Côte d''Ivoire
Sous le cessez-le-feu, le bain de sang
Le président Gbagbo et ses anciens rebelles des Forces nouvelles sont d’accord pour le déploiement dans l’Ouest ivoirien de «forces impartiales» composées de troupes de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et de soldats français. L’objectif affiché est de restaurer la sécurité dans la partie occidentale du pays où les anciens belligérants ivoiriens ont par ailleurs entrepris de faire le ménage dans les rangs des supplétifs qui les accompagnent, des Libériens, mais aussi d’autres soldats de fortune, notamment Burkinabé. Tout cela exige un certain niveau de compromis et explique peut-être l’inertie et le silence qui entourent largement le massacre de plusieurs dizaines de villageois dans la région de Bangolo début mai.
L’Ouest ivoirien échappe au contrôle des 1300 soldats ouest-africains et des 4000 Français de l’opération Licorne chargés de veiller au respect du cessez-le-feu sur l’ancienne ligne de front, entre les partie nord et sud du pays. Leur redéploiement permettrait de couvrir la partie frontalière du Liberia et chevaucherait des régions officiellement sous le contrôle des anciens belligérants ivoiriens dans «une zone de confiance», dont les limites restent à fixer. Ce nouveau dispositif aura pour cible principale les supplétifs des deux bords qui règnent en maître dans nombres de villes et villages ivoiriens. Des Libériens, mais pas seulement car c’est un véritable «mercenariat sous-régional» qui paraît avoir aujourd’hui gagné la Côte d’Ivoire. Un phénomène d’autant plus encombrant pour les Ivoiriens qu’il engage leur responsabilité et menace le processus politique dans lequel ils se sont engagés. Des «forces impartiales» franco-ouest-africaines promettent donc de les en débarrasser. En attendant, des civils continuent à mourir dans des zones grises où les revendications sont rapides quand il s’agit de s’imposer dans le partage du pouvoir, mais où chacun se tait quand il s’agit d’identifier les auteurs d’un bain de sang.
Plusieurs dizaines de villageois guéré ont été massacrés pendant la première quinzaine de mai dernier alors qu’ils tentaient se réfugier à Duékoué où se trouve une position française de l’opération Licorne. Deux groupes, de 82 et 50 personnes respectivement, avaient entrepris de fuir le racket et l’insécurité qui frappent la région de Bangolo, la sous-préfecture aux mains du Mouvement pour le Grand ouest ivoirien, le Mpigo. A Bangolo, certains combattants du Mpigo racontent dans la langue du Burkina leurs anciennes campagnes militaires aux côtés du Liberien Taylor et de ses alliés sierra-leonais du Ruf. Bangolo, ville quasi morte a été désertée par ses habitant du cru. La plupart des fugitifs guéré provenaient du village voisin de Goenié, quelques uns de Douandrou et de Zéo. C’est par familles entières qu’ils ont été tués, au fusil et à la machette, après être tombée dans une embuscade sur la route de Duekoué. Des survivants ont raconté la tuerie à la presse nationale. Ils accusent en vrac le Mpigo et le MPCI qui contrôlent la zone et «des Burkinabé»,artisans directs de la tuerie selon eux. Mais, précise un rescapé: «Les Mossi et les Senoufo qui nous tuent n’habitent pas nos villages». Quand aux voisins yacouba des Guéré, «ils nous mènent la vie dure mais ne nous tuent pas».
Petits arrangements avec les morts
Il aura fallu plus d’une semaine pour que le gouvernement «condamne sans réserve les tueries» de Bangolo qui auraient fait près de 80 morts. Dans son communiqué, il se garde bien d’imputer la tuerie à qui que ce soit. La réconciliation nationale impose sans doute quelques petits arrangements avec les morts aux adversaires désormais membres du même gouvernement. De son côté, le comité de suivi des accords de Marcoussis se réfugie derrière l’état-major des troupes françaises Licorne qui reconnaît avoir soigné des rescapés blessés mais déclare qu’il n’a pas pu vérifier les faits. Côté ivoirien, aucune mission conjointe ne s’est précipitée sur les lieux pour faire la lumière, voire porter secours à ceux qui se cachent en brousse pour survivre. Tard valant mieux que jamais, des dispositions auraient été prises dans ce sens mardi soir par le gouvernement. En attendant de connaître le degré de responsabilité imputable au Mpigo en particulier ou aux Forces nouvelles en général qui contrôlent officiellement la zone de Bangolo, un redéploiement de forces étrangères est justement à l’ordre du jour pour venir à bout des groupes armés longtemps rangés sous l’étiquette «irréguliers incontrôlables».
