Arabie Saoudite
Washington-Ryad : les liaisons dangereuses
Robert Baer a été agent de la CIA au Moyen-Orient pendant plus de 20 ans, de 1976 à 1997. Il vient de publier Or Noir et Maison Blanche (éditions JC Lattès).
RFI : Vous décrivez la relation de dépendance qui s’est installé entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite, parce que les États-Unis, dites-vous, sont accros aux pétrodollars…
Robert Baer : Oui, les États-Unis sont complètement dépendants du pétrole saoudien. Ils ont besoin de l’Arabie Saoudite pour stabiliser les cours du pétrole. En cas de crise au Venezuela ou au Nigeria, c’est l’Arabie Saoudite qui compense la différence. C’est le seul pays au monde à avoir une telle capacité de surproduction et sans cela, les Américains paieraient leur pétrole deux ou trois fois plus cher…
RFI : Les États-Unis ne peuvent pas se passer du pétrole saoudien ?
RB : Non, ils ne peuvent pas se passer du pétrole saoudien. Même s’il ne représente que 10% des importation, ce pétrole est nécessaire pour stabiliser le marché…
RFI : Il n’ y a pas que le pétrole. L’Arabie Saoudite est également gros pourvoyeur de contrats pour les grands groupes américains que sont Carlyle, Halliburton…
RB: Carlyle, McDonell Douglas, Boeing… Toutes ces compagnies, particulièrement en période de crise, dépendent de l’Arabie Saoudite pour acheter leur armes : des chars Abrams, des chasseurs F-16, des avions Awacs… Sans ces commandes l’industrie américaine de l’armement serait en sérieux danger.
RFI :On ressort de ce livre avec l’impression que Washington est à vendre. C’est vraiment le cas ?
RB : Je pense que c’est vrai. Je pense que beaucoup d’ autres pays sont aussi à vendre quand il s’agit de telles sommes d’argent… C’est la nature de la politique… Un responsable saoudien m’a raconté cette histoire : En 1968, un homme d’affaire saoudien est venu voir le président Nixon pour le féliciter de son élection et il décida de laisser un valise avec un million de dollars prés du bureau du président. Il l’a fait. Personne ne l’a jamais appelé. Les Saoudiens en ont conclu –que l’histoire soit vrai ou pas ils y croient– que Washington était à vendre… C’est une métaphore pour décrire ce passe à Washington… Washington est mené par l’argent facile…
RFI : Cette dépendance économique a évidemment des implications politiques. C’est même le cœur de votre livre.
RB : La dépendance des Américains au pétrole bon marché est comme une dépendance à la drogue. Comme toute dépendance, elle affecte votre perception… Nous n’avons pas envie de regarder les faits. Il ne fait aucun doute pour moi et pour de nombreuses personnes aux États-Unis que, à un certain niveau, l’Arabie Saoudite était impliquée dans les attaques du 11 septembre… Et pourtant la Maison Blanche refuse toujours de l’admettre. Elle refuse de déclassifier les 28 pages du rapport du Congrès… et refuse de mettre quelque pression que ce soit sur l’Arabie Saoudite, uniquement pour des raisons économiques.
RFI : Est-ce que cela a changé depuis le 11 septembre ?
RB : Rien n’a changé ! Jusqu’à la guerre, les Américains, ou plutôt devrais-je dire la Maison Blanche, a accusé l’Irak alors que l’Irak n’avait rien à voir avec les attaques du 11 septembre, contrairement à l’Arabie Saoudite. Et jusqu’à ce jour l’Arabie n’a rendu aucun compte sur les citoyens saoudiens impliqués dans le 11 septembre.
RFI : Vous écrivez que l’Arabie Saoudite est «la terre d’élection du terrorisme mondial», du fait du soutien financier qu’elle apporte à un réseau de mosquées qui propage l’idéologie wahhabite, c’est à dire un islam rigoriste, conservateur et djihadiste.
RB : Il y avait 15 Saoudiens sur les 19 pirates de l’air dans les attaques du 11 septembre. Tous ont été recrutés dans des mosquées dont les imams sont payés par le gouvernement saoudien. La cellule de Hambourg était financée par des Saoudiens. La cellule de San Diego également. Et le cerveau des attaques, Khaled Cheikh Mohamed, était lui aussi financé par des Saoudiens.
RFI : Comment fonctionne ce financement ? Ce n’est pas un financement direct du gouvernement saoudien, mais plutôt par le biais d’associations caritatives islamiques.
