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Centrafrique

Le dialogue, façon Bozizé

Le chef de l’Etat a inauguré mardi 8 septembre un «dialogue national» qui réunit à Bangui pour une dizaine de jours 350 délégués censés représenter toutes les strates de la société centrafricaine. Selon le président Bozizé, cette grand-messe entre politiciens, militaires, gens d’églises, commerçants, étudiants ou associations de femmes «ne doit pas être un lieu de diatribes stériles ou de déballages avilissants», mais un conclave de réconciliation pour que «la République centrafricaine renaisse de ses cendres», après huit ans de convulsions politico-militaires. Les anciens présidents Patassé et Kolingba sont: l’un exclu, l’autre volontairement absent du dialogue national.
De mutineries en coup d’Etat, en particulier depuis 1996, la République centrafricaine a lancé différentes tentatives de conciliations, militaires ou civiles. En vain jusqu’à présent. Six mois après sa prise de pouvoir par les armes, le 15 mars dernier, le général-président François Bozizé relève le gant avec un dialogue national promis en décembre 2002 par son prédécesseur malheureux, le président déchu Ange-Félix Patassé. Ce dernier en a été écarté. Son ancien concurrent, battu aux urnes puis accusé de tentative de putsch, l’ex-président André Kolingba, a poliment décliné l’invitation depuis son exil ougandais, malgré l’amnistie et les appels du pied présidentiel du général Bozizé. Le chef de l’Etat gèrera donc ces assises de la «réconciliation» avec des administrés consentants, chauds ou tièdes partisans du nouveau régime.

C’est largement pour complaire aux bailleurs de fonds que le président Bozizé a repris à son compte l’idée d’un dialogue national suffisamment encadré pour qu’il ne risque pas de se transformer en catharsis voire en «conférence nationale souveraine». Dès le 11 août, l’organe législatif qu’il a mis en place peu après sa prise de pouvoir, le Conseil national de transition (CNT) a voté contre la participation d’Ange-Félix Patassé, réfugié au Togo mais objet d’une plainte pour «crimes de guerre» déposée en février dernier devant la Cour pénale internationale (CPI) par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Le 26 août, le procureur de Bangui a annoncé de son côté que la justice centrafricaine lançait un mandat international contre l’ancien président Patassé pour «crimes de guerre, assassinats, viols, intelligence avec une puissance ennemi, détournements de fonds» et autres lourdes accusations. Le lendemain, François Bozizé fixait le calendrier du dialogue national du 11 au 20 septembre. Depuis, il l’a avancé de trois jours, sans plus d’explications.

Décret présidentiel

Fin août, le chef de l’Etat a nommé les onze membres d’un bureau de Comité préparatoire au dialogue national présidé par le pasteur Isaac Zokoué. Ce dernier avait déjà été le chef d’orchestre de la Conférence de réconciliation nationale organisée en 1998 après les trois mutineries de 1996-97. Aujourd’,hui, c’est un décret présidentiel prévoit la mise en place par ce comité de six commissions: «Vérité et réconciliation. Politique et diplomatie. Défense nationale et sécurité. Economie et finances. Education, social, culture, jeunesse et sports. Organisation et logistique» du dialogue national, le tout réunissant une quarantaine de responsables des séances de travail eux-mêmes choisis dans «toutes les couches de la nation centrafricaine». Quant aux participants au dialogue national, le décret présidentiel précise que leur «nombre ne saurait être supérieur à 350» et ils «sont désignés et convoqués par le Comité préparatoire».

Au total, le dialogue inter-centrafricains ne sera pas «inclusif» comme l’ont voulu chez eux les Congolais voisins par exemple. Le porte-parole d’Ange-Félix Patassé dénonce «une occasion manquée». Mais le ministre des Affaires étrangères, Karim Meckassoua, ne croit pas que Patassé aurait pu apporter «une contribution sereine et constructive». Quant au président du CNT, il estime que le dialogue sera l’occasion pour les Centrafricains de s’interroger sur «ce qui dans la Constitution ou le code électoral actuels ont permis de frauder et de violer les principes en toute impunité». «L’important», dit-il, «ce n’est pas la participation ou non d’un Patassé dont plus personne ne veut, mais les mesures que nous prendront pour éviter que cela se reproduise». En attendant, la mise à l’écart de Patassé a beaucoup mobilisé le général Bozizé et son équipe. Il a dû aussi donner des gages aux observateurs internationaux pour reconquérir les bailleurs de fonds sans lesquels la République ne sortira pas de l’ornière économique.

