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Birmanie

Incertitudes sur le sort de Aung San Suu Kyi

Arrêtée vendredi alors qu’elle effectuait une tournée dans le Nord de la Birmanie, l’opposante Aung San Suu Kyi a aussitôt été placée officiellement «sous la protection des autorités». La junte au pouvoir a pris le prétexte d’affrontements entre sympathisants de la dissidente et membres d’une milice pro-gouvernemental pour porter un coup qui pourrait s’avérer fatal à l’opposition. Aux cours de ces incidents qui auraient fait 80 morts –le pouvoir parle de 4 personnes tuées– la «Dame de Rangoon» aurait été blessée mais les généraux s’échinent à affirmer qu’elle est en parfaite santé. Pour beaucoup d’observateurs ce dernier tour de vis de la junte consacre le point de vue des durs du régime qui, selon eux, auraient savamment orchestré cette campagne de répression contre Aung San Suu Kyi et son parti la Ligue nationale pour la démocratie.
Six jours après les affrontements qui ont conduit à la mise au secret de la «guet-apens minutieusement orchestré». Des hommes déguisés en bonzes auraient bloqué le convoi de la dissidente en tournée dans le Nord du pays. Des témoins présents lors de ces incidents, affirment que les assaillants, armés de pavés et de bâtons et dont certains étaient sous l’emprise de drogues ont frappé comme des brutes les sympathisants de la Ligue nationale pour la démocratie (LND). Ces hommes seraient des repris de justice libérés de la prison de Mandalay à qui le pouvoir aurait promis des réductions de peine ou de l’argent. Des soldats embusqués auraient ensuite ouvert le feu sur le cortège tuant 80 personnes et en blessant de nombreuses autres.

Bien que la junte martèle que la dissidente se porte bien, le fait qu’elle n’ait pas été vue en public depuis six jours alimente toutes les spéculations sur son état de santé. Selon l’opposition en exil, Aung San Suu Kyi a été blessée au visage et à l’épaule par des fragments de vitres de sa voiture et les cinq étudiants qui tentaient de la protéger auraient été roués de coups. La dissidence s’inquiète en outre du sort de Tin Oo, le vice-président de la LND âgé de plus de 70 ans et qui serait blessé par balle. «On n’a aucune nouvelle de lui, on ne sait pas s’il est mort ou vivant», a ainsi affirmé un opposant. Selon le quotidien français le Figaro, soixante-huit cadavres ont été transférés au quartier général du commandement militaire nord-ouest où ils ont été incinérés. Et à Mandalay, la grande ville du nord, les familles de quelque 150 membres de la LND ont entamé des rites funéraires bouddhiques, convaincues de ne jamais revoir leurs proches.

La chef de file de l'opposition serait actuellement détenue dans un camp militaire situé à 40 km de la capitale. Elle aurait été séparée des autres membres de son parti arrêtés avec elle dans le nord du pays et actuellement incarcérés dans la tristement célèbre prison de Insein, située dans les faubourgs de Rangoon. La junte au pouvoir est jusqu’à présent restée sourde aux condamnations unanimes de la communauté internationale. L’envoyé spécial de Kofi Annan, le Malaisien Razali Ismaïl, a maintenu son voyage en Birmanie prévue de longue date. Attendu vendredi à Rangoon, il compte bien insister pour voir la dissidente mais risque de se voir signifier une fin de non recevoir.

Victoire des durs du régime ?

Cette nouvelle vague de répression à l’encontre de l’opposition birmane a certes surpris par sa violence même si a posteriori elle semblait inévitable. Depuis la levée de l’assignation à résidence de Aung San Suu Kyi il y a un peu plus d’un an et les promesses d’une réconciliation nationale, la junte au pouvoir est en effet restée aux abonnés absents. Au point où l’opposante, qui avait obtenu l’assurance de pouvoir se déplacer librement du pays, est finalement sortie de sa réserve, mettant en cause «la sincérité des militaires».

Les dissidents birmans affirment aujourd’hui que la répression qui s’est abattue sur la LND est en fait une campagne orchestrée de longue date par les durs du régime qui comme le général Than Shwe, l’un des hommes forts de la junte, estiment que les discussions avec l’opposition ne sont d’aucune utilité. Ce dernier s’était d’ailleurs violemment opposé à la levée de l’assignation à résidence de Aung San Suu Kyi. Selon des sources militaires proches du général, la mention du nom de l’opposante provoque chez lui une crise de rage. Durant le sommet de l’ASEAN à Phnom Penh en novembre dernier, les leaders présents auraient même été informés de ne pas aborder le sujet lors des rencontres bilatérales avec les dirigeants birmans.

Il semblerait donc aujourd’hui que le clan des généraux, qui défendent la nécessité d’ouverture du régime pour garantir sa survie, n’ait plus le vent en poupe à Rangoon. Nombre d’entre eux, à l’image du très pragmatique chef du renseignement militaire, le général Khin Nyunt, avaient en effet estimé qu’engager un dialogue avec l’opposition ne pouvait qu’être bénéfique pour la junte et pour son rôle futur dans la vie politique du pays. Mais cette brusque détérioration de la situation semble indiquer que la position des durs du régime, hostiles à toute concession à l’opposition, soit désormais la plus en vogue.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 05/06/2003