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Sida

Bénin: les maîtres-vaudou font de la prévention

Au Bénin, pays du culte vaudou, l’épidémie de sida a généré une nouvelle collaboration entre médecins des villes, maîtres féticheurs et tradi-praticiens. Dans ce petit pays d’Afrique de l’Ouest, l’un des plus pauvres de la région, la majorité des 6 millions d’habitants vivent dans un dénuement qui rend encore plus difficile la lutte contre la maladie. Faute d’argent, le gouvernement n’a pas les moyens de payer les médicaments. 80% des béninois ont recours à la médecine traditionnelle et au culte vaudou pour repousser le virus.
Des boubous de couleurs vives sur leur peau noire… les médecins traditionnels d’Hinvi, à cent cinquante kilomètres de Cotonou, au cœur du Royaume vaudou béninois, sont assis en arc de cercle autour d’un mortier et d’un minuscule chaudron. A l’ombre d’un arbre gigantesque, des feuilles et des plantes sont en train de macérer sur un feu qu’un des leurs ne cesse de raviver.
Il s’appelle Albert Zobleko, fondateur d’une association inédite appelée Opesvat. Un organisme non gouvernemental pour la préservation de la santé et de la nature qui réussit pour la première fois à fédérer les praticiens traditionnels et les maîtres féticheurs. Ce fils de chef vaudou a appris la vertu des plantes auprès de son père qui lui-même l’avait apprise de son propre père, habitant le même village d’Hinvi. Albert Zobleko vous conduit d’emblée dans ce qu’il nomme sa fierté de médecin: son jardin botanique. Pour y accéder, il faut longer quelques huttes de terre rouge, passer sous d’immenses manguiers, passer une rangée d’ananas lovés au cœur de longues feuilles rigides et continuer sur un chemin d’herbes bien vertes. Un pare-terre d’une vingtaine d’hectares s’offre au visiteur, quelques pancartes piquées donnent le nom savant de certains arbres.
«Ici, c’est mon laboratoire! Sous l’apparence anodine des végétaux se cache un monde insoupçonné pour celui qui ne sait pas le déchiffrer», explique Albert Zobleko. Le directeur d’Opesvat a un rêve. Il espère un jour trouver dans son jardin, les mélanges naturels qui mettront fin à l’épidémie de sida dans son pays. Comme les autres médecins du village, il a vu il y a une quinzaine d’années, arriver des patients habités d’un étrange mal. Les malades maigrissaient à vue d’œil, toussaient fortement, étaient la proie d’innommables diarrhées et finissaient par mourir subitement. Pour soulager les symptômes, les tradi-praticiens ont utilisé des racines de , d’épaisses tiges de bois tendre et jaunâtre. Donnée à jeun chaque matin avec de l’eau, la potion s’est révélée bénéfique mais vouée à l’échec au bout de quelques semaines. Alors Albert Zobleko en a parlé à ses collègues, médecins traditionnels des villages alentours. Tous partageaient la même sensation, ils étaient en présence d’un nouvel envoûtement. Mais les praticiens ont eu beau chercher le sorcier responsable du châtiment ou tenter de repérer l’origine de l’esprit mauvais, aucun d’entre eux n’est arrivé à ses fins. Alertés par le désespoir des villageois, les prêtres féticheurs ont multiplié les scarifications et l’imposition de toutes sortes de poudres sans jamais repousser le mal.

Collaboration entre médecines traditionnelle et classique

«Quinze ans ont passé et aujourd’hui ce sont les jeunes entre 18 et 25 ans qui disparaissent le plus dans nos villages», déplore Jérôme Akmadossou, prêtre vaudou depuis vingt-trois ans et membre de l’Association Opesvat. «Au Bénin, reconnaît-il, la vision de la maladie sida a beaucoup évolué. Moi par exemple, je voyais avant des malades fuir le village parce qu’ils se croyaient maudits et quand ils restaient chez eux, c’était souvent leur propre famille et leurs amis qui les chassaient ou les abandonnaient». Aussi macabre que cela puisse paraître, au Bénin, les morts restent le seul baromètre pour mesurer l’ampleur de l’hécatombe. Placé en 155e position sur une échelle des pays les plus pauvres de la planète qui en compte 174, le Bénin ne peut pas offrir à sa population les traitements des pays riches. Pour le sida, le gouvernement n’a pas d’autre choix que d’axer la lutte sur la prévention.

