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Côte d''Ivoire

Vers un cessez-le-feu élargi au Liberia

Les anciens belligérants ivoiriens s’engagent vers un cessez-le-feu qui doit intégrer le Liberia pour ramener la paix à l’ouest du pays.
Jusqu’à présent, Abidjan et Monrovia ont toujours nié se livrer bataille par rébellions interposées. Les deux voisins se sont néanmoins engagés, jeudi 1er mai, à faire cesser le feu dans l’Ouest ivoirien. De leur côté, les anciens belligérants ivoiriens ont promis de «ne plus réveiller les combats», et cela «sur tous les fronts», dans le cadre d’un cessez-le-feu «intégral». Pour les partenaires ivoiriens du gouvernement de réconciliation nationale, ce projet de désengagement militaire marque la volonté de sauver l’intégrité nationale et de contenir leurs rivalités dans la seule lice politique. Pour le régime Taylor, essoufflé par la guerre, l’entrée du Libéria dans le cessez-le-feu ivoirien pourrait accélérer l’ouverture de négociations inter-libériennes. Reste à finaliser et à mettre en œuvre un projet d’accord qui prévoit «le désarmement des groupes armés qui sévissent dans l’Ouest ivoirien», un processus dans lequel la France ne veut pas risquer ses troupes sans garanties.

A défaut de vainqueur, la guerre ne s’arrête que lorsque les belligérants trouvent intérêt à en sortir. C’est visiblement le cas de la majorité des acteurs du conflit ivoirien engagée dans un programme de gouvernement conjoint. Et à défaut d’armée nationale, un ennemi désormais commun, et venu du Liberia, pourrait refaire l’unité de la Côte d’Ivoire. Les Forces armées nationales de Côte d’Ivoire, les Fanci, devraient en effet monter une opération militaire conjointe avec les anciens rebelles ivoiriens pour prendre en tenaille - chacun à partir de sa zone de contrôle - les combattants venus du Liberia qui rechigneraient à repasser la frontière. Et cela au moment même où de son côté le seigneur de la guerre du Liberia, Charles Taylor, a besoin d’une trêve sinon d’une paix durable pour consolider sa position présidentielle à Monrovia.

Le mandat de Taylor échoit en octobre prochain et cette fois, les présidentielles ne seront pas une simple formalité. Au plan international, il compte les Etats-Unis parmi les adversaires qui veulent le sortir du jeu et l’ont inscrit sur la liste des chefs d’Etats voyous liés au terrorisme international. Au plan régional, Charles Taylor ne dispose plus de base arrière sûre pour reprendre la lutte armée s’il est chassé du pouvoir. Le Burkina est un peu à l’écart et la Libye encore plus lointaine. Dans l’immédiat, Charles Taylor doit se battre sur les multiples fronts ouverts par ses propres entreprises de déstabilisation. Il s’est mis à dos la Sierra-Leone et la Guinée qui soutiennent le Lurd, mais aussi la Côte d’Ivoire, qui lui rend la monnaie de sa pièce avec la nouvelle rébellion du Lurd-Model, organisée autour d’un petit frère du défunt président-capitaine Samuel Doe, apparenté aux Guéré ivoiriens. Le 1er mai, Freetown lui a en outre adressé un avertissement inquiétant via le procureur du tribunal international qui juge les crimes de guerre en Sierra-Leone. Il a accusé le Liberia de donner asile à Johnny Paul Koroma et Sam Bockarie, l’ancien chef de la junte et son ami du RUF. Taylor est sommé de livrer les deux hommes, faute de quoi, il devra lui-même comparaître devant la Cour pour «complicité», comme l’indique David Crane, un ancien juriste du Pentagone reconverti en Sierra Leone en chasseur de criminels de guerre.

