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Guinée-Bissau

Chronique d’un coup d’Etat annoncé

Le président déchu Kumba Yala est désormais placé en résidence surveillée à son domicile. Il a quitté dimanche soir le quartier général des forces armées où il avait été conduit au petit matin du 14 septembre, avec le Premier ministre Mario Pires, sur ordre du chef d’état-major, le général Verissimo Correia Seabra. Dans un communiqué dominical radiodiffusé dimanche matin, les militaires annonçaient la déposition du président et de son chef de gouvernement, en leur reprochant notamment leur incapacité à «régler les arriérés de salaire» dans la fonction publique et en les accusant de vouloir confisquer les législatives fixées au 12 octobre après quatre reports successifs. Le général Correia Seabra a formé un «Comité militaire de restitution de l’ordre constitutionnel et démocratique» (CMROCD) composé de 32 officiers. Il appelait lundi «les partis politiques, la société civile, le pouvoir judiciaire, et les autorités coutumières et religieuses» à collaborer à la formation d’un «conseil national de transition» qu’il promet de consulter avant de former le gouvernement de transition censé conduire à des élections générales, «quand les conditions seront réunies».
L’homme au bonnet de laine rouge des initiés «balantes», sa communauté d’origine au centre du pays, le docteur en philosophie, Kumba Yala avait emporté 72% des voix au deuxième tour des présidentielles de janvier 2000. Une consécration pour cet opposant professionnel, franc-tireur du Parti de la rénovation sociale (PRS), après avoir été l’idéologue du Parti pour l’indépendance de la Guinée Bissau et du Cap-Vert (PAIGC) qui a tiré le pays du giron portugais en 1974. Pourtant, à l’intérieur comme à l’extérieur, un qualificatif revient en leitmotiv à propos de sa déposition : «prévisible», et cela non seulement en raison de l’équilibre politico-militaire qui prévaut depuis l’indépendance dans la petite classe dirigeante bissau-guinéenne, mais aussi au vu de l’activisme chaotique et intempestif de son dernier élu à la magistrature suprême. Outre les neuf mois d’arriérés de salaire dus aux fonctionnaires, rares salariés de ce micro-Etat de 1,3 millions d’administrés, Bissau voyait s’éloigner tout espoir de se relever de sa banqueroute économique avec la gestion politique désastreuse du régime Kumba Yala comme repoussoir pour les bailleurs de fonds.

Kumba Yala n’a jamais promulgué la nouvelle constitution adoptée après l’épisode sanglant (1998-1999) de la junte militaire du général Ansumane Mané qui a très opportunément trouvé la mort dans une fusillade le 20 novembre 2000. De remaniements ministériels controversés (entre 2001 et 2003) en valse des Premiers ministres (trois en trois ans), le président Yala a vu se rétrécir le cercle de ses alliances. Il s’en est aussi pris aux musulmans (45% de la population), à la Cour suprême, au Parlement ou aux fonctionnaires, le tout avec force accusations de corruption ou de complot, avec menaces de licenciements ou d’arrestations à la clef. En avril et mai dernier, il avait d’ailleurs purement et simplement jeté en prison le ministre de la Défense et son propre conseiller pour les Affaires diplomatiques et politiques. De son côté, le dernier Premier ministre en titre, Mario Pires, nommé le 16 novembre 2002 avait pour sa part choisi la surenchère, prophétisant la guerre civile au cas où l’opposition remporterait les législatives, déjà reportées quatre fois depuis la dissolution de l’Assemblée nationale par Kumba Yala en novembre 2002.

Echaudés par «l’aggravation de la tragédie de ces dernières années qui a empêché tout progrès dans le processus de paix et apporté la désolation à toute la population», constatée par le représentant de l’Onu en Afrique de l’Ouest, les bailleurs de fonds demandaient à voir des législatives de bonne tenue avant de s’engager en Guinée Bissau. La semaine dernière, l’Union européenne avait promis 1,2 millions d’euros à la Commission nationale électorale (CNE), sous condition d’un accès équitable de tous les partis politiques aux médias publics. Mais visiblement, Kumba Yala n’était pas pressé de retrouver face à lui une Assemblée nationale qui ne serait pas à sa dévotion. Vendredi dernier, la CNE s’est en effet déclarée incapable «techniquement» de tenir le délai du 12 octobre pour les législatives tant attendues. Cette annonce a peut-être sonné comme un coup d’envoi pour les putschistes. En tout cas, au delà des condamnations d’usage, certains des anciens pairs de Kumba Yala rappellent en coulisses qu’ils l’ont maintes fois mis en garde. Le président mozambicain Joaquim Chissano, lui a même suggéré qu’il n’était pas nécessaire de réinstaller Kumba Yala dans son fauteuil présidentiel mais qu’il fallait trouver une solution pour sauvegarder «les intérêts supérieurs du peuple bissau-guinéen».

