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Décryptage de la stratégie africaine d’Elf: les Etats afriacins concernés (Angola)(extrait de l'ordonnance de renvoi)

L'ordonnance de renvoi (la décision du juge d’instruction qui conduit les prévenus de l’affaire Elf devant le tribunal) contient l'exposé des faits qui leur sont reprochés et indique leur qualification juridique. De la page 70 à la page 105, l’ordonnance de renvoi examine spécifiquement le rôle et la place des filiales africaines de Elf dans les circuits de financement occulte ainsi que le rôle de la compagnie pétrolière dans ces pays africains. RFI vous propose le texte intégral de cette partie de l’ordonnance de renvoi.
Titre 3 : L'Angola

L'examen des comptes de M.SIRVEN a révélé que d'importants transferts de fonds ont crédité ses comptes et que ces flux sont liés à l'activité d'ELF en Angola.

Section 1 L'implantation du groupe

L'Angola dispose de réserves pétrolières importantes.

Le pays est en guerre depuis de nombreuses années. Selon M. BOHN, grand reporter qui connaît bien l'Angola et qui a été salarié d'ELF AQUITAINE INTERNATIONAL de fin 1991 à mars 1995, le MPLA. qui est au pouvoir, est dominé par une ethnie majoritaire, les Kibumdus, plutôt situés autour de Luanda et sur la côte. A l'inverse, L'UNITA est fondée sur l'alliance entre les Ovimbundus (42 % de la population angolaise habitant sur le plateau central) et celle des Bakongos (15 % de la population angolaise, plutôt au Nord le long de la frontière).

Selon M. SIGOLET, le premier contrat a été négocié par ELF en Angola en 1978.
Le bloc 3 situé au Nord Ouest de Luanda a été attribué en 1979 à un groupe de sociétés pétrolières dont ELF était l'opérateur.
J'ai mis en place la filiale ELF AQUITAINE ANGOLA, société de droit français. L’exploration a abouti à la découverte de plusieurs gisements qui ont été rapidement mis en production, dont PALANCA et PACASSA. Ce contrat a été négocié avec le gouvernement angolais de l'époque et avec la société SONANGOL détenue à 100% par l'État angolais. [...] J'ai eu notamment à négocier quelques aménagements aux contrats de partage de production dans les années 1986-1987.

J'ai fait la connaissance du président angolais DOS SANTOS au début des années 1990 en présence de M. TARALLO. Celui-ci m'a demandé aux alentours des années 1990, avec l'accord du président du groupe et du directeur financier, de monter une opération de préfinancement J'avais déjà monté de telles opérations au Congo (1978), au Gabon (1983-1984) et au Cameroun (1985).
L'Angola avait besoin d'argent; une mission angolaise, composée de représentants importants du pays, était en relation avec la présidence du groupe et M. TARALLO. Les réunions avaient lieu soit à Luanda, soit à Paris à un haut niveau.

Les Angolais demandaient 50 à 100 millions de $ et acceptaient d'affecter une partie de la part de brut revenant à SONANGOL au remboursement du pré-financement

D'autres opérations de pré-financement ont été mises en place en Angola par M. SIGOLET:

• 200 millions $ en 1992-1993 tors du renouvellement d'un bloc important pour ELF;
• 50 millions $ en 1994.

Selon M. SIGOLET, qui est Fun des conseillers de M. DOS SANTOS, il y en a eu d'autres par la suite.
La République d'Angola et/ou la BANQUE NATIONALE D'ANGOLA disposait d'un compte à la FIBA. Ce compte, selon M. SIGOLET, était crédité pour partie par les contrats de pré-financement.

Le gouvernement en place est le MPLA, dirigé par M. DOS SANTOS. longtemps marxiste et soutenu par le régime cubain. Il existe un parti d'opposition, en guerre avec le gouvernement, L'UNITA, dirigée par M. SAVIMBI. Face à cette situation, le groupe ELF. sous la présidence de M. LE FLOCH PRIGENT, a soutenu le MPLA (M. TARALLO), mais aussi LUNITA (M. SIRVEN).

