Congo-Brazzaville
Disparus du Beach : Brazzaville débouté par La Haye
La Cour internationale de justice de La Haye rejette la demande de Brazzaville visant l’annulation des procédures pénales engagées en France pour crimes contre l’humanité et torture dans l’affaire des disparus congolais de 1999. L’instruction en France peut continuer. Le président Denis Sassou Nguesso et plusieurs hauts dignitaires de son régime sont mis en cause par des plaignants. Mais la CIJ n’a pas estimé pertinentes les accusations congolaises de «préjudice irréparable» pour l’image du Congo ou pour ses relations avec la France.
La Cour internationale de justice (CIJ), l’organe judiciaire des Nations unies qui siège à La Haye, n’a pas retenu ce 17 juin les arguments de «préjudice irréparable à l’encontre des plus hautes autorités du Congo, ainsi qu’à la stabilité interne du pays, à son crédit international et aux relations d’amitiés franco-congolaises» avancées le 9 décembre 2002 par Brazzaville pour demander le gel de l’enquête judiciaire conduite en France «à la suite d’une plainte pour crimes contre l’humanité et torture» concernant des civils (plus de 350), disparus sur les rives du Beach en mai 1999. La Cour ne retient pas le motif «d’urgence» pour retenir la demande d’annulation de l’instruction française «mettant en cause le président congolais, Denis Sassou Nguesso, le ministre congolais de l’Intérieur, le général Pierre Oba, ainsi que d’autres personnes, dont le général Dabira, inspecteur général des forces armées congolaises et le général Blaise Adoua, commandant la garde présidentielle».
Ces quatre dignitaires, mais aussi «tous autres que l’instruction pourrait révéler» - et en effet de nouveaux témoins ont permis d’allonger la liste - font l’objet d’une plainte déposée le 5 décembre 2001 devant le tribunal de Grande instance de Paris par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), la Ligue des droits de l’homme (LDH) et l’Observatoire congolais des droits de l’homme (OCDH). L‘accusation porte sur des disparitions à grande échelle qui ont frappé en particulier de jeunes hommes rapatriés par le port fluvial de Brazzaville, à la faveur d’un accord tripartite entre la République démocratique du Congo (où ils étaient réfugiés ), le Congo Brazzaville et le Haut commissariat aux réfugiés (HCR). Les 5 et 14 mai 1999, deux vagues de personnes avaient disparu à Brazzaville, le HCR se déclarant aveugle à des évènements qui se sont déroulés à la sortie du couloir humanitaire. Une véritable trappe en fait, placée dans le cadre du rapatriement «volontaire» orchestré à grands renforts de promesses par le vainqueur de la guerre civile, le général Sassou Nguesso.
L'instruction en France peut se poursuivre
Les disparus du Beach avaient en commun des appartenances communautaires au sud du pays, une région notoirement dans le collimateur du régime. Tandis que sur place la peur des représailles continue jusqu’à aujourd’hui à tenailler les familles des victimes, une toute petite poignée de rescapés, réfugiés politiques en France, se sont joints à la plainte des organisations humanitaires pour torture, disparitions forcées et crimes contre l’humanité, ouvrant compétence universelle. Mais leur saisine a aussi permis de lancer rapidement la machine judiciaire française en révélant la présence du général Norbert Dabira en territoire français. Ce dernier séjourne en effet régulièrement dans la résidence personnelle qu’il possède en région parisienne, sous la juridiction du tribunal de Grande instance de Meaux qui a ouvert une information judiciaire le 1er février 2002. Localisé puis interrogé, en mai 2002, le général a fait faux bond à la justice française qui voulait l’entendre, comme témoin assisté, après une audition de quatre heures en juillet 2002.
Le 16 septembre 2002, le juge d’instruction de Meaux a délivré un mandat d’amener qui vaut mise en examen du général Dabira, notamment pour «pratique massive et systématique d’enlèvement de personnes suivis de leur disparition pour des motifs idéologiques et en exécution d’un plan concerté contre un groupe de population civile d’avril 1999 à juillet 1999». Deux jours plus tard, le juge de Meaux a fait transmettre par le Quai d’Orsay, conformément aux usages et en l’absence de toute contrainte, une demande de «déposition écrite» du président congolais, Denis Sassou Nguesso. En visite officielle en France, il quittera Paris le 25 septembre, sans souci d’interpellation judiciaire. Sans ombre diplomatique non plus puisque, après concertation selon certaines indiscrétions, le ministère français des Affaires étrangères ne lui a même pas fait suivre la missive du juge d’instruction. Cela n’a pas empêché l’avocat présidentiel, le Français Jacques Vergès de dénoncer devant la CIJ une «violation de l’immunité pénale d’un chef d’Etat étranger».
La CIJ vient donc de rejeter cette «coutume internationale reconnue par la jurisprudence de la Cour». Du reste, au total, la Cour n’a retenu ni preuves recevables, ni acte constitué, ni fondement à aucune des charges congolaises pouvant justifier les «mesures conservatoires» requises par Brazzaville pour geler la procédure française. Entre temps, depuis juin 2002, Brazzaville s’est employée à lancer au Congo une procédure judiciaire en forme de coupe-feu. Reste que, si expéditive soit-elle, il lui sera difficile de faire prévaloir une quelconque antériorité de la chose jugée. De son côté, du point de vue de la CIJ, le général Dabira ne pourra plus «se rendre en France sans craindre de conséquence juridique» puisque «le Congo n’a pas démontré qu’il est probable, voire seulement possible, que les actes de procédures dont le général Dabira a fait l’objet causent un préjudice quelconque aux droits en litige», c’est-à-dire au cheminement de la vérité.
