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Littérature

Quand les frontières s’estompent

Ignorant superbement la mésentente cordiale qui ne cesse de se creuser entre Paris et Londres en raison de la guerre en Irak et les controverses concernant le devenir de l’Europe, le British Council de Paris vient d’organiser «un festival d’écrivains franco-britanniques sur l’identité». L’espace d’un long week-end (25-27 avril 2003), se sont réunis dans la capitale française une dizaine d’écrivains et intellectuels francophones et anglophones, issus pour la plupart de la colonisation et de l’immigration. Ils sont connus pour leur contribution précieuse à la réflexion en cours de part et d’autre de la Manche sur les questions problématiques de l’assimilation, de l’intégration, mais aussi sur la répercussion inévitable qu’a l’immigration indo-pakistanaise, caribéenne ou maghrébine sur l’identité britannique ou française.
«Je refuse à la fois l’assimilation et le multiculturalisme», a affirmé dès la première séance la Britannique d’origine indienne Yasmine Alibhai-Brown, donnant ainsi d’emblée le ton de ces journées d’interrogations et de débats. Journaliste et écrivaine, Alibhai-Brown est connue en Angleterre pour ses positions souvent radicales qui dérangent à la fois les conservateurs («Pourquoi devrais-je rendre hommage à la reine-mère qui était une ivrogne et une fasciste notoire ?») et les libéraux («Si être multiculturel veut dire avoir des partenaires sexuels du monde entier, oui, les Anglais sont multiculturels. Même la reine Victoria avait un amant musulman. Diana aussi d’ailleurs. Mais pour autant le multiculturalisme n’a pas réussi à briser l’hégémonie des cultures dominantes, blanches»). Son dernier livre «Who do we think we are ? Imagining the new Britain» (Penguin 2001) a fait scandale car sa couverture représentait la reine sous les traits d’une femme de couleur. Pour Alibhai-Brown, la solution à la question de l’identité et de l’intégration des immigrés non-européens en Angleterre ou en France passe par l’élargissement des concepts même du «Britishness» ou du «Frenchness», encore trop souvent définis en termes de race et de couleur.

Qu’en pensent les écrivains ? Comment la littérature peut aider à faire évoluer les identités nationales figées ou la perception que l’on a de ces identités ? Que peut faire la littérature contre les préjugés de race, de religion et d’ethnie ? Répondant à ces questions, les romanciers et les poètes présents à cette rencontre ont témoigné d’une grande diversité de sensibilités. Il est très vite apparu que si pour les écrivains anglophones l’appartenance à la communauté nationale britannique telle qu’elle est définie aujourd’hui pose problème, pour les francophones la question ne se pose guère en terme d’appartenance, mais au contraire en terme de rupture avec la nation française. Comme l’a expliqué le guadeloupéen Ernest Pépin, «depuis Césaire notre entreprise littéraire a consisté à raconter notre négritude, notre créolité, notre altérité et cela ne pouvait se faire qu’en rejetant la francité qui nous avait été imposée. C’est la démarche de l’esclave marron. Les poètes antillais ont dû, eux aussi, marronner pour retrouver leur part africaine». Pour l’Algérienne Leïla Sebbar, l’écriture est avant tout la quête de cette «part de soi mutilée par la colonisation» et l’exploration des silences de la langue arabe dont l’écrivain a été coupée par son éducation française et qui constitue néanmoins «l’arrière-pays de son imaginaire».

«Frères d’encre»

Force est de constater que bien plus que la Manche sépare ces auteurs de leurs «frères d’encre» anglophones tels que Caryl Phillips, Bernardine Evaristo ou Fred d’Aguiar qui, malgré le racisme dont ils ont été victimes en Angleterre, malgré leur éloignement actuel de la terre d’Albion pour des raisons professionnelles, demeurent profondément attachés à ce pays où ils sont nés et/ou ont grandi. «J’ai jamais perdu l’Angleterre de vue, affirme Phillips, car elle est centrale à ce que je suis devenu, non seulement en tant qu’être humain, mais aussi en tant qu’écrivain. (...) J’ai compris depuis belle lurette que ma mission d’écrivain consisterait en grande partie à aider la société anglaise à s’accepter et à accepter de vivre avec les complexités de son passé et de son présent».

Malgré ces différences de parcours et de perceptions qui séparent anglophones et francophones, le festival franco-britannique s’est clôturé sur une manifestation de complicité. Complicité face à la guerre que mène George Bush en Irak et que les écrivains ont tous condamnée, tout en appelant de leurs voeux l’avènement d’un Spinoza et d’un Voltaire musulmans qui libéreraient définitivement les populations islamisées de l’emprise des mollahs et de l’irrationnel. Ce qui a fait dire à Alibhai-Brown dans son éditorial hebdomadaire dans The Independent : «Pour la première fois, j’ai l’impression d’être chez moi en France!».



par Tirthankar  Chanda

Article publié le 29/04/2003