Au plan national, Charles Taylor s’est nettement affaibli. Son armée mal payée et maltraitée s’effrite. Nombre de ses troupes et de leurs supplétifs de Sierra-Leone ont succombé aux charmes du pillage en Côte d’Ivoire. Taylor subit même une sorte d’effet boomerang puisqu’il avait notamment délégué à Sam Bockarie la formation et l’encadrement du Mouvement populaire ivoirien du Grand Ouest (Mpigo) et du Mouvement pour la justice et la paix (MJP). En novembre 2002, après le cessez-le-feu signé par le MPCI, ces derniers avaient ouvert un nouveau front occidental en Côte d’Ivoire. Mais vu de Monrovia, il s’agissait surtout de prendre le port stratégique de San Pedro pour écouler en particulier le bois du Liberia qui finance Charles Taylor. Les négociations inter ivoiriennes de Marcoussis ont bousculé ce programme mais pas interrompu le flux d’hommes en armes venus du Liberia et de Sierra-Leone.

Désarmer de force, c’est faire la guerre

Certains voient la main de Sam Bockarie dans la mort, le 25 avril, de Felix Doh, le chef militaire du Mouvement populaire ivoirien du Grand ouest (Mpigo) qui aurait voulu rompre avec un allié encombrant. Le Mpigo accuse au contraire les «Lima», des supplétifs libériens du régime Gbagbo, ainsi baptisés par les soldats français à partir du code Alpha-Bravo. On comprend que nul ne veut officialiser ses liens avec les cohortes anglophones qui mettent à feu et à sang l’Ouest du pays. Dénouer ces liens n’est pas non plus tâche facile. La semaine passée, les anciens rebelles ivoiriens (Mpigo, MJP, MPCI) désormais rassemblés sous l’étiquette Forces nouvelles ont fait état de sanglantes batailles rangées lorsqu’ils ont voulu convaincre leurs amis anglophones de déposer les armes et de rentrer chez-eux. Cette fois, les Fanci devraient faire front commun avec les Forces nouvelles pour les chasser de Côte d’Ivoire, le Libéria s’engageant à «s’occuper des arrivants» sur son côté de la frontière.

Pour sa part, Paris ne veut pas se lancer dans une trop délicate «pacification» de l’Ouest ivoirien. Selon le commandant de l’opération Licorne, le général Beth, la France peut «en 48 heures» déployer 900 hommes dans «un dispositif pour stabiliser la situation dans l’Ouest, contrôler certains points de passage sur la frontière et chasser certains éléments extérieurs». Encore faudrait-il que le gros du nettoyage soit réalisé au préalable car désarmer de force, c’est bien sûr faire la guerre. Ce n’est pas au programme des troupes françaises ni de l’Ecoforce ouest-africaine. Les Fanci devraient donc chargée de surveiller un cessez-le-feu qui pourrait donc très opportunément s’élargir au Liberia.

Mercredi dernier, sous l’égide des présidents du Togo et du Ghana, les colonels Michel Gueu et Soumaïla Bakayoko du MPCI ont convenu avec les Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci) de «l’arrêt total des hostilités et d’un cessez-le-feu intégral». En même temps, un autre document était concocté avec des envoyés du Liberia désormais impliqué dans la recherche de la paix à l’Ouest de la Côte d’Ivoire. La délégation libérienne doit soumettre ce projet à Taylor. Selon le ministre libérien des Affaires étrangères, Lewis Brown, un accord pourrait être signé rapidement. Monrovia accepte la surveillance conjointe de la frontière, indique Lewis Brown et selon lui, cela «prouve que le Liberia n’a aucun intérêt à déstabiliser la Côte d’Ivoire». Déjà, côté ivoirien, le ministre intérimaire de la Défense, Adou Assoa a promis que «dès aujourd’hui les Ivoiriens dormiront tranquille. Nous veillerons ensemble à la libre circulation des biens et des personnes sur toute l’étendue du territoire». Mais d’abord, Fanci et Forces nouvelles vont devoir accorder leurs violons militaires pour procéder au grand ratissage des troupes allogènes qui croisent le fer dans l’Ouest ivoirien.



par Monique  Mas

Article publié le 02/05/2003