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Décryptage de la stratégie africaine d’Elf: le rôle de la Fiba (extrait de l'ordonnance de renvoi)

L'ordonnance de renvoi (la décision du juge d’instruction qui conduit les prévenus de l’affaire Elf devant le tribunal) contient l'exposé des faits qui leur sont reprochés et indique leur qualification juridique. De la page 70 à la page 105, l’ordonnance de renvoi examine spécifiquement le rôle et la place des filiales africaines de Elf dans les circuits de financement occulte ainsi que le rôle de la compagnie pétrolière dans ces pays africains. RFI vous propose le texte intégral de cette partie de l’ordonnance de renvoi.
Titre 4 : La FIBA

La FIBA (Banque française intercontinentale), qui avait ses locaux 30 avenue George V à Paris , a fait l'objet d'une perquisition le 7 mars 2000 .
Au cours de cette perquisition, des documents afférents à d'éventuels faits de blanchiment ont été découverts : ils font l'objet d'une enquête incidente diligentée par le parquet de Paris. Des carnets de mises à disposition d'espèces ont été saisis dans le cadre de la présente information.
Deux jours après la perquisition, dans la nuit du 9 au 10 mars 2000, la FIBA aurait fait l'objet d'un cambriolage.
Trois semaines plus tard, le 31 mars 2000, la FIBA a cessé ses activités. Elle a été mise en liquidation amiable le 1er juin 2000.


Quel était l'objet de la FIBA? Pourquoi a-t-elle été créée et à quelles fins a-t-elle été utilisée?

Pierre HOUDRAY, directeur général de la FIBA, et son président Jack SIGOLET s’en sont expliqués lors de deux auditions concordantes.

Que disent-ils ?

Section 1 Historique

Selon Pierre HOUDRAY et Jack SIGOLET, la FIBA a été créée en 1975 à l'initiative du président BONGO. soucieux de se doter d'un système bancaire afin de procéder à des investissements bancaires en dehors de son pays. Le quadruplement du prix du pétrole en 1974 générait en effet de nouvelles ressources pétrolières. Trois banques ont ainsi été créées :

la FIBA à Paris
la BGL (BANQUE DU GABON ET DU LUXEMBOURG) à Libreville
la SIBA (Société Internationale de Banque) au Luxembourg.

A cette époque, le groupe ELF n'apparaissait pas.


Dès l'origine, le président BONGO (fondateur de la banque) et ses proches détenaient 51% du capital de la banque. Ils n'étaient cependant pas majoritaires en droits de vote car le Trésor avait imposé le principe d'un vote double pour les actions détenues par les européens.
La FIBA était présidée par le gouverneur PLAS, ancien gouverneur d'une institution européenne. Quelques mois après la création de la FIBA, P. HOUDRAY en a été nommé directeur général.
Des difficultés n'ont pas tardé à apparaître. Le Gabon prit en effet des engagements de dépenses supérieurs à ses recettes immédiates. L'organisation d'une réunion de l'OUA à Libreville a généré en 1978 d'énormes dépenses.
Progressivement, la SIBA, transformée en société financière, a cessé son activité. C'est donc en 1978 qu'apparut ELF, année au cours de laquelle ELF prit 40% dans la FIBA, aux côtés d'autres investisseurs.

L'un de ses agents, François BAUZOU, fut nommé président en remplacement de M.PLAS.
En mai 1984, M. SIGOLET lui a succédé dans cette fonction, en accord avec le directeur financier d'ELF. M. BONNET DE LA TOUR, M. TARALLO et le président BONGO.
M. HOUDFLAY contrôlait la gestion de la banque.

La FIBA avait une triple activité:
• elle était le correspondant exclusif de sa banque sœur de Libreville (la BGL);
• elle accordait des crédits à Paris à des PME;
• et elle gérait les dépôts de Gabonais, qu'il s'agisse d'institutionnels (Ministère des Finances ou du Plan) ou privés (comptes du président BONGO, de ses proches ou de résidents gabonais).

Ces activités faisaient vivre les 27 à 30 personnes de la FIBA.