Ainsi, en qualité de directeur d’association, Albert Zobleko a été contacté par des conseillers du ministère de la Santé pour entamer une série de formation auprès des tradi-praticiens et des maîtres féticheurs des régions les plus reculées de la province, le Zou. «Notre collaboration avec le programme de lutte national du sida (PNLS) de Cotonou a remarquablement fonctionné, se réjouit le Directeur d’Opesvat. Lorsqu’ils sont arrivés, les personnes du PNLS nous ont tout de suite indiqué comment le virus se transmet. C’est là que nous avons appris que le sida pouvait se transmettre par le sang et ils nous ont demandé de changer nos pratiques pour les scarification car le culte vaudou fonctionne beaucoup sur des incisions de peau et des cérémonies du sang. Nous étions donc les premiers exposés à la maladie et donc les plus susceptibles de mourir».

Il est étonnant de constater combien les messages de prévention ont été relayés dans la région d’Hinvi. Si les lames restent obligatoires pour l’exécution des rites vaudou, les maîtres féticheurs ont appris à séparer les poudres pour les placer dans les parties découpées du corps. Mais l’hygiène des lames reste suspecte car les médecins traditionnels disent les désinfecter à l’aide d’un alcool local puissant, le sulabi. Selon les animateurs du Programme sida, les médecins traditionnels ont beaucoup a apporté aux populations les plus reculées car ce sont eux qui ont la confiance des villageois et qui sont au plus près de leurs croyances. Mais ils reconnaissent des les réticences du côté des médecins au sujet des préservatif. «Dans un pays où les hommes pratiquent la polygamie, il est très difficile de transmettre les informations sur un nouveau mode de comportement sexuel», reconnaît le père Bernard, médecin et responsable du dispensaire de brousse Sainte-Camille à Abomey.

Sans médicaments, sans électricité non plus, ce prêtre catholique tente lui aussi de lutter contre l’épidémie de sida. La majorité des vingt-quatre lits de Son centre de santé sont occupés par des sidéens. Une jeune maman d’à peine trente kilos, garde son bébé sur le ventre, une autre tousse dans un lit voisin, sa famille est repartie en Côte d’Ivoire. Allongée sur son lit, elle respire faiblement, atteinte d’une tuberculose, l’un des signes avant-coureurs de la maladie. Et pourtant, quelle formidable énergie de ce médecin religieux qui a réussi à obtenir des fonds pour installer dans le dispensaire, un service de dépistage du VIH. Une structure légère, à l’aide de quelques microscopes et d’un nouveau poste de médecin biologiste. Pour les traitements, le Père Bernard pratique lui aussi les plantes. Empaquetée dans de petits sachets plastifiés, il sort de la luzerne qu’il a broyée pour stimuler les défenses du corps de ses malades. Près du centre, il cultive et récolte les algues. «Cinq-cents grammes de Spiruline chaque jour, c’est largement suffisant pour la totalité des patients, ça les aide à retrouver l’appétit» dit-il.

Pour lui, la connaissance des plantes africaines a beaucoup à apporter à la médecine dite «classique». Et peut-être qu’un jour, beaucoup plus vite qu’on ne le croit, le doux rêve d’Albert Zobleko deviendra réalité. Au cours du mois de novembre, le professeur français Luc Montagnier, co-découvreur du virus du sida, participait à une conférence des pays d’Afrique de l’Ouest à Lomé, la capitale du Togo, à quelques heures de voiture de la frontière Béninoise. Dans son allocution, le célèbre scientifique souhaitait une étroite collaboration avec la médecine traditionnelle africaine. Il y exposait entre autres, les espoirs fondés sur la papaye, dont les extraits de fruit sont capables d’agir comme défenseurs du corps, suffisamment puissants pour fournir une piste de recherche d’un futur traitement. Mais une fois trouvé, le remède risque de poser problème à l’industrie pharmaceutique, car aujourd’hui, le code international interdit de breveter une plante…

Contact Opesvat: Opesvat_ong1994@yahoo.fr



par Marina  Mielczarek

Article publié le 01/12/2003