Section 2 Le financement du MPLA (M. TARALLO)

En Angola, a expliqué M. TARALLO, j'avais tous les contacts nécessaires avec les autorités officielles, M. SIRVEN avait les contacts avec LYNITA.

Je connaissais, a expliqué M. TARALLO, des personnalités en place et au premier chef, le Chef de l'Etat M. DOS SANTOS. ELF a pu obtenir des blocs en mer dans les années 1992-1997.{...] J'étais très écouté parce que j'avais démontré l'attachement que je portais aux problèmes de ce pays, à la fois dans le domaine politique et dans l'effort qu'ils faisaient pour développer leurs ressources naturelles. Ce pays était en état de guerre permanente et portait de ce fait de l'amitié aux personnes qui se préoccupaient d'apaiser les conflits tout en soutenant les autorités légales en place. C'étaient MM. LE FLOCH PRIGENT et JAFFRÊ qui recevaient mes avis et décidaient de mes interventions.

Selon M. SIGOLET, M. SASSOU est intervenu en 1989 ou 1990 auprès du Gouvernement angolais pour appuyer ELF. M. SASSOU était à ce moment là au pouvoir au Congo et l'octroi du bloc relevait du Gouvernement en place en Angola. Quand un Chef d'Etat, intervenait, il était d'usage de lui verser un bonus.

Selon M. ISOARD. M. LE FLOCH PRIGENT lui a fait comprendre que des mises sur l'opposition pouvaient se valoriser en cas de changement de régime.

Section 3 Le financement de L'UNITA (M. SIRVEN)

Les négociations

Un premier compte suisse utilisé par M. SIRVEN, NESBIT (LORDPARTNERS)

• a été crédité de plusieurs virements échelonnés du 19 février au 4 septembre 1992 ;
• par le débit de RIVUNION.
• Ces virements représentent un montant global de 23 millions de dollars.
• NESBIT a été débité:
• de 16,6 millions de dollars en faveur du compte de L'UNITA {NATWEST),
• du reste, soit 6.360.000 dollars, en faveur de son compte MINERAL à la BDG Lausanne (cf infra Livre troisième, Les comptes de M. SIRVEN).

Un second compte suisse utilisé par M. SIRVEN, VALDECK (LORDPARTNERS)

• a été crédité de 9 M$ le 21 janvier 1992 ;
• dont 6 M$ ont crédité le compte NATWEST de FUNITA ;
• le reste, soit 3M$ ayant crédité le compte MINERAL.

Les négociations ont été menées par le canal de M. VERWAERDE, député européen membre du parti Républicain, dont les sympathies allaient vers le mouvement de M. SAVIMBI (UNITA). hostile au régime marxiste de M. DOS SANTOS. Le compte suisse de M. VERWAERDE, le compte SALADE, a été crédité de virements provenant des comptes de M. S1RVEN (cf infra Livre troisième, Les comptes annexes).

A la fin de l'année 1990, a expliqué M. VERWAERDE, M. SAVIMBI a tenu des propos très durs à rencontre d'ELF. Il reprochait à ELF d'avoir outrepassé son rôle économique et d'avoir joué le rôle d'un agent politique. Il accusait ELF d'avoir financé des opérations militaires, et en particulier des hélicoptères, menées par le gouvernement en place contre L'UNITA.

M. SAVIMBI a expliqué M. VERWAERDE, était furieux qu'ELF paie à M. DOS SANTOS des hélicoptères qui les mitraillaient.

M. SAVIMBI menaçait ainsi de faire sauter les installations pétrolières d'ELF en représailles.

J'avais des liens personnels avec M. SAVIMBI et je l'avais vu à plusieurs reprises. Devant se rendre en Angola en janvier ou février 1995 avec deux autres députés, M. VERWAERDE a pris rendez-vous avec M. LE FLOCH PRIGENT, qu'il a rencontré à la Tour ELF.
Il était très sceptique sur ridée que les choses pourraient s'arranger entre ELF et L'UNITA. En effet, ELF appuyait le gouvernement en place qui contrôlait les puits de pétrole. Ce jour-là, M. LE FLOCH PRIGENT m'a présenté M. SIRVEN en me disant qu'il fallait que je vois avec lui les suites de mon voyage.

