Tabac
La surenchère des procès
Les deux dernières décennies ont été marquées par une montée en puissance des procès contre les grands fabricants de cigarettes. Lancée aux Etats-Unis, cette tendance a peu à peu touché l’Europe et la France. Les actions en justice ont contribué à mettre en difficulté les industriels du tabac présentés comme responsables des dégâts provoqués sur la santé des fumeurs. Ils ont payé le prix de cette situation en terme d’image mais aussi en dollars sonnants et trébuchants car ils ont parfois été contraints de verser des sommes astronomiques aux victimes du tabac. Mais les fabricants de cigarettes ont tenu bon et ont su faire jouer leur poids économique dans ce combat juridique par avocats interposés. Aujourd’hui, ils s’en sortent plutôt bien.
Philip Morris (Marlboro), RJ Reynolds (Camel, Winston), Lorillard, Liggett et Brown et Williamson, cinq des plus grands fabricants de cigarettes américains, ont obtenu le 21 mai dernier l’invalidation d’un jugement d’un tribunal de Floride, prononcé contre eux en 2000, et qui les avait condamnés à verser à quelque 500 000 fumeurs la somme record de 145 milliards de dollars au titre de dommages et intérêts. Cette décision de justice était intervenue au terme d’un procès de deux ans, intenté en nom collectif par les plaignants qui estimaient n’avoir pas été suffisamment informés par les fabricants des risques liés à la consommation de cigarettes.
Il s’agit d’une véritable victoire pour les industriels du tabac qui, s’ils avaient dû payer l’amende auraient été conduits à la faillite. L’ensemble du jugement a été invalidé en appel. Les magistrats ont ainsi confirmé d’autres décisions de justice prises, dans le cadre d’affaires similaires, par des tribunaux américains qui ont décidé que les réclamations des fumeurs ne pouvaient pas être déposées en nom collectif et que chacune d’entre elles devaient faire l’objet d’un examen particulier.
Six des neuf juges qui ont délibéré ont, d’autre part, estimé que le montant des dédommagements n’était «ni raisonnable, ni proportionné à la nature des fautes» commises par les industriels du tabac. La Cour suprême des Etats-Unis avaient d’ailleurs elle aussi été dans ce sens en cassant, au début du mois d’avril, un jugement d’un tribunal de l’Utah qui avait condamné un assureur à verser une amende jugée «astronomique» à un plaignant. Cette décision, même si elle a été prise dans le cadre d’une affaire n’ayant aucun lien avec la consommation de tabac, a fait le bonheur des industriels du secteur puisqu’elle va dans leur sens.
La contre-attaque des fabricants
Une nette tendance à condamner les fabricants à des amendes très importantes a, en effet, été notée ces dernières années. En 2002, par exemple, un tribunal de Californie a estimé que Philip Morris devait payer à une fumeuse de 64 ans atteinte d’un cancer du poumon incurable une somme de 28 milliards de dollars qui a finalement été ramenée, après accord avec la plaignante, à un montant beaucoup plus «raisonnable» de 28 millions.
Dans ce contexte, le filon des procès contre les industriels du tabac a été largement exploité. Tous les arguments ont été invoqués pour mettre en avant leur responsabilité : du manque d’information sur les conséquences de l’usage de la cigarette, à l’incitation pure et simple à la consommation d’une substance dangereuse. Et toutes les sortes de plaignants ont été observées : des particuliers accrocs à la cigarette et atteints d’une maladie liée à sa consommation, aux Etats ou caisses d’assurance maladie, en passant par les familles des malades dépendants de la cigarette. Certains cabinets d’avocats, surtout aux Etats-Unis, se sont d’ailleurs spécialisés dans ce domaine très rentable.
De nombreux plaignants ont obtenu gain de cause. Philip Morris a ainsi dû verser 79 millions de dollars à la famille d’un fumeur décédé en juin 2002. En 1997, un groupement d’hôtesses de l’air et de stewards a même obtenu 349 millions de dollars de dédommagement parce que ses membres avaient souffert de tabagisme passif. Mais les fabricants ont réussi grâce à l’aide de leurs nombreux conseils à mettre en place une stratégie qui a conjugué habilement la contre-attaque juridique et les concessions médiatiques.
Les industriels ont notamment mis en avant qu’ils ne sont pas responsables des politiques de santé publique qui relèvent de la compétence des Etats. Et qu’ils s’en tiennent à respecter les lois en matière d’information et de publicité, une fois qu’elles sont adoptées. Ils ont aussi insisté sur le fait que la consommation de tabac relève de la responsabilité individuelle avant de relever de celle du fabricant de cigarettes. D’autre part, ils ont fait jouer leur poids économique. L’industrie du tabac représente, en effet, des chiffres d’affaire colossaux et génère des milliers d’emplois. Philip Morris, le leader mondial du secteur, a par exemple réalisé en 1999 un bénéfice net de 7,7 milliards de dollars pour un chiffre d’affaires de 61,7 milliards. L’industrie du tabac représente donc une véritable manne pour les Etats en terme de taxes et autres impôts auxquels la vente de cigarettes est assujettie.
C’est à ce niveau que sont apparues un certain nombre de contradictions de la part des Etats. D’un côté, certains d’entre eux ont intenté des procès aux fabricants de cigarettes pour obtenir des dédommagements à cause des surcoûts représentés par la prise en charge médicale des fumeurs malades. De l’autre, ils perçoivent des revenus liés à la commercialisation des cigarettes. Le paradoxe le plus flagrant a été observé en France à l’occasion des procès contre la Seita (Altadis), société d’Etat chargée d’exploiter le monopole fiscal des tabacs, donc de faire rentrer dans les caisses l’argent des cigarettes mais pas de diffuser l’information en matière de santé publique. Une contradiction sur laquelle de nombreux plaignants ont insisté.