Le 1er mai dernier, les états-majors ivoiriens des deux camps s’étaient mutuellement autorisés à faire le ménage dans leurs rangs en désarmant les supplétifs étrangers qui s’y trouvent. De son côté, le Liberia promettait de donner le coup de main nécessaire à la frontière. Ce faisant, le triangle ivoiro-liberien consacrait une entreprise déjà commencée mi avril avec notamment la liquidation physique du chef militaire du Mpigo, Felix Doh et de l’homme de main sierra-léonais de Taylor en Côte d’Ivoire, Sam Bockarie alias Mosquito. Ce même 1er mai, l’état-major français se déclarait tout prêt à fournir 900 hommes opérationnels en 48 heures pour finir le nettoyage militaire du terrain. Il fixait toutefois un préalable: le respect d’un accord de cessez-le-feu intégral par les partenaires ivoiriens. C’est chose faite depuis le 4 mai, du moins si l’on considère que le massacre de Bangolo n’est pas une violation du cessez-le-feu. Or justement, aucune des parties prenantes –nationale ou étrangère– dans la résolution du conflit ivoirien ne s’est hâtée de vérifier un fait qui ressort par son ampleur du crime contre l’humanité.
On a pu l’observer en Côte d’Ivoire ou ailleurs, qualifier un acte quelconque de violation de cessez-le-feu, c’est prendre une décision politique, soit pour constater la rupture soit pour rappeler à l’ordre l’une des parties. En l’occurrence, les morts de Bangolo tombent au moment où les différentes parties souhaitent une «normalisation», au moins de surface. Le président Gbagbo a décrété que la guerre était finie et qu’il fallait relancer la machine ivoirienne. Il brandit comme carotte les 400 millions d’euros promis par l’Union européenne. De son côté, le nouvel équipage politique des Forces nouvelles ne serait sans doute pas mécontent d’une intervention extérieure capable de le débarrasser de quelques uns de ses alliés les plus encombrants. Nul ne pouvant vraiment espérer une levée rapide de l’insécurité en Côte d’Ivoire, c’est aussi du temps gagné pour reculer l’heure de vérité: le désarmement décidé à Marcoussis qui révélera aussi le profil exact des troupes de chacun. Quant à savoir qui est responsable de la tuerie de Bangolo, le silence est encore la meilleurs garantie de survie du cessez-le-feu et du gouvernement, à l’Ivoirienne.
Plusieurs dizaines de villageois guéré ont été massacrés pendant la première quinzaine de mai dernier alors qu’ils tentaient se réfugier à Duékoué où se trouve une position française de l’opération Licorne. Deux groupes, de 82 et 50 personnes respectivement, avaient entrepris de fuir le racket et l’insécurité qui frappent la région de Bangolo, la sous-préfecture aux mains du Mouvement pour le Grand ouest ivoirien, le Mpigo. A Bangolo, certains combattants du Mpigo racontent dans la langue du Burkina leurs anciennes campagnes militaires aux côtés du Liberien Taylor et de ses alliés sierra-leonais du Ruf. Bangolo, ville quasi morte a été désertée par ses habitant du cru. La plupart des fugitifs guéré provenaient du village voisin de Goenié, quelques uns de Douandrou et de Zéo. C’est par familles entières qu’ils ont été tués, au fusil et à la machette, après être tombée dans une embuscade sur la route de Duekoué. Des survivants ont raconté la tuerie à la presse nationale. Ils accusent en vrac le Mpigo et le MPCI qui contrôlent la zone et «des Burkinabé»,artisans directs de la tuerie selon eux. Mais, précise un rescapé: «Les Mossi et les Senoufo qui nous tuent n’habitent pas nos villages». Quand aux voisins yacouba des Guéré, «ils nous mènent la vie dure mais ne nous tuent pas».