Lorsqu'il a rencontré M. SAVIMBI sur le sol africain, M. VERWAERDE a mis les pieds dans le plat sur l'affaire ELF en présence de ses collègues. Manifestement, a expliqué M. VERWAERDE, Il était bloqué sur l'évolution de sa position sur ELF. A la fin de la conversation, je lui ai dit qu'il était assis sur un tabouret à trois pieds, américain, portugais et français et que s'il se fâchait avec ELF, il perdrait le soutien français et ne pourrait plus être assis que sur un tabouret à deux pieds. Il m'a alors dit: "Yves, voyez, je n y crois pas, mais essayez".

En rentrant, j'ai fait un compte rendu à M. SIRVEN en lui disant que M. SAVIMBI avait laissé entr'ouverte une porte. M. SIRVEN m'a alors conseillé de faire état auprès de M. SAVIMBI. de ce que la nouvelle équipe était plus réceptive et que le soutien au gouvernement en place relevait de l'ancienne équipe en place, celle de M. TARALLO, qui conduisait la politique officielle d'ELF. Il m'a demandé d'être particulièrement discret afin de ne pas gêner la politique officielle du groupe. Pendant plusieurs mois, j'ai joué le rôle d'intermédiaire entre M. SIRVEN d'une part, et, d'autre part, M. SAVIMBI et son entourage. [...]

Fin juin 1991, j'ai rencontré, avec M. SIRVEN, M. LE FLOCH PRIGENT afin de lui proposer d'organiser une rencontre avec M. SAVIMBI et son entourage. Cette rencontre a eu lieu peu après à Bruxelles dans un grand hôtel. Nous y sommes allés avec le Falcon 900 de M, LE FLOCH PRIGENT. Nous avons discuté à 4 avec M. SAVIMBI environ une heure. Puis MM. SAVIMBI et Le FLOCH PRIGENT ont discuté en tête-à-tête pendant un quart d'heure.

Lors de la conversation à 4, j'ai abordé la question d'argent en faisant ressortir les besoins de L'UNITA pour la campagne électorale programmée en septembre 1992. A l'issue des entretiens qui s'étaient merveilleusement déroulés, M. LE FLOCH PRIGENT m'a dit qu'il avait été impressionné par M. SAVIMBI et que, s'il prenait le pouvoir, il serait le De Gaulle de l'Afrique.

Dans les temps qui ont suivi, j'ai reparlé de cette histoire de financement à M. SIRVEN qui m'a dit qu'il était hors de question qu'ELF donne le moindre argent à L'UNITA tant qu'il ne serait pas arrivé à un accord effectif avec eux. L'UNITA me sollicitait pou! obtenir une aide d'ELF.

Par la suite, M. VERWAERDE a poursuivi les négociations qui ont abouti à un accord
les 25. 26 et 27 août 1992 lors d'un voyage de M. SIRVEN à Huambo.
Auparavant, M. SIRVEN avait rencontré M. SAVIMBI en Angola le 14 décembre 1991
(avec M. VERWAERDE) ainsi que M. CHITUNDA, représentant de L'UNITA, au Gabon le 8 février 1992.
Les propos de M. VERWAERDE ont été confirmés par M. BOHN, qui a organisé
plusieurs de ces rencontres (notamment celle de Bruxelles).

Par la suite, M. SIRVEN a rencontré le représentant de L'UNITA à Londres, M. SAMAKUVA à la mi-novembre 1992. Puis MM. SIRVEN et VERWAERDE sont retournés à Huambo pour voir M. SAVIMBI et régler les problèmes de sécurité des plate-forme pétrolières de Soyo fin novembre 1992. D'autres rencontres entre M. SIRVEN, VERWAERDE et des représentant de L'UNITA se sont produites durant le premier semestre 1993.

M. ISOARD avait appris un jour que l'avion de SIRVEN s'était posé à proximité de la résidence de M. SAVIMBI. qui était à la tête de l'opposition (L'UNITA). Il en a informé M. LE FLOCH PRIGENT qui lui a fait comprendre que des mises sur l'opposition pouvaient se révéler fructueuses en cas de changement de régime. La démarche de M. SIRVEN était apparue risquée à M. ISOARD, car ELF traitait normalement avec le gouvernement en place.