RB : Une grande part vient des organisations caritatives islamiques, mais une partie vient directement de personnes à l’intérieur de l’Arabie Saoudite et qui ont des connexions avec la famille royale. Ca ne veut pas dire qu’il y a une conspiration de la part du gouvernement, mais le fait que ces personnes vivant en Arabie Saoudite sont des associés d’affaires des princes, poussent à s’interroger… et nous n’avons toujours pas de réponse.
RFI : On a du mal à comprendre que l’Arabie Saoudite qui entretient des relations d’affaires florissantes avec les États-Unis, finance d’un autre côté des réseaux terroristes. Quel est l’intérêt de la famille royale saoudienne ?
RB : La famille royale saoudienne paye pour sa protection. Une grande part de la famille royale est très occidentalisée et veut poursuivre un mode de vie qui ne correspond pas aux principes du wahhabisme. Elle donne de l’argent aux wahhabites radicaux pour les tenir tranquille. C’est aussi simple que cela. Nous appelons ça l’argent de protection. Comme pour la mafia aux États-Unis.
RFI : Un autre danger menace la manne pétrolière saoudienne : le terrorisme. Selon vous, il suffirait de 10 kg d’explosifs bien placé sur les sites pétroliers pour plonger l’économie mondiale dans un profond marasme.
RB : Avec 20 ou 30 kg d’explosifs vous pouvez immédiatement enlever du marché six millions de barils pendant deux ans… Les gens me demandent : «Pourquoi quelqu’un voudrait faire cela ?». Regardez l’Irak ! Les Irakiens font sauter leurs propres puits de pétrole plutôt que de laisser l’Occident en bénéficier. Pourquoi cela ne pourrait pas se produire en Arabie Saoudite ?
RFI : Votre livre se referme d’ailleurs sur une forme de provocation, puisque vous proposez d’envahir et d‘occuper par la force les champs pétroliers d’Arabie Saoudite. C’est le moyen, dites-vous, «de sauver l’Occident d’une longue et très grave dépression».
RB : Ce que je dis, c’est qu’en l’absence de réduction dans la consommation de pétrole ou de changements dans l’économie américaine, si la tendance se poursuit, si les États-Unis et l’Occident continue de consommer autant de pétrole et que le fondamentalisme se développe en Arabie Saoudite, ce qui est probable, un jour nous pourrions être forcé de prendre cette décision. C’est comme si un autre pays jetait des déchets nucléaires dans l’océan et le détruisait, nous devrions intervenir. Ou si quelqu’un coupait la forêt amazonienne. Le pétrole saoudien est un problème global qui ne concerne pas uniquement l’Arabie Saoudite.
Ecouter également :
L'interview de Robert Baer (04/09/2003, 6'26")
Robert Baer : Oui, les États-Unis sont complètement dépendants du pétrole saoudien. Ils ont besoin de l’Arabie Saoudite pour stabiliser les cours du pétrole. En cas de crise au Venezuela ou au Nigeria, c’est l’Arabie Saoudite qui compense la différence. C’est le seul pays au monde à avoir une telle capacité de surproduction et sans cela, les Américains paieraient leur pétrole deux ou trois fois plus cher…
RFI : Les États-Unis ne peuvent pas se passer du pétrole saoudien ?
RB : Non, ils ne peuvent pas se passer du pétrole saoudien. Même s’il ne représente que 10% des importation, ce pétrole est nécessaire pour stabiliser le marché…
RFI : Il n’ y a pas que le pétrole. L’Arabie Saoudite est également gros pourvoyeur de contrats pour les grands groupes américains que sont Carlyle, Halliburton…
RB: Carlyle, McDonell Douglas, Boeing… Toutes ces compagnies, particulièrement en période de crise, dépendent de l’Arabie Saoudite pour acheter leur armes : des chars Abrams, des chasseurs F-16, des avions Awacs… Sans ces commandes l’industrie américaine de l’armement serait en sérieux danger.
RFI :On ressort de ce livre avec l’impression que Washington est à vendre. C’est vraiment le cas ?
RB : Je pense que c’est vrai. Je pense que beaucoup d’ autres pays sont aussi à vendre quand il s’agit de telles sommes d’argent… C’est la nature de la politique… Un responsable saoudien m’a raconté cette histoire : En 1968, un homme d’affaire saoudien est venu voir le président Nixon pour le féliciter de son élection et il décida de laisser un valise avec un million de dollars prés du bureau du président. Il l’a fait. Personne ne l’a jamais appelé. Les Saoudiens en ont conclu –que l’histoire soit vrai ou pas ils y croient– que Washington était à vendre… C’est une métaphore pour décrire ce passe à Washington… Washington est mené par l’argent facile…
RFI : Cette dépendance économique a évidemment des implications politiques. C’est même le cœur de votre livre.