«C’est à l’honneur de la CIJ d’avoir résisté par le droit à la tentative d’instrumentalisation politique dont elle était l’objet», souligne Maître Patrick Baudoin, président d’honneur de la FIDH et avocat des parties civiles. En l’occurrence, justice et diplomatie ne font pas franchement bon ménage. Ces trente dernières années, la France s’est refusée à reconnaître la compétence d’arbitrage entre Etats de la CIJ, pour éviter en particulier d’avoir à répondre de ses essais nucléaires dans le Pacifique. Elle a explicitement accepté de le faire dans cette affaire l’opposant au Congo. Pour les plaignants, le verdict de la CIJ est une victoire de la justice. L’instruction du dossier des disparus du Beach congolais peut se poursuivre en France. Son déroulement aura valeur de test diplomatique.
Ces quatre dignitaires, mais aussi «tous autres que l’instruction pourrait révéler» - et en effet de nouveaux témoins ont permis d’allonger la liste - font l’objet d’une plainte déposée le 5 décembre 2001 devant le tribunal de Grande instance de Paris par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), la Ligue des droits de l’homme (LDH) et l’Observatoire congolais des droits de l’homme (OCDH). L‘accusation porte sur des disparitions à grande échelle qui ont frappé en particulier de jeunes hommes rapatriés par le port fluvial de Brazzaville, à la faveur d’un accord tripartite entre la République démocratique du Congo (où ils étaient réfugiés ), le Congo Brazzaville et le Haut commissariat aux réfugiés (HCR). Les 5 et 14 mai 1999, deux vagues de personnes avaient disparu à Brazzaville, le HCR se déclarant aveugle à des évènements qui se sont déroulés à la sortie du couloir humanitaire. Une véritable trappe en fait, placée dans le cadre du rapatriement «volontaire» orchestré à grands renforts de promesses par le vainqueur de la guerre civile, le général Sassou Nguesso.
L'instruction en France peut se poursuivre
Les disparus du Beach avaient en commun des appartenances communautaires au sud du pays, une région notoirement dans le collimateur du régime. Tandis que sur place la peur des représailles continue jusqu’à aujourd’hui à tenailler les familles des victimes, une toute petite poignée de rescapés, réfugiés politiques en France, se sont joints à la plainte des organisations humanitaires pour torture, disparitions forcées et crimes contre l’humanité, ouvrant compétence universelle. Mais leur saisine a aussi permis de lancer rapidement la machine judiciaire française en révélant la présence du général Norbert Dabira en territoire français. Ce dernier séjourne en effet régulièrement dans la résidence personnelle qu’il possède en région parisienne, sous la juridiction du tribunal de Grande instance de Meaux qui a ouvert une information judiciaire le 1er février 2002. Localisé puis interrogé, en mai 2002, le général a fait faux bond à la justice française qui voulait l’entendre, comme témoin assisté, après une audition de quatre heures en juillet 2002.
Le 16 septembre 2002, le juge d’instruction de Meaux a délivré un mandat d’amener qui vaut mise en examen du général Dabira, notamment pour «pratique massive et systématique d’enlèvement de personnes suivis de leur disparition pour des motifs idéologiques et en exécution d’un plan concerté contre un groupe de population civile d’avril 1999 à juillet 1999». Deux jours plus tard, le juge de Meaux a fait transmettre par le Quai d’Orsay, conformément aux usages et en l’absence de toute contrainte, une demande de «déposition écrite» du président congolais, Denis Sassou Nguesso. En visite officielle en France, il quittera Paris le 25 septembre, sans souci d’interpellation judiciaire. Sans ombre diplomatique non plus puisque, après concertation selon certaines indiscrétions, le ministère français des Affaires étrangères ne lui a même pas fait suivre la missive du juge d’instruction. Cela n’a pas empêché l’avocat présidentiel, le Français Jacques Vergès de dénoncer devant la CIJ une «violation de l’immunité pénale d’un chef d’Etat étranger».
La CIJ vient donc de rejeter cette «coutume internationale reconnue par la jurisprudence de la Cour». Du reste, au total, la Cour n’a retenu ni preuves recevables, ni acte constitué, ni fondement à aucune des charges congolaises pouvant justifier les «mesures conservatoires» requises par Brazzaville pour geler la procédure française. Entre temps, depuis juin 2002, Brazzaville s’est employée à lancer au Congo une procédure judiciaire en forme de coupe-feu. Reste que, si expéditive soit-elle, il lui sera difficile de faire prévaloir une quelconque antériorité de la chose jugée. De son côté, du point de vue de la CIJ, le général Dabira ne pourra plus «se rendre en France sans craindre de conséquence juridique» puisque «le Congo n’a pas démontré qu’il est probable, voire seulement possible, que les actes de procédures dont le général Dabira a fait l’objet causent un préjudice quelconque aux droits en litige», c’est-à-dire au cheminement de la vérité.
«C’est à l’honneur de la CIJ d’avoir résisté par le droit à la tentative d’instrumentalisation politique dont elle était l’objet», souligne Maître Patrick Baudoin, président d’honneur de la FIDH et avocat des parties civiles. En l’occurrence, justice et diplomatie ne font pas franchement bon ménage. Ces trente dernières années, la France s’est refusée à reconnaître la compétence d’arbitrage entre Etats de la CIJ, pour éviter en particulier d’avoir à répondre de ses essais nucléaires dans le Pacifique. Elle a explicitement accepté de le faire dans cette affaire l’opposant au Congo. Pour les plaignants, le verdict de la CIJ est une victoire de la justice. L’instruction du dossier des disparus du Beach congolais peut se poursuivre en France. Son déroulement aura valeur de test diplomatique.
par Monique Mas
Article publié le 17/06/2003