Selon M. BOHN, à sa connaissance, l'accord conclu donnait à ELF un rôle leader en Angola si L'UNITA arrivait au pouvoir. L'une des illustrations de cet accord, c'est qu'à aucun moment, en dépit de combats, ELF n'a eu à déplorer la perte de personnels ni même je crois d'un seul jour d'arrêt de production. […] De mémoire, à chaque fois que j'ai emmené M. SIRVEN en Angola, je ne l'ai jamais vu se promener avec des valises. Je l'ai emmené dans des conditions difficiles, y compris des conditions de guerre avec M. VERWAERDE.

Selon M. VERWAERDE M. SIRVEN refusait de donner l'argent d'ELF tant qu'un accord ne serait pas conclu. Les 25-26-27 août 1992, lors du voyage que j'ai fait avec M. SIRVEN à Huambo, un accord est intervenu entre M. SAVIMBI et L'UNITA d'une part, et M. SIRVEN et ELF d'autre part. Cet accord précisait les conditions dans lesquelles ELF pourrait continuer son exploitation en Angola dans l'hypothèse d'un succès de M. SAVIMBI aux élections. A la demande de M. SIRVEN, dans le cadre de ce contrat, le secrétaire général de L'UNITA a signé un reçu qui, d'après M. SIRVEN, lui était indispensable pour obtenir la défiscalisation des montants accordés à L'UNITA par ELF. Je souhaite à cet égard la levée du secret-défense. Cette levée permettrait de démontrer que le versement effectué par ELF au profit de L'UNITA est intervenu avec l'accord de l'Etat français.

Nous verrons que ELF a effectivement financé L'UNITA par virement au profit d'un compte à Londres via deux comptes de M. SIRVEN (cf infra Livre troisième, Les comptes de M. SIRVEN), Les seules fois où on m'a parlé de ces Questions, a déclaré

M. BOHN. Il m'a toujours été dit que le Gouvernement français couvrait l'opération en termes de défiscalisation notamment. Selon M. SAMAKUVA, L'UNITA a remis un reçu à M. SIRVEN.
L'argent, selon lui, devait financer la campagne électorale. Il y avait une task force pour la campagne. On a parlé d'une vingtaine de millions de dollars. Je ne sais pas si l'argent a été payé en espèces ou s'il a été viré d'un compte off-shore.

Postérieurement à cet accord, des élections se sont tenues en Angola. Selon M. BOHN,
les élections ne se sont pas bien passées avec la complicité de l'ONU et des Américains. Il y avait un groupe d'observateurs politiques français qui n'a pas pu accéder eu point de regroupement de comptabilisation des votes. Ces élections ont été truquées. L'UNITA a perdu l'élection législative et le 2ème. tour de l'élection présidentielle n'a jamais eu lieu. M. DOS SANTOS n'a jamais été élu.

A l'issue de ce premier tour, des négociations s'amorcent entre L'UNITA et le MPLA à Luanda. En pleine négociation, en octobre 1992, le MPLA déclenche le massacre de milliers de cadres de L'UNITA et notamment des personnes qui ont joué un rôle important dans les négociations ELF/Unita: le vice président de L'UNITA de l'époque, M. CHITUNDA; le secrétaire général M. MANGO et une autre personne M. PENA. M. SAMAKUVA a échappé au massacre. Il est bien le numéro 2 ou 3 de L'UNITA. Il a été trésorier et représentant à Londres de L'UNITA (nous verrons que c'est par lui qu'est passé le financement d'ELF via le compte utilisé par M. SIRVEN). Il a été le principal négociateur des accords de Lusaka. C'est un homme important du dispositif.

Selon M. BOHN ajoute :Je rendais compte de mon activité parfois à M. LE FLOCH PRIGENT, mais le plus souvent à M. SIRVEN. Je n'ai jamais rendu compte à M. TARALLO.

Selon M. SAMAKUVA, te pays exporte "officiellement" environ 800.000 barils par jour. Pourtant le pays, qui compte plus de 10 millions d'habitants, vit dans la misère et la guerre.

Article publié le 29/01/2003