Le 4 septembre, le Premier ministre Abel Goumba a créé un Comité permanent de surveillance de la solde des 19 000 fonctionnaires recensés dans le pays. Ils auraient tendance à percevoir des salaires, primes et indemnités indues. Et cela parfois après licenciement, démission, voire post mortem. La fraude aux fonctionnaires fantômes seraient un art consommé par certains gestionnaires de départements civils ou militaires. Une commission mise sur pied sitôt l’arrivée de Bozizé aurait déjà permis d’en détecter 886 pour un trop-perçu de 478 millions de francs CFA. Reste que la tentation est forte dans une Centrafrique où les arriérés de salaires ont atteint les 36 mois et ou une solde si maigre soit elle se doit de nourrir une voire plusieurs familles nombreuses. Mais le régime s’emploie aussi à frapper plus haut, dans le cadre d’une «opération mains propres», elle-aussi serpent de mer des pouvoirs successifs. La première salve a visé la mouvance Patassé.

Dès avril dernier, le nouveau pouvoir Bozizé s’est attaqué aux diamants de la discorde centrafricaine avec la suspension des autorisations minières accordées par l’ancien régime. Ministre des Mines et de l’Energie, un neveu de François Bozizé, le commandant Sylvain N’Doutingaï a rapidement créé une Commission de vérification des permis d’exploitation qui a, non moins diligemment, abrogé une série de décrets pris par l’ancien président Patassé en faveur de la société dans laquelle il avait des intérêts, la Colombe Mines. En même temps cette commission a retiré tout permis à son beau-frère togolais, René Koffi Bodombossou. Au total, une trentaine d’autorisation ont été remise en question et une demi-douzaine de bureaux d’achat de diamants et d’or ont été fermés. Il est vrai que certains d’entre eux ont par le passé servi le seigneur de la guerre congolais Jean-Pierre Bemba –allié de Patassé– en écoulant quantité de diamants congolais à Anvers. Ces dernières années, la Centrafrique livrait le double de son habituelle production annuelle de 500 000 carats sur la place belge.

La justice de l’ère Bozizé poursuit en particulier Ange-Félix Patassé pour un «détournement de deniers publics» provisoirement chiffré à 70 milliards de CFA. Fin août, une dizaine de ses anciens dignitaires ont fait eux aussi les frais de l’opération «mains propres». Aux Centrafricains qui trouvent que le coup de balai traîne en longueur, Bangui promet que quelque 120 personnes au total pourraient être mises sous les verrous prochainement. Parmi ceux qui sont déjà détenus, figurent par exemple un ancien conseiller de Patassé accusé d’avoir mis dans sa poche tout ou partie d’un don libyen de 55 000 tonnes de carburant. L’ancien gestionnaire des dons japonais aussi aurait détourné plusieurs milliards de francs CFA, à l’instar de plusieurs anciens ministres ou de celle qui fût sous Patassé la mairesse de Bangui. L’ancien ministre des Mines et de l’Energie aussi est en prison. Ils aurait trempé dans un trafic de pierres précieuses en complicité avec le beau-frère du président déchu.

Mardi, le président du Comité préparatoire, le pasteur Isaac Zokoué a appelé les participants à trouver des «mesures concrètes et applicables» pour éliminer les germes de la division. «Certains attendent que ce grand forum soit l’occasion d’un déballage. Mais le sensationnel ne sera pas le remède à nos maux», a-t-il prévenu en indiquant que «les conclusions du dialogue seront confiées à une structure de suivi pour leur mise en œuvre».



par Monique  Mas

Article publié le 10/09/2003