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Chypre

L’entrée dans l’UE risque de priver Chypre de ses atouts économiques

A première vue, la République de Chypre, à l’exclusion des territoires du Nord occupés par les militaires turcs, n’a pas grand-chose à gagner économiquement de son adhésion à l’Union européenne, du moins dans un premier temps.
La concurrence accrue qui va toucher l’économie chypriote n’est pas seule en cause. Loin de profiter des subventions de l’Union, Chypre pourrait vite devenir l’un de ses contributeurs nets. Contrairement aux autres pays candidats, l’île présente une économie prospère. Le PIB par habitant (dans la partie sud de l’île) s’élève à 16 000 dollars par an –proche de celui du Portugal ou de la Grèce–, le taux de chômage flirte avec la barre des 3%, l’inflation tourne autour de 2%. Un simple coup d’œil aux indicateurs du territoire nord permet de mesurer le gouffre qui sépare les deux zones: seulement 4666 dollars de PIB par habitant (en 99, dernier chiffre officiel connu), un déficit commercial qui s’est aggravé de 150% au cours du plan quinquennal 94-99 (360,3 millions de dollars de pertes), avec 412,7 millions de biens importés contre 52,4 exportés (en baisse constante), une assistance directe de la Turquie qui représente 64% du budget de ce petit Etat, alors que le bailleur de fonds traverse lui-même une profonde crise économique.

Cependant la richesse du sud de l’île provient de secteurs qui pourraient souffrir de l’harmonisation nécessaire avec la législation européenne. Outre le tourisme, qui représente 21% du PIB, Chypre tire sa richesse de son centre offshore et de sa marine marchande, au sixième rang mondial et battant pour une bonne partie pavillon de complaisance. Véritable paradis de l’entreprise, Chypre offre un régime fiscal alléchant aux quelque 40 000 sociétés offshore présentes sur son sol: taux d’imposition à 4,25%, exonération de TVA, de droits de douane, de charges sociales sur les salariés, etc. Ces conditions préférentielles sont peu compatibles avec le droit de la concurrence européen. D’autant plus qu’elles s’accompagnent d’un secret bancaire propice aux soupçons de blanchiment d’argent. Ce dernier «secteur» est peut-être le seul où les deux parties de l’île se rejoignent, quoiqu’à un niveau fort différent certainement.
L’adhésion à l’UE signe la mort prochaine de ce secteur, qui contribue selon les estimations à 15% du PIB. Les autorités chypriotes ont négocié une période de transition jusqu’en 2005 pour les entreprises offshore déjà présentes.

Le risque d'implosion économique du Nord

Pour le nord, qui a assurément tout à gagner d’une réunification en vue d’adhérer à l’Europe, la stabilité monétaire n’est pas la moindre des améliorations attendues: la monnaie utilisée ici, la livre turque, manque de beaucoup les objectifs d’un pays prochainement européen, avec des fluctuations entre près de 100% il y a 3 ans et 30% de nos jours.
Un autre gros dossier préoccupe les Chypriotes: la TVA. De 8% en 1998, elle est passée à 10% en 2000 puis à 15% au début de l’année, taux normal minimum compatible avec la législation communautaire. Avec des conséquences immédiates sur le panier de la ménagère. D’autres mesures fiscales sont venues compenser les pertes prévisibles dues à la fin du offshore. La plus spectaculaire a été l’augmentation du prix des carburants à la pompe, de près de 30% pour le gasoil début avril.

Reste pour Chypre une belle carte à jouer, une fois membre de l’Union: ses liens privilégiés avec le Moyen-Orient et sa capacité de devenir la tête de pont, entre autres commerciale, de l’UE dans la région. Pour Chypre nord, la sortie de l’embargo actuel offrirait de belles perspectives également, alors que pour l’instant seule la Turquie –qui n’en a pas besoin– tente d’absorber une faible production locale. La fin de l’isolement devrait donner un sacré coup de fouet au secteur touristique, dont le potentiel de développement, alors que l’environnement est quasiment vierge aujourd’hui, est à la mesure de la léthargie actuelle, hormis le tourisme de casino de clients turcs et israéliens frustrés dans leurs pays.
L’énorme déséquilibre, ajouté à l’ouverture récente de la frontière séparant le Nord du Sud, fait craindre «l’implosion» économique du nord avec une émigration massive vers le Sud pour profiter des mesures de protection sociale, préviennent les spécialistes. D’autant que le gouvernement de M. Papadopoulos a annoncé pour début mai des mesures d’aide économique en direction du Nord.

Jérôme BASTION, Anne AUDBOURG



Article publié le 26/04/2003