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Sahara occidental

Le plan Baker provoque une tempête diplomatique

Près de trente ans après ses débuts, la longue affaire du Sahara occidental est-elle sur le point de toucher à sa fin, et de manière quelque peu inattendue ? Le Conseil de sécurité de l’ONU doit se prononcer le 28 juillet prochain sur le 5ème plan Baker (en douze ans), qui prévoit une période de «large autonomie» avant la tenue d’un référendum pour ou contre l’indépendance de cette ancienne colonie espagnole. Contrairement aux précédents, ce plan a été accepté par le Front Polisario et l’Algérie, mais pas par le Maroc. Ce qui brouille les cartes d’un long jeu diplomatique (et pétrolier) intéressant les deux rives de la Méditerranée. Et provoque un véritable accès de «fièvre politique» dans les principales capitales concernées.
Le 11 juillet dernier, lorsque les Etats-Unis ont déposé au Conseil de sécurité de l’ONU un projet de résolution sur le Sahara occidental entérinant le dernier plan Baker, nul ne pouvait imaginer que cela allait provoquer une véritable tempête politique et diplomatique et provoquer un renversement d’alliances tout à fait inattendu. Car James Baker, ancien secrétaire d’Etat de Bush père, actuellement envoyé spécial de Kofi Annan pour la région, mais aussi représentant très écouté du «milieu pétrolier» américain, a tout l’air, cette fois-ci, d’être pressé d’obtenir un accord définitif sur un territoire occupé militairement par le Maroc mais revendiqué par le Front Polisario. Et, contrairement au passé, son plan semble beaucoup plus apprécié à Alger -et même chez le Polisario- qu’à Rabat. Pétrole oblige ?

Le nouveau plan Baker prévoit en effet, à l’issue d’une période de quatre à cinq ans maximum la tenue d’un référendum sur le rattachement du Sahara occidental au royaume chérifien ou son indépendance. Dans l’intervalle, une autorité administrative -l’Autorité du Sahara, dont le chef exécutif et l’assemblée législative seront élus- doit prendre en charge le territoire qu’occupe actuellement le Maroc.

La première réaction des principaux intéressés a été d’un extrême prudence; mais par la suite, il est apparu que le gouvernement marocain n’appréciait guère le plan de James Baker, pourtant ami de longue date du Maroc. Le 15 juillet le ministre marocain des Affaires étrangères Mohamed Benaïssa a exprimé le «refus catégorique» du Maroc: «Nous refusons qu’une quelconque décision relative à la souveraineté du royaume nous soit imposée», en clair l’organisation d’un véritable référendum populaire au Sahara occidental sur l’avenir de l’ancienne colonie espagnole. Et le ministre d’ajouter: «le Maroc a clarifié sa position auprès de tous les membres du Conseil de sécurité de l’ONU et attend les résultats des consultations menées dans ce sens». Un Conseil de sécurité présidé actuellement par l’Espagne, en bisbille avec le Maroc sur de nombreuses questions territoriales, notamment autour des îles Canaries, mais aussi sur la question saharienne, depuis que Madrid a laissé, il y a deux ans, le parlement andalou organiser un soi-disant référendum sur le Sahara, à l'initiative d'une ONG.
plutôt proche de Rabat sur la question du Sahara, mais
Le lendemain, le président algérien Abdelaziz Bouteflika a déclaré que l’Algérie soutient «une solution juste et fondée sur le droit du peuple sahraoui à décider librement de son destins», mais aussi «le plan de règlement de l’ONU et les accords de Houston que les deux parties au conflit, le Maroc et le Front Polisario ont acceptés». Et Bouteflika de préciser que son pays «renouvelle son soutien et sa confiance à James Baker dans sa recherche d‘une solution juste et durable à ce conflit qui n’a que trop duré».

Un ultimatum qui sent le pétrole

De son côté le Front Polisario «continue d’espérer», nous a dit le représentant en France des combattants sahraouis, Mohamed Habibollah, en dépit de toutes les péripéties traversées depuis la signature du cessez-le-feu, en 1991. Mais, cette fois-ci, le choix de l’ONU -et aussi des Etats-Unis- ressemble plus à un «ultimatum» aux parties concernées qu’à une énième manœuvre de couloir. James Baker a été on ne peut plus clair: c’est à prendre ou à laisser. Avant d’ajouter que si ce plan n’est pas adopté le 28 juillet prochain, l’ONU se déchargera définitivement de l’affaire du Sahara occidental. Cet avertissement s’adresse tout autant aux pays de la région qu’à ceux qui, sur la rive septentrionale de la Méditerranée sont tout aussi concernés; à savoir la France et l’Espagne, qui sont ainsi contraints à prendre position et d’assumer une éventuel échec.