Mais les industriels du tabac ont aussi joué la carte de la bonne volonté. Ils ont ainsi négocié en 1998 avec 46 Etats américains et accepté de leur verser 206 milliards de dollars sur 25 ans pour financer les dépenses de santé liées à la consommation de tabac. De cette manière, les fabricants ont obtenu un arrêt des procès intentés par les Etats directement. Cet accord ne les a pas mis à l’abri des plaintes particulières ou collectives de fumeurs. Mais dans ce domaine, les derniers jugements rendus ont souvent permis, en appel, soit de diminuer les dédommagements, soit de débouter les plaignants.
Il s’agit d’une véritable victoire pour les industriels du tabac qui, s’ils avaient dû payer l’amende auraient été conduits à la faillite. L’ensemble du jugement a été invalidé en appel. Les magistrats ont ainsi confirmé d’autres décisions de justice prises, dans le cadre d’affaires similaires, par des tribunaux américains qui ont décidé que les réclamations des fumeurs ne pouvaient pas être déposées en nom collectif et que chacune d’entre elles devaient faire l’objet d’un examen particulier.
Six des neuf juges qui ont délibéré ont, d’autre part, estimé que le montant des dédommagements n’était «ni raisonnable, ni proportionné à la nature des fautes» commises par les industriels du tabac. La Cour suprême des Etats-Unis avaient d’ailleurs elle aussi été dans ce sens en cassant, au début du mois d’avril, un jugement d’un tribunal de l’Utah qui avait condamné un assureur à verser une amende jugée «astronomique» à un plaignant. Cette décision, même si elle a été prise dans le cadre d’une affaire n’ayant aucun lien avec la consommation de tabac, a fait le bonheur des industriels du secteur puisqu’elle va dans leur sens.
La contre-attaque des fabricants
Une nette tendance à condamner les fabricants à des amendes très importantes a, en effet, été notée ces dernières années. En 2002, par exemple, un tribunal de Californie a estimé que Philip Morris devait payer à une fumeuse de 64 ans atteinte d’un cancer du poumon incurable une somme de 28 milliards de dollars qui a finalement été ramenée, après accord avec la plaignante, à un montant beaucoup plus «raisonnable» de 28 millions.
Dans ce contexte, le filon des procès contre les industriels du tabac a été largement exploité. Tous les arguments ont été invoqués pour mettre en avant leur responsabilité : du manque d’information sur les conséquences de l’usage de la cigarette, à l’incitation pure et simple à la consommation d’une substance dangereuse. Et toutes les sortes de plaignants ont été observées : des particuliers accrocs à la cigarette et atteints d’une maladie liée à sa consommation, aux Etats ou caisses d’assurance maladie, en passant par les familles des malades dépendants de la cigarette. Certains cabinets d’avocats, surtout aux Etats-Unis, se sont d’ailleurs spécialisés dans ce domaine très rentable.
De nombreux plaignants ont obtenu gain de cause. Philip Morris a ainsi dû verser 79 millions de dollars à la famille d’un fumeur décédé en juin 2002. En 1997, un groupement d’hôtesses de l’air et de stewards a même obtenu 349 millions de dollars de dédommagement parce que ses membres avaient souffert de tabagisme passif. Mais les fabricants ont réussi grâce à l’aide de leurs nombreux conseils à mettre en place une stratégie qui a conjugué habilement la contre-attaque juridique et les concessions médiatiques.
Les industriels ont notamment mis en avant qu’ils ne sont pas responsables des politiques de santé publique qui relèvent de la compétence des Etats. Et qu’ils s’en tiennent à respecter les lois en matière d’information et de publicité, une fois qu’elles sont adoptées. Ils ont aussi insisté sur le fait que la consommation de tabac relève de la responsabilité individuelle avant de relever de celle du fabricant de cigarettes. D’autre part, ils ont fait jouer leur poids économique. L’industrie du tabac représente, en effet, des chiffres d’affaire colossaux et génère des milliers d’emplois. Philip Morris, le leader mondial du secteur, a par exemple réalisé en 1999 un bénéfice net de 7,7 milliards de dollars pour un chiffre d’affaires de 61,7 milliards. L’industrie du tabac représente donc une véritable manne pour les Etats en terme de taxes et autres impôts auxquels la vente de cigarettes est assujettie.
C’est à ce niveau que sont apparues un certain nombre de contradictions de la part des Etats. D’un côté, certains d’entre eux ont intenté des procès aux fabricants de cigarettes pour obtenir des dédommagements à cause des surcoûts représentés par la prise en charge médicale des fumeurs malades. De l’autre, ils perçoivent des revenus liés à la commercialisation des cigarettes. Le paradoxe le plus flagrant a été observé en France à l’occasion des procès contre la Seita (Altadis), société d’Etat chargée d’exploiter le monopole fiscal des tabacs, donc de faire rentrer dans les caisses l’argent des cigarettes mais pas de diffuser l’information en matière de santé publique. Une contradiction sur laquelle de nombreux plaignants ont insisté.
Mais les industriels du tabac ont aussi joué la carte de la bonne volonté. Ils ont ainsi négocié en 1998 avec 46 Etats américains et accepté de leur verser 206 milliards de dollars sur 25 ans pour financer les dépenses de santé liées à la consommation de tabac. De cette manière, les fabricants ont obtenu un arrêt des procès intentés par les Etats directement. Cet accord ne les a pas mis à l’abri des plaintes particulières ou collectives de fumeurs. Mais dans ce domaine, les derniers jugements rendus ont souvent permis, en appel, soit de diminuer les dédommagements, soit de débouter les plaignants.
par Valérie Gas
Article publié le 30/05/2003