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Chypre

Chypre voit dans son adhésion à l’UE un espoir de réunification

Vue du sud, Chypre pavoise. Les 25 drapeaux des futurs membres de l’Union européenne ont été hissés devant l’Hôtel de ville de Nicosie, sa capitale. Dans toutes les villes du pays, les bâtiments officiels ont aussi été ornés des drapeaux chypriote et européen, sans oublier celui du grand frère grec, soutien indéfectible de la cause chypriote à Bruxelles. Quel contraste avec le nord, où les seuls drapeaux bleus à étoile jaune que l’on ait vus ont été ceux des manifestants de l’automne et de l’hiver dernier, protestant contre la politique de statu quo de leur dirigeant les empêchant de rejoindre le sud… et l’Union!
Un autre drapeau attire aussi l’attention à Chypre. Peint sur la chaîne montagneuse du Pentadaktylos, l’emblème de la «République turque de Chypre du nord» (RTCN, reconnue seulement par la Turquie) vient rappeler aux Chypriotes l’enjeu politique de leur entrée dans l’UE: la réunification.
En signant, mercredi 16 avril à Athènes, le traité d’adhésion, Chypre a scellé son destin européen, même si le Parlement doit encore ratifier le traité en mai. «Cet événement capital», a déclaré le président chypriote Tassos Papadopoulos «est une victoire pour tous les Chypriotes». Il a déploré que «les murs artificiels de la division» empêchent les Chypriotes turcs de se joindre à «ce moment historique».

Les 25 coups de canon et le lâcher de centaines de ballon bleus et jaunes, qui ont salué à Nicosie la cérémonie retransmise sur des écrans géants, n’ont pas pu occulter le fait que c’est un pays vraisemblablement divisé qui adhérera à l’UE, le 1er mai 2004. Au même moment d’ailleurs, le leader de la RTCN était en Turquie, suivant la cérémonie à la télévision et se faisant incendier par la presse comme par son opinion publique. «Etes-vous content, M. Denktash ?», raillait les «unes» de plusieurs journaux, dont les commentaires acerbes cachaient mal la certitude que la résistance de Rauf Denktash à toute concession finirait par coûter cher à la Turquie, peut-être sa place dans la grande famille européenne.
En mars, les Chypriotes grecs et turcs n’ont pas réussi à trouver un accord sur le plan proposé par l’Onu. Celui-ci envisageait l’instauration dans l’île d’un Etat fédéral «bi-zonal», sur le modèle suisse. Vingt-neuf ans après l’invasion turque, la partition de l’île semble plus que jamais d’actualité.

En juillet 1974, l’armée turque débarquait à Chypre pour défendre les droits de la minorité turque menacés, selon Ankara, par le coup d’Etat d’ultra nationalistes chypriotes grecs, piloté par la junte des colonels alors au pouvoir à Athènes et visant à rattacher Chypre à la Grèce. Près de trente ans plus tard, la présence de 30 000 soldats turcs dans le nord de l’île (37% du territoire) risque de compromettre encore davantage la candidature de la Turquie à l’Union européenne.

L’UE, rempart face à la Turquie

«La ligne qui divise Nicosie sépare la Turquie de Bruxelles», a déclaré début avril Costas Simitis, Premier ministre grec, dont le pays préside actuellement l’UE. Ankara aura du mal en effet à faire valoir ses ambitions européennes, avec Chypre et la Grèce membres de l’Union, tant que la question chypriote ne sera pas réglée. Un sentiment largement partagé par les Chypriotes est que leur entrée dans l’Union aura un effet boule de neige. Elle jouera un rôle de «catalyseur pour la réunification de l’île», selon George Vassiliou, ancien président de la République et ex-négociateur en chef pour Chypre auprès de l’UE. «Nous espérions qu’elle interviendrait avant l’accession. Il semble que cela ne sera pas le cas mais je crois encore que nous verrons un changement de la politique de la Turquie envers Chypre».

Avec l’entrée de Chypre dans l’Union, la question chypriote va prendre une dimension européenne. Pour M. Simitis, de passage à Nicosie le 19 avril où il a entamé une tournée qui doit le mener dans chacune des 25 capitales, l’adhésion va renforcer la position de Chypre et lui donner un poids politique face à la Turquie, que ne lui permettrait pas sa taille. «Nous ne trouverons pas le repos avant de trouver une solution» s’est-il exclamé, avant de préciser que tout accord devait intervenir dans le cadre de l’Onu.
Le pari est simple: soit Ankara n’assouplit pas sa position sur le devenir de Chypre-nord et met en péril du même coup sa candidature européenne; soit elle accepte des concessions qui ouvriraient la voie à la réunification de l’île. Dans cette optique, l’adhésion à l’UE s’apparente davantage à une mesure de sécurité pour Chypre sud. Nombre de Chypriotes voient en effet l’Union comme le meilleur rempart face à la Turquie, cent fois plus peuplée.

Dans le nord du territoire, deux positions s’affrontent sourdement, et ce depuis de longs mois. Dans le petit Etat fantoche et aussi peu démocratique que son leader est enclin à ne pas faire le moindre geste en direction de la réunification, la société civile se mobilise de plus en plus directement, et effrontément, pour la réunification sans condition avec le Sud et l’entrée dans l’UE. Plusieurs mois de manifestations de rues, rassemblant parfois jusqu’à 20% de la population, fonctionnaires compris, pour sortir de ce qui ressemble de plus en plus à une prison et à une impasse économique. Puis, après l’échec des discussions onusiennes, la contestation a pris la forme de référendums sauvages organisés dans les rues, et parfois réprimés durement, pour montrer que la majorité de la population veut la réunification.

Le gouvernement, en revanche, ou plus exactement le «Président» Denktash, n’a jamais renoncé à la reconnaissance pleine et entière de sa République, dont le 20e anniversaire devrait être célébré cette année, si tout se déroule comme prévu pour lui. Selon l’équipe en place, l’espace réservé à la communauté turcophone dans le futur état revient à un statut de «minorité protégée», selon M. Denktash, qui réclame lui l’équité et la parité, et dénonce la création d’enclaves de langue grecque dans «son» territoire (qui doit en outre être amputé). Pas question donc de céder, dit le vieux leader, sauf si Ankara relâchait son soutien, jusque-là indéfectible. La pression de la société civile ne peut mettre la Turquie dans la position de soutenir un régime banni par la communauté internationale et qui réprime les aspirations de sa population.

Alors le régime de Chypre-nord donne des gages à son peuple en ouvrant les portes du territoire de Chypre-sud, depuis mercredi 23 avril, sans but clair, mais pour éviter la pression sociale. La société civile et l’opposition politique à Rauf Denktash veulent y voir le signe que son pouvoir est à court d’inspiration, et au bord de la «reddition», pour permettre la réunification avant qu’il ne soit trop tard.

Jérôme BASTION, Anne AUDBOURG



Article publié le 26/04/2003