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Sida

Le Fonds mondial : «une coquille vide d’argent»

La treizième conférence internationale sur le sida et les maladies sexuellement transmissibles en Afrique a lieu à Nairobi, au Kenya, du 21 au 26 septembre 2003. En s’intéressant au thème de l’accès aux soins, les participants (politiques, chercheurs, associations…) doivent aborder la question centrale de la lutte contre cette maladie en Afrique. Annick Hamel, la responsable de la campagne pour l’accès aux médicaments essentiels de l’association Médecins sans frontières, dresse dans la perspective de cette réunion le bilan des avancées réalisées ces dernières années en matière de lutte contre le sida et des obstacles qui restent à franchir pour arriver enfin à trouver les moyens de s’attaquer à une épidémie majeure qui ravage le continent africain. Selon Onusida, sur les 3,1 millions de malades décédés en 2002 des suites de cette maladie, 2,4 étaient Africains. Et près de 30 millions de personnes sont contaminées par le virus sur le continent.
RFI : Y a-t-il eu des progrès sur le continent depuis la dernière Conférence internationale sur le Sida en Afrique à Ouagadougou en 2001 ?

Annick Hamel
: Oui, car aujourd’hui, le fait que les patients africains ont le droit d’être soignés n’est plus remis en question et l’idée que quand on les traite ça marche, non plus. Pendant des années, on a préconisé uniquement la prévention pour les Africains en invoquant notamment comme prétexte qu’ils n’étaient pas capables de prendre les médicaments. Aujourd’hui, on associe prévention et traitement. C’est un point essentiel.
Ensuite, le prix des médicaments a continué à diminuer grâce aux génériques. On est maintenant sur des lignes de traitements à moins de 300 euros par an et par personne. Ce sont les médicaments génériques qui ont fait baisser le prix des traitements de manière importante.
D’autre part, l’Organisation mondiale de la Santé a pris ses responsabilités et a identifié des antirétroviraux génériques qui sont de qualité équivalente à celle des spécialités des grands laboratoires et les a validé au cours de l’année dernière. Cela participe à convaincre les réticents car il y avait une forme de dénigrement des génériques. Un autre bonne nouvelle vient du fait qu’il y a un certain nombre de pays, africains notamment, qui veulent vraiment s’attaquer au problème du sida et traiter leurs malades. Le Malawi ou le Bostwana, par exemple.

RFI : Que pensez-vous de l’accord sur les médicaments génériques conclu à l’Organisation mondiale du Commerce avant le sommet de Cancun ?

A.H.
C’est un accord inapplicable. Un accord qui énonce de bons principes mais qui tout de suite met des obstacles majeurs à l’application de ces principes est un mauvais accord. C’est un peu fort car quand il y a eu quelques cas d’anthrax aux Etats-Unis, ils n’ont pas eu toutes ces règles à respecter pour s’approvisionner en médicaments génériques. Ce qui est censé faciliter l’accès des pays pauvres à des médicaments moins chers est en réalité un tel parcours du combattant qu’on leur met plus d’obstacles qu’il n’en existe pour les pays qui ont une capacité de production pharmaceutique.

RFI : Dans ces conditions, aurait-il mieux valu qu’il n’y ait aucun accord ?

A.H :
Jusqu’en 2005, on n’avait pas de problème. Il aurait donc certainement mieux valu prendre un peu plus de temps pour obtenir un accord qui soit plus applicable que de vouloir à tout prix boucler avant Cancun un accord qui, pour le coup, sera très probablement une coquille vide. Et au sein des accords sur la propriété intellectuelle [Adpic], il y avait un mécanisme beaucoup plus simple basé sur l’article 30 qui aurait permis aux pays producteurs de génériques de continuer à fabriquer ces médicaments pour les exporter dans les pays sans capacité de production grâce à une exception générale sans recours administratif ou législatif. Nous allons quand même inciter les pays pauvres à appliquer cet accord et la déclaration de Doha après 2005, ne serait-ce que pour montrer que c’est impraticable.

RFI : Pourquoi les pays du Sud ont-ils finalement accepté cet accord ?

A.H.
: Parce qu’ils pensaient qu’en acceptant cela ils pourraient négocier sur autre chose car à l’OMC il n’y a pas que les médicaments. Mais aussi parce qu’il y a des pressions extrêmement faciles à exercer pour que les pays les plus concernés lâchent le morceau et signent. A partir du moment où les pays africains ont signé à Genève, les pays comme le Brésil ou l’Inde ne se sont plus sentis en position de force pour continuer à refuser ou essayer de négocier.

RFI : Que pensez-vous de la position des pays européens dans cette négociation ?

A.H.
: En dehors de déclarations favorables aux pays en développement, la position réelle de l’Union européenne, et notamment de Pascal Lamy [commissaire au Commerce], n’est pas très différente de celle des Etats-Unis. Cela a été assez facile de montrer du doigt les Etats-Unis en les accusant de bloquer et d’être les mauvais élèves. En réalité, à quelques nuances infimes près, le commissaire Lamy défendait la même position.

RFI : Où se situe la France ?

A.H.
: La position de la France est presque plus caricaturale parce que les discours du président de la République et du ministre du Commerce ont toujours été pleins d’emphase en mentionnant la non assistance à personne en danger, et en pratique on s’aperçoit que la France n’arrive pas à faire entendre sa voix et faire valoir son point de vue au sein de l’Europe. Si tant est que ses déclarations reflètent une volonté. Car au dernier G8, pour pouvoir se réconcilier avec le président des Etats-Unis, on était prêt à passer à la trappe les questions de principes sur l’accès des pays pauvres aux médicaments.

RFI : Le Fonds mondial contre le sida, créé il y a deux ans, est-il une coquille vide ?

A.H.
: C’est une coquille vide d’argent. Aujourd’hui on peut dire que le Fonds est en banqueroute. Il y a eu des contributions des Etats qui sont extrêmement loin des besoins et même des promesses que ces Etats ont faites. Sur les 7 à 10 milliards de dollars nécessaires pour lutter contre le sida, le paludisme, la tuberculose, il y a eu plus de deux milliards promis et moins d’un milliard versé au Fonds mondial. Aujourd’hui, même sur les projets bien ficelés et qui vaudraient la peine d’être financés, le Fonds n’a pas d’argent à attribuer. Il n’y a pas de pérennité. L’argent qui était disponible a déjà été versé et il n’y en a plus pour continuer.

RFI : George W. Bush a annoncé le déblocage de 15 milliards de dollars sur 5 ans pour la lutte contre le