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Littérature

Mohammed Dib, le désert sans retour

Quelques semaines après la publication de son dernier livre, Simorgh, Mohammed Dib est mort, à 82 ans, dans son appartement de la Celle-Saint Cloud en banlieue parisienne. Celui que nombre de critiques s’accordent à reconnaître comme le meilleur écrivain algérien de langue française laisse derrière lui une trentaine de romans, recueils de poèmes et de nouvelles, et deux livres pour enfants. Retour sur l’itinéraire d’un homme discret au point d’en être méconnu.
Né le 21 juillet 1920 à Tlemcen, Mohammed Dib perd son père à l’âge de dix ans et sera élevé par sa mère. Il apprend le français comme tous les Algériens de sa génération mais sa rencontre avec Roger Bellissand, un instituteur qui lui fera découvrir la culture française, sera déterminante. Cette langue ne le quittera plus. Devenu instituteur à dix-huit ans, il exercera ensuite la profession de comptable, puis de traducteur avant de tâter du journalisme à Alger Républicain. Etudiant en lettres à l’université d’Alger durant la guerre, il poursuit son acculturation jusqu’à publier, en français, son premier roman La Grande Maison en 1952.

Suivront L’Incendie (1954) et Le Métier à Tisser (1957) qui composent avec le premier la trilogie algérienne. Cette fresque commence dans l’Algérie rurale des années 30 pour s’achever au début de l’affrontement qui mènera à la guerre de libération. Mais les écrits et les activités militantes du jeune romancier ne plaisent guère aux autorités françaises qui l’expulsent en 1959. Marié à une Française, Mohammed Dib quitte définitivement l’Algérie pour s’installer en France. C’est le début d’un exil sans retour qui inspirera une partie de son œuvre.

En France, Mohammed Dib continue à publier. L’ombre gardienne (1961), préfacé par Aragon, Qui se souvient de la mer (1962), La Danse du roi (1968), la régularité des publications pourrait laisser penser que la terre d’exil s’est muée en terre d’accueil. Il n’en est rien. L’écrivain prend rapidement la mesure de la distance qui le sépare des écrivains français, et parisiens.

Dans un article publié en février 1993 dans la revue de Tahar Djaout, Ruptures, il revient longuement sur le double malheur de l’écrivain en exil. Souvent renié ou oublié dans son pays d’origine, il n’est guère reconnu dans son pays d’accueil où l’on ne peut s’empêcher de regarder avec condescendance cet étranger prétendant manier une langue qui ne lui appartient pas. «Chaque mot que tu traces sur la page blanche est une balle que tu tires contre toi» écrit-il, allant jusqu’à comparer l’écrivain maghrébin venu en France avec ses textes écrits en français à «ces bohémiens qui campent aux abords d’une ville et qui sont soupçonnés de voler les poules de l’autochtone». Et de faire ce constat : «l’usage de la langue française ne te fait pas rencontrer la communauté française mais aller au devant de toi-même – et de ta solitude».

De fait, Mohammed Dib ne se trompe pas lorsqu’il souligne le curieux ostracisme dont est victime l’écrivain maghrébin de langue française, à moins que ce dernier ne se contente de livrer de temps à autre quelques pages fortement imprégnées de sauce orientale. Mais lui n’en a cure et poursuit son œuvre au gré de ses voyages sans se cantonner au registre «maghrébin».

Eternel voyageur

Ses voyages lui offrent de quoi nourrir son imaginaire. Des Etats-Unis, où il séjourne longuement et où il enseignera entre 1976 et 1977, il ramène L.A Trip. De son itinéraire finlandais, au milieu des années 80, il fera une nouvelle trilogie Les Terrasses d’Orsol (1985), Le Sommeil d’Eve (1989), Neiges de Marbre (1990).

Chaque expérience, chaque nouvelle étape de sa longue errance est prétexte à un nouveau livre. L’Algérie qui ne joue que les seconds rôles dans son œuvre se fera plus présente dans Simorgh, publié en février de cette année. Comme si l’éternel voyageur avait envisagé, sans le réaliser, ce retour au pays natal. «Les livres que j’écris ont toujours eu à mes yeux un caractère prémonitoire» disait-il.

Dans Simorgh, mi-recueil de nouvelles, mi-journal intime, Mohammed Dib revient sur ses années d’instituteurs, sur les ravages causés dans son pays par le fanatisme des uns et le machiavélisme des autres et sur ce désert qui le fascine. L’Algérie jamais retrouvée n’a jamais été oubliée. Les pages consacrées au désert et à ses hommes sont parmi les plus justes. En 1992, Mohammed Dib publiait Le désert sans détour, qui peut se lire comme une réflexion sur les rapports entre l’Occident et le monde arabe. Le désert est désormais sans retour.



par Geneviève  FIDANI

Article publié le 05/05/2003