Un vétéran de la guerre de libération

A l’issue d’une réunion lundi 15 septembre, la Communauté des pays de langue portugaise ( la CPLP qui regroupe l’Angola, le Mozambique, le Cap-Vert, le Brésil, la Guinée Bissau, le Portugal, Sao Tome et Principe et Timor-Leste) s’est «engagée dans la concrétisation d’initiatives adaptées à la nouvelle situation en vue de normaliser les institutions en Guinée Bissau, en apportant sa contribution afin que la Guinée Bissau dispose des moyens nécessaires pour préparer des élections générales». C’est dire, en langage diplomatique, que la CPGL prend acte du renversement de Kumba Yala et se prépare à appuyer le plan de son tombeur, le général Correia Seabra, à savoir des élections générales, c’est-à-dire, pas seulement législatives, mais aussi présidentielles. Et cela, «avant la fin de l’année», espère le porte-parole de la CPGL, mais vraisemblablement à l’issue de la transition initiée et conduite par le général putschiste. Quant au retour du président déchu Kumba Yala, «il appartiendra au peuple de Guinée Bissau d’en décider», assure poliment la CPLG.

Le général Correia Seabra a annoncé qu’un civil «crédible» dirigerait bientôt un gouvernement de transition. Son CMRODC se réclame d’un «groupe de militaires et d’anciens combattants membres de l’ex-junte militaire» qui a dirigé le pays pendant six mois en 1999, jusqu’à l’élection de Kumba Yala. A l’instar de ses alliés ou concurrents, d’hier ou de demain, le général fraîchement promu président provient de la mince frange politico-militaire qui se dispute la direction des affaires bissau-guinéennes depuis 30 ans. De règlements de comptes plus ou moins sanglants en scissions tonitruantes au sein du PAIGC de l’indépendance, les mêmes continuent en quelque sorte de se battre sur un héritage réduit à néant, celui d’Amilcar Cabral assassiné en janvier 1973 à Conakry, avec des complicité interne au parti. Correia Seabra est lui-même un vétéran de la guerre de libération.

Avant ce 14 septembre, le général Correia avait déjà trempé dans les deux précédents coups d’Etat. Il a participé au soulèvement qui, en novembre 1980, a chassé le premier président de Guinée Bissau indépendante, le demi-frère du père de la Nation, Luis Cabral. En 1998, il figurait au premier plan de la «mutinerie» qui s’est transformée en guerre civile et a vu la chute de Nino Vieira. Cette fois, à 52 ans, il sort de l’ombre. Le général Correia accuse Kumba Yala d’avoir remis le pays au bord de la guerre civile. Il assure qu’il lui avait adressé des avertissements avant de se sentir tenu de jouer l’arbitre militaire, un rôle toujours en usage en Guinée Bissau où l’armée cultive ses références conquises de haute lutte anti-coloniale pour éviter de se faire damer le pion du pouvoir par des politiciens en tenue de ville. Et, en règle générale, quand le Trésor public fond, des turbulences s’annoncent. Or, la banqueroute de la Guinée-Bissau est aujourd’hui totalement consommée.

Pas plus que ses prédécesseurs, Kumba Yala n’a mis sur la voie du développement ce pays aquatique où la mer remontent les estuaires des rivières qui le découpent en multiples terroirs plus ou moins accessibles. Plus des deux tiers de la population survivent avec moins d’un dollar par jour, pour une espérance de vie moyenne de 40 ans, sans infrastructures d’aucune sorte. Education à l’abandon, services de santé en ruines, la mortalité infantile a battu en 2001 le sinistre record de 130 pour 1 000. Les espoirs levés par l’agronome Amilcar Cabral sont morts-nés. Aujourd’hui, seule la cueillette des noix de cajou contribue (pour 90%) aux recettes d’exportation. Dépendants de l’agriculture à 90 %, les Bissau-Guinéens sont à des années lumières de l’autosubsistance. Dans ces conditions, le battle-dress est une assurance-vie. Héritage de la guerre de libération et du dernier conflit armé, la Guinée Bissau compte 25 000 militaires dont 20 000 sont promis à la démobilisation dans le cadre d’un programme qui traînait depuis l’avènement de Kumba Yala. La dette extérieure est de 668 millions de dollars selon la Banque mondiale. Et les bailleurs de fonds demandent des gages de stabilité avant de mettre la main à la poche.



par Monique  Mas

Article publié le 15/09/2003