A titre d'exemple, la FIBA a consenti à M. DOSSOU. proche de M. BONGO, un prêt de 4.800.000 francs pour financer l'achat de deux appartements à Antibes le 29 décembre 1989. La FIBA a également consenti des prêts à des dirigeants du groupe ELF.

En 1986, la BGL est tombée en faillite. Lors du sommet de la francophonie en 1988, le président BONGO a souhaité que soit recréée une banque à Libreville. La FIBA y a donc ouvert une succursale en 1989. Comme le président BONGO était un proche du président congolais SASSOU, une seconde succursale a été crée à Brazzaville en 1990.
Les consignes données aux directeurs des deux succursales de Libreville et de Brazzaville étaient cependant strictes: il ne fallait pas consentir de crédits en raison des risques encourus. C'est donc la FIBA à Paris qui était chargée de gérer des comptes institutionnels et privés à la fois gabonais et congolais. S'y est ajoutée en 1994 la gestion d'un compte de la BANQUE NATIONALE DE L'ANGOLA, comprenant un sous- compte intitulé PRÉSIDENCE ANGOLA destiné à alimenter les comptes des ambassades de l'Angola dans près de 25 pays.

La FIBA apparaît donc comme une banque ayant été créée par le président BONGO auquel s'est associé ultérieurement le groupe ELF.
Elle a été au carrefour des relations entre le groupe' pétrolier français et plusieurs États africains (Gabon, Congo et Angola).
Des comptes y ont été ouverts au nom de ces États africains et des Ministres des Finances de ces États. Ces comptes étaient crédités notamment par des préfinancements, les redevances et les acomptes sur l'impôt sur les sociétés dû par les filiales africaines du groupe ELF aux États africains concernés.
Cela concernait essentiellement le Gabon et le Congo qui transféraient l'essentiel des fonds à Libreville et à Brazzaville.

Selon M. ISOARD, la FIBA avait pour rôle de conseiller les dignitaires africains et de leur remettre de l'argent liquide lors de leurs déplacements à Paris. Ils y avaient des comptes nominatifs. Cette banque leur rendait des services ainsi qu'à leurs proches et à leur famille dans une discrétion totale. Des remises d'espèces étaient fréquemment effectuées -et.pour des montants importants lorsqu'ils étaient de passage à Paris.

Les comptes étaient soient nominatifs, soient institutionnels (Ministère des Finances...), ce qui explique que ces derniers aient pu être crédités par des recettes pétrolières de l'État concerné.
Ainsi la FIBA a-t-elle été utilisée pour financer l'achat d'armes par le président LISSOUBA et son ministre des finances, M. MOUNGOUNGA, lors de la guerre civile du Congo de juin à octobre 1997. et ce grâce aux recettes pétrolières du pays ayant crédité le compte FIBA (cf infra, Le Congo).

Quant aux comptes nominatifs, ils paraissent avoir été crédités, via des comptes off- shore, de virements provenant d'ELF.
Ainsi que l'a déclaré M. HUSTACHE.La FIBA disposait de comptes personnels de certains chefs d'Etat africains couverts par l'immunité s'attachant à leurs fonctions.

C'est ainsi, par exemple, qu'un rapport transmis par la Commission Bancaire met l'accent sur les liens entre la FIBA et LE CRÉDIT FONCIER DE MONACO (CFM), première banque de la place. Si le rapport mentionne, au titre des clients du CFM le "réseau corse", il révèle également que cette banque gère une trentaine de comptes ouverts au nom d'hommes proches du pouvoir, voire des membres de la famille des présidents actuels du Gabon et du Congo. L'ensemble de ces comptes représente plus de 125 millions de francs d'avoirs. Or, à l'origine, un accord a été passé entre la FIBA et le CFM pour l'ouverture de comptes au CFM par les clients de la FIBA.

Ce rapport révèle également l'existence de comptes nigérians à Gibraltar ayant été crédités de 38 millions de $ en 1999-2000.

Section 2 Les comptes de M. BONGO et les importants mouvements en espèces

Selon M. HOUDRAY, les Gabonais n'ont pas confiance dans la monnaie scripturale et ne conçoivent que l'argent physique. Ils voulaient essentiellement des espèces.