On voit mal néanmoins comment Paris et Madrid pourraient voter contre la résolution américaine, même si les consultations en cours ne sont guère terminées. Elles semblent à la fois délicates et compliquées. Car la question saharienne confirme le tournant intervenu dans la stratégie américaine, à partir du 11 septembre 2001, et que certains appellent «le nouvel ordre arabe» souhaité par l’équipe Bush junior. Un nouvel ordre qui a d’ores et déjà bousculé certaines certitudes récentes, y compris dans le Maghreb.

Depuis quelques années, en effet, l’entourage de James Baker ne se prive pas de répéter que si l’Algérie est entrée dans une longue période difficile, c’est au Maroc qu’il faut s’attendre à des crises bien plus graves. Des propos surprenants mais que les récents attentats attribués aux extrémistes islamistes marocains ne peuvent que conforter. Aux yeux de Washington, l’Algérie «tient» malgré tout. Elle continue de privilégier des solutions radicales face aux extrémistes islamistes et, surtout, n’a pas mis en danger ses principales ressources énergétiques: la «sale guerre» en cours depuis plus de dix ans n’a jamais empêché les exportations de pétrole et de gaz, à destination de l’Europe comme des Etats-Unis. Un argument qui explique sans doute l’acharnement de James Baker, très lié au lobby pétrolier américain, et tout particulièrement à la compagnie pétrolière Kerr McGee, basée dans l’Oklahoma.

Or, c’est cette même compagnie qui a signé en 2001 avec le gouvernement marocain un contrat d’exploration concernant le Sahara occidental, aux côtés de la compagnie française TotalFinaElf. Parallèlement, le gouvernement de la RASD (République sahraouie, reconnue par une majorité de membres de l’ONU) a signé en mai 2002 un contrat similaire avec une compagnie anglo-australienne, Fusion Oil, qui lui a assuré que les gisements pétroliers offshore sont «commercialement viables». Alors que le Geological Survey of World Energy estimait, en 2000, que les ressources offshore du Sahara occidental étaient «substantielles», tandis que celles du Maroc étaient «petites».

James Baker a-t-il décidé de forcer la main aux parties concernées ? La position (difficilement tenable) de Rabat gêne visiblement Washington et New York. La résolution américaine, a fait savoir discrètement à la mi-juillet l’ambassadeur marocain à l’ONU, ne recueille que «trois ou quatre voix» parmi les quinze membres du Conseil de sécurité. Mais au même moment, Rabat a dû enregistrer une autre prise de position de poids: celle du sous-secrétaire d’Etat américain Richard Armitage, qui a déclaré tout haut: «L’Algérie est la voie d’accès au Moyen-Orient, à l’Afrique et à la Méditerranée, ce qui la place dans une position imprenable pour jouer un rôle de leadership au 21ème siècle», tout en soulignant que «l’engagement avec une Algérie stable, où règne la sécurité, et en voie de démocratisation, revêt un intérêt important pour les Etats-Unis». On ne saurait être plus clair.

Ce renversement diplomatique majeur n’est sans doute pas arrivé à son terme. Washington sait que le Maroc aura besoin de sauver ne serait-ce que les apparences de la souveraineté sur les «provinces sahariennes». Et l’histoire nous a appris que chaque décolonisation a pris un chemin original, voire inattendu. De plus, nul ne semble vouloir se réjouir d’un éventuel isolement diplomatique du Maroc, au moment où il doit faire face à des difficultés nouvelles. Pas même l’Algérie, qui peut néanmoins se permettre de rappeler au Maroc que, à titre d’exemple, l’Indonésie est finalement sortie renforcée de l’indépendance de Timor-Est.

Dans ce contexte quel sort sera-t-il réservé à l’accord de libre-échange négocié entre le Maroc et les Etats-Unis, et que la France continue de juger «incompatible» avec l’approfondissement des liens économiques entre le Maroc et l’Union européenne ? Jean-Pierre Raffarin en parlera sans doute lors de sa visite en cours à Rabat. Et les prochains choix de la diplomatie risquent d’être douloureux.



par Elio  Comarin

Article publié le 24/07/2003