Petits arrangements avec les morts
Il aura fallu plus d’une semaine pour que le gouvernement «condamne sans réserve les tueries» de Bangolo qui auraient fait près de 80 morts. Dans son communiqué, il se garde bien d’imputer la tuerie à qui que ce soit. La réconciliation nationale impose sans doute quelques petits arrangements avec les morts aux adversaires désormais membres du même gouvernement. De son côté, le comité de suivi des accords de Marcoussis se réfugie derrière l’état-major des troupes françaises Licorne qui reconnaît avoir soigné des rescapés blessés mais déclare qu’il n’a pas pu vérifier les faits. Côté ivoirien, aucune mission conjointe ne s’est précipitée sur les lieux pour faire la lumière, voire porter secours à ceux qui se cachent en brousse pour survivre. Tard valant mieux que jamais, des dispositions auraient été prises dans ce sens mardi soir par le gouvernement. En attendant de connaître le degré de responsabilité imputable au Mpigo en particulier ou aux Forces nouvelles en général qui contrôlent officiellement la zone de Bangolo, un redéploiement de forces étrangères est justement à l’ordre du jour pour venir à bout des groupes armés longtemps rangés sous l’étiquette «irréguliers incontrôlables».
Le 1er mai dernier, les états-majors ivoiriens des deux camps s’étaient mutuellement autorisés à faire le ménage dans leurs rangs en désarmant les supplétifs étrangers qui s’y trouvent. De son côté, le Liberia promettait de donner le coup de main nécessaire à la frontière. Ce faisant, le triangle ivoiro-liberien consacrait une entreprise déjà commencée mi avril avec notamment la liquidation physique du chef militaire du Mpigo, Felix Doh et de l’homme de main sierra-léonais de Taylor en Côte d’Ivoire, Sam Bockarie alias Mosquito. Ce même 1er mai, l’état-major français se déclarait tout prêt à fournir 900 hommes opérationnels en 48 heures pour finir le nettoyage militaire du terrain. Il fixait toutefois un préalable: le respect d’un accord de cessez-le-feu intégral par les partenaires ivoiriens. C’est chose faite depuis le 4 mai, du moins si l’on considère que le massacre de Bangolo n’est pas une violation du cessez-le-feu. Or justement, aucune des parties prenantes –nationale ou étrangère– dans la résolution du conflit ivoirien ne s’est hâtée de vérifier un fait qui ressort par son ampleur du crime contre l’humanité.
On a pu l’observer en Côte d’Ivoire ou ailleurs, qualifier un acte quelconque de violation de cessez-le-feu, c’est prendre une décision politique, soit pour constater la rupture soit pour rappeler à l’ordre l’une des parties. En l’occurrence, les morts de Bangolo tombent au moment où les différentes parties souhaitent une «normalisation», au moins de surface. Le président Gbagbo a décrété que la guerre était finie et qu’il fallait relancer la machine ivoirienne. Il brandit comme carotte les 400 millions d’euros promis par l’Union européenne. De son côté, le nouvel équipage politique des Forces nouvelles ne serait sans doute pas mécontent d’une intervention extérieure capable de le débarrasser de quelques uns de ses alliés les plus encombrants. Nul ne pouvant vraiment espérer une levée rapide de l’insécurité en Côte d’Ivoire, c’est aussi du temps gagné pour reculer l’heure de vérité: le désarmement décidé à Marcoussis qui révélera aussi le profil exact des troupes de chacun. Quant à savoir qui est responsable de la tuerie de Bangolo, le silence est encore la meilleurs garantie de survie du cessez-le-feu et du gouvernement, à l’Ivoirienne.
par Monique Mas
Article publié le 21/05/2003