M. HOUDRAY a précisé que le président BONGO disposait à la FIBA d'un compte personnel et d'un sous-compte ouvert ultérieurement à son nom avec un pouvoir délivré au président congolais M. SASSOU. Le compte personnel du président BONGO était essentiellement crédité par des transferts bancaires en provenance de Libreville, de Genève (CIBC), du Lichtenstein ou des Etats-Unis (en liaison avec M. ROGERS, dirigeant de la CITY BANK à Paris).

M. HOUDRAY évalue à un montant global de 30 à 40 millions de francs par an l'alimentation du compte du président BONGO. Ce compte était essentiellement débité de retraits en espèces effectués sur instructions téléphoniques du président BONGO et remis à des personnes, le plus souvent africaines, qui se présentaient à la banque.

Selon M. HOUDRAY, lorsqu'elles se présentaient, elles appelaient M. BONGO, se faisaient identifier de lui et il me donnait alors le montant des sommes à remettre. M. BONGO avait l'habitude de traiter ses affaires par téléphone sans laisser d'écrits et avait d'ailleurs une grande mémoire. Cinq ou six fois par an, j'allais le voir à Libreville pour lui rendre compte de la situation de son compte. Pour me couvrir, je faisais signer des reçus des personnes qui recevaient des fonds et les remettais en mains propres à M. BONGO, sans que la banque ou moi-même n'en aient conservé un double.

Ces opérations de retrait étaient comptabilisées sous l'écriture "votre retrait". En réalité, M. BONGO, qui ne s'est présenté qu'une fois à la banque, n'a jamais effectué lui-même un retrait. Les africains qui retiraient de l'argent, parfois pour plusieurs millions de francs, étaient des ministres du Gabon, des membres de sa famille, de son cabinet. J'ai également reconnu des congolais, à savoir des proches de la famille SASSOU ou des personnes de la propre ethnie de M. BONGO.

Quant aux comptes ouverts au nom d'institutionnels gabonais, tels que le Ministère des Finances ou TRADING PÉTROLE, ils fonctionnaient d'une manière classique. Ainsi le compte TRADING PÉTROLE recevait-il le produit de la vente de certaines cargaisons de pétrole appartenant à l'État gabonais et était mouvementé par le ministre des Finances lui-même.


Section 3 Les comptes congolais (MM. SASSOU et LISSOUBA)

En premier lieu, le président SASSOU disposait d'un compte de son gendre M. BONGO sur lequel il avait procuration (cf supra). Selon M. HOUDRAY, ce compte était crédité par des virements bancaires provenant de Suisse ou du Lichtenstein. M. SASSOU effectuait lui-même des retraits en espèces, des mises à disposition en faveur des proches de M. BONGO de façon nominative et des transferts en faveur de Libreville.

Le président SASSOU disposait aussi d'un compte personnel, peu mouvementé. Par contre, selon M. HOUDRAY un homme d'affaires très proche de lui, Pierre OTTO M'BONGO, qui appartenait à la même ethnie que lui, avait plusieurs comptes personnels et de société crédités pour partie par le Ministère des Finances du Congo. Ce Monsieur s'occupait de construction, d'aéronautique... Il a effectué d'importants retraits en liquide. Les reçus sont signés de lui.

A partir de l'élection du président LISSOUBA, une nouvelle période est intervenue. Si les comptes institutionnels ont été maintenus, un compte personnel a été ouvert au nom du président LISSOUBA avec procuration à son épouse. Ce choix était conforme à la politique suivie par M. TARALLO qui traitait pour le compte du groupe avec le pouvoir en place. A partir du compte du président LISSOUBA, M.HOUDRAY a procédé à l'acquisition d'une propriété à Paris d'une valeur à l'époque de 15 ou 16 millions de francs. Le compte a été approvisionné pour partie par le Ministère des Finances (crédité à son tour par des recettes pétrolières) et pour partie par des fonds dont l'origine est inconnue de M. HOUDRAY. Mme LISSOUBA a effectué des retraits en espèces qui parfois dépassaient le million de francs. Une autre personne proche du président LISSOUBA qui a également été Ministre avait un compte à la FIBA approvisionné par M. LISSOUBA.

Telles sont les déclarations de M. HOUDRAY.

Article publié le 29/01/2003