était un vrai travail et une vraie responsabilité de direction générale (D 42899-12).

Le partage entre M. SIRVEN et moi-même est intervenu au début de la présidence de M. LE FLOCH PRIGENT, sans doute après qu'il ait parlé de ce problème avec le Président de la République dans les conditions qu'il a évoquées, sans que je puisse être aujourd'hui plus précis.

Jusqu'alors, je tenais le rôle de financier occulte, a admis M. TARALLO (D 30546). En 1989, le décor a changé d'un seul coup. M. SIRVEN, nommé directeur des affaires générales, mais en fait essentiellement chargé d'opérations ponctuelles, s'est imposé comme le financier occulte en titre d'ELF avec l'accord du président. Le schéma en place au sein du groupe ELF a été profondément modifié par l'arrivée de M. SIRVEN. C'est lui qui s'est occupé de bon nombre de négociations concernant des prises d'intérêts dans les différentes sphères d'activités du groupe. C'est donc lui qui a organisé les versements financiers aux. intermédiaires et aux responsables étatiques et il était seul à même de présenter une vision de l'ensemble du contenu de chacun de ces versements. C'est pour cette raison qu'il apparaissait jouer le rôle de financier occulte du groupe.

Mais M. TARALLO (D 37906) a ajouté qu'en ce qui concerne les pays africains, M. SIRVEN n'avait connaissance ni des dossiers, ni des personnes. C'est pour cette raison qu'il s'est attaché à nouer des contacts avec des personnalités non officielles ou en attente d'attribution de fonctions ou de pouvoir. Il allait en cela à rencontre de la politique suivie par ELF jusqu'à lui. Il était donc très dépendant de mes connaissances pour la partie officielle des relations avec ces pays africains. Il se trouvait donc dans l'obligation, même s'il a pu le regretter, de faire appel à moi pour continuer à assurer l'exécution des engagements d'ELF à l'égard de ces personnes.

Ainsi M. TARALLO a-t-il conservé, après arbitrage de M. LE FLOCH PRIGENT, ses relations avec les chefs d'État en place au Gabon, au Congo, au Nigeria, en Angola et au Cameroun. La personnalité de M. SIRVEN était telle qu'elle suscitait la méfiance des Chefs d'État africains^ a expliqué M. TARALLO ( D 30545). M. SIRVEN revendiquait les fonds secrets. Il a créé de nouvelles sociétés off-shore. Il n'a pas réussi à prendre ma place du fait de l'opposition des interlocuteurs africains. En définitive, j'ai conservé le contrôle des interlocuteurs africains traditionnels, exclusivement les Chefs d'État en place.

M. SIRVEN a financé les autres mouvements ("opposition,) et a assuré les financements occultes des autres pavs du monde, les pavs "nouveaux", tels que la Russie, l'Ouzbékistan, la Chine, la Malaisie. M. SIRVEN a mené des actions dans 4 des 5 pays africains dans lesquels le groupe était producteur: le Cameroun, le Gabon, le Congo et l'Angola (D 42927-4). Il n'avait pas toujours les mêmes interlocuteurs que moi. Notamment, il n'avait pas de relations établies avec les responsables pétroliers, ministres ou décideurs des sociétés nationales de ces pays, à l'exception du Cameroun (D 42927-3).

M. SIGOLET (D 40282-6) a confirmé que M. TARALLO travaillait moins avec les Camerounais et les Nigérians.

Il y a eu, a précisé M. TARALLO (D 42899-12), entre M. SIRVEN et moi des arbitrages mais aucune hostilité. M. SIRVEN avait son domaine. Je conservais le mien. Pour réunir les moyens nécessaires aux personnalités dont lui et moi assurions le suivi, il fallait bien mettre en place des instruments financiers et en assurer l'approvisionnement. C'est ainsi que ce partage avait été établi sans qu'il n'y ait d'autres significations qu'un objectif de travail.

La condition du bon fonctionnement du partage, a ajouté M. TARALLO (D 42927-3). était que je n'interfère pas dans les actions de M. SIRVEN. M. SIRVEN ne m'informait pas des actions qu'il menait et je ne lui posais pas de questions. La volonté de M. LE FLOCH PRIGENT a été de compartimenter les interventions de M. SIRVEN et les miennes et il a pris les décisions à cet effet (D 30545).

Sous-section 2 La répartition des flux financiers

M. TARALLO conservait la haute main sur les abonnements (versés, via le TRADING aux décideurs politiques africains en place cf infra Les abonnements), les préfinancements concernant les 3 Etats placés sous son contrôle et les bonus afférents aux pouvoirs en place au sein de ces mêmes Etats.

Mais, précisément, comment ont été répartis les bonus crédités par RIVUNION?

L'examen des comptes off shore de M. SIRVEN révèle l'existence de virements importants au crédit de ces comptes provenant directement de RIVUNION.
M. TARALLO. qui avait un large pouvoir d'initiative quant à la procédure suivie pour les frais de pré-reconnaissance, n'a vu, bien souvent, ses comptes crédités que par le débit de ceux de M. SIRVEN, les comptes de M. SIRVEN se situant en amont et ceux de M. TARALLO en aval.

Article publié le 29/01/2003