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Croatie

Jean-Paul II en pays ami

La foule des grands jours a accueilli Jean-Paul II à toutes les étapes de son voyage en Croatie. Il s’agit du centième voyage du pape à l’étranger, et de sa troisième visite en Croatie, bastion catholique des Balkans.
De note correspondant dans les Balkans

Les nombreuses polémiques qui avaient accompagné la préparation de ce voyage –notamment autour des frais d’organisation particulièrement élevés pour un pays qui connaît une situation économique très difficile– ont vite été oubliées au profit de la ferveur qui a accompagné le pape à toutes les étapes de son périple: Osijek et Djakovo, dans le nord du pays, Rijeka, Dubrovnik et Zadar sur la côte adriatique.

Les précédents voyages pontificaux avaient été largement utilisés par les autorités nationalistes de Zagreb, mais les sociaux-démocrates au pouvoir depuis janvier 2000 semblent vouloir, eux aussi, mettre à profit cette visite, notamment pour faire pièce à l’opposition nationaliste qui les accuse toujours d’être des «athées et des crypto-communistes».

L’Église catholique croate jouit d’une situation privilégiée depuis l’indépendance du pays, en 1992, et elle a entretenu des relations souvent ambiguës avec le nationalisme croate. Lors de l’éclatement de la Yougoslavie, le cardinal archevêque de Zagreb, Mgr Franjo Kuharic, sut se faire un propagandiste zélé de la cause croate, entraînant le soutien du Vatican, qui fut le premier, avec l’Allemagne, à reconnaître l’indépendance du pays.

Les courants nationalistes du clergé croate ont essayé de présenter la Croatie comme une «Pologne des Balkans», où la foi catholique aurait été le vecteur principal au régime communiste serbe de Belgrade. Cette réécriture de l’histoire tourne autour de la figure centrale du cardinal Alojzije Stepinac, qui mourut en résidence surveillée peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale, et que Jean-Paul II avait béatifié lors de son précédent voyage en Croatie.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les nouvelles autorités communistes pratiquaient en effet une grande méfiance à l’égard des religions, aussi bien de l’Église catholique que de l’Église orthodoxe serbe. Cependant, les raisons de la détention de Mgr Stepinac tiennent surtout aux relations ambiguës entretenues par ce prélat, durant la guerre, avec le régime collaborationniste des oustachis croates. À côté de quelques prêtres résistants, de trop nombreux représentants de l’Église croate se sont compromis avec ce régime, participant parfois directement à sa politique d’épuration ethnique. En Bosnie notamment, certains franciscains participèrent aux campagnes de conversion forcée des Serbes orthodoxes. Le souvenir de quelques prêtres directement associés aux camps de la mort oustachi, et le véritable martyre subi par l’Église orthodoxe, continuent d’empoisonner les relations serbo-croates.

Le catholicisme croate, une démarche identitaire et nationale

Au moment de l’éclatement de la Yougoslavie, l’Église catholique prit fait et cause pour l’indépendance croate, certains prêtres n’hésitant pas à glorifier le souvenir du régime oustachi. Le poids réel de l’Église catholique en Croatie est cependant difficile à évaluer. La pratique religieuse demeure assez faible, l’adhésion au catholicisme relevant souvent moins de la foi intime que d’une démarche identitaire et nationale, surtout dans les régions marquées par la cohabitation de plusieurs groupes nationaux, comme la Slavonie, au nord-est de la Croatie, ou encore les régions croates de Bosnie.

Le sommet de la hiérarchie catholique a cependant rompu avec l’ultra-nationalisme, sous l’impulsion du nouvel archevêque de Zagreb, Mgr
Bozanic, qui a recentré le discours de l’Église sur les questions morales et sociales. Une bonne part du clergé reste cependant liée au nationalisme, notamment à l’Union démocrate-chrétienne (HKDU), un parti d’extrême droite qui ne pèse guère que 3 à 4% des suffrages.

L’aile nationaliste du clergé milite ouvertement contre toute collaboration avec le Tribunal pénal international de La Haye, au risque de mettre le gouvernement de Zagreb en porte-à-faux avec ses obligations internationales. Début mai, de hauts dignitaires de l’Eglise catholique croate ont assisté aux obsèques quasi-officielles du général Janko Bobetko, ancien chef d’état-major de l’armée croate, décédé en Croatie alors qu’il était inculpé par le TPI. Ces funérailles ont offert l’occasion d’une grande communion nationale autour de la célébration de la «guerre patriotique» menée contre Belgrade en 1991-1995.

Jean-Paul II a profité de son voyage en Slavonie orientale, la région qui a été la plus affectée par le conflit de 1991, pour lancer un vibrant appel à la réconciliation, alors que la population serbe est toujours victime d’une politique insidieuse de ségrégation, malgré la loi sur les minorités nationales adoptée par le Parlement de Zagreb en décembre dernier. En contrepartie, le pape s’est prononcé en faveur de l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne. Le pays a officiellement déposé sa candidature en février, mais aucun calendrier de négociation n’est encore prévu.

Selon une enquête réalisée en 2001, 76% des citoyens croates se déclaraient catholiques. Le pays compte en effet toujours des communautés orthodoxes, musulmanes ou réformées (chez les minorités hongroises du nord de la Croatie, notamment). L’engagement nationaliste de l’Église croate a cependant bloqué tout dialogue œcuménique. Des retrouvailles entre chrétiens catholiques et orthodoxes seraient pourtant la meilleure manière de tourner définitivement la page de la guerre. Après la Croatie, le Saint Père doit se rendre le 22 juin à Banja Luka, la capitale de la Republika Srpska, l’entité serbe de Bosnie, l’occasion peut-être d’ouvrir des ponts supplémentaires vers l’Église orthodoxe serbe.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 09/06/2003