RB : La dépendance des Américains au pétrole bon marché est comme une dépendance à la drogue. Comme toute dépendance, elle affecte votre perception… Nous n’avons pas envie de regarder les faits. Il ne fait aucun doute pour moi et pour de nombreuses personnes aux États-Unis que, à un certain niveau, l’Arabie Saoudite était impliquée dans les attaques du 11 septembre… Et pourtant la Maison Blanche refuse toujours de l’admettre. Elle refuse de déclassifier les 28 pages du rapport du Congrès… et refuse de mettre quelque pression que ce soit sur l’Arabie Saoudite, uniquement pour des raisons économiques.
RFI : Est-ce que cela a changé depuis le 11 septembre ?
RB : Rien n’a changé ! Jusqu’à la guerre, les Américains, ou plutôt devrais-je dire la Maison Blanche, a accusé l’Irak alors que l’Irak n’avait rien à voir avec les attaques du 11 septembre, contrairement à l’Arabie Saoudite. Et jusqu’à ce jour l’Arabie n’a rendu aucun compte sur les citoyens saoudiens impliqués dans le 11 septembre.
RFI : Vous écrivez que l’Arabie Saoudite est «la terre d’élection du terrorisme mondial», du fait du soutien financier qu’elle apporte à un réseau de mosquées qui propage l’idéologie wahhabite, c’est à dire un islam rigoriste, conservateur et djihadiste.
RB : Il y avait 15 Saoudiens sur les 19 pirates de l’air dans les attaques du 11 septembre. Tous ont été recrutés dans des mosquées dont les imams sont payés par le gouvernement saoudien. La cellule de Hambourg était financée par des Saoudiens. La cellule de San Diego également. Et le cerveau des attaques, Khaled Cheikh Mohamed, était lui aussi financé par des Saoudiens.
RFI : Comment fonctionne ce financement ? Ce n’est pas un financement direct du gouvernement saoudien, mais plutôt par le biais d’associations caritatives islamiques.
RB : Une grande part vient des organisations caritatives islamiques, mais une partie vient directement de personnes à l’intérieur de l’Arabie Saoudite et qui ont des connexions avec la famille royale. Ca ne veut pas dire qu’il y a une conspiration de la part du gouvernement, mais le fait que ces personnes vivant en Arabie Saoudite sont des associés d’affaires des princes, poussent à s’interroger… et nous n’avons toujours pas de réponse.
RFI : On a du mal à comprendre que l’Arabie Saoudite qui entretient des relations d’affaires florissantes avec les États-Unis, finance d’un autre côté des réseaux terroristes. Quel est l’intérêt de la famille royale saoudienne ?
RB : La famille royale saoudienne paye pour sa protection. Une grande part de la famille royale est très occidentalisée et veut poursuivre un mode de vie qui ne correspond pas aux principes du wahhabisme. Elle donne de l’argent aux wahhabites radicaux pour les tenir tranquille. C’est aussi simple que cela. Nous appelons ça l’argent de protection. Comme pour la mafia aux États-Unis.
RFI : Un autre danger menace la manne pétrolière saoudienne : le terrorisme. Selon vous, il suffirait de 10 kg d’explosifs bien placé sur les sites pétroliers pour plonger l’économie mondiale dans un profond marasme.
RB : Avec 20 ou 30 kg d’explosifs vous pouvez immédiatement enlever du marché six millions de barils pendant deux ans… Les gens me demandent : «Pourquoi quelqu’un voudrait faire cela ?». Regardez l’Irak ! Les Irakiens font sauter leurs propres puits de pétrole plutôt que de laisser l’Occident en bénéficier. Pourquoi cela ne pourrait pas se produire en Arabie Saoudite ?
RFI : Votre livre se referme d’ailleurs sur une forme de provocation, puisque vous proposez d’envahir et d‘occuper par la force les champs pétroliers d’Arabie Saoudite. C’est le moyen, dites-vous, «de sauver l’Occident d’une longue et très grave dépression».
RB : Ce que je dis, c’est qu’en l’absence de réduction dans la consommation de pétrole ou de changements dans l’économie américaine, si la tendance se poursuit, si les États-Unis et l’Occident continue de consommer autant de pétrole et que le fondamentalisme se développe en Arabie Saoudite, ce qui est probable, un jour nous pourrions être forcé de prendre cette décision. C’est comme si un autre pays jetait des déchets nucléaires dans l’océan et le détruisait, nous devrions intervenir. Ou si quelqu’un coupait la forêt amazonienne. Le pétrole saoudien est un problème global qui ne concerne pas uniquement l’Arabie Saoudite.
Ecouter également :
L'interview de Robert Baer (04/09/2003, 6'26")
par Karim Lebhour
Article publié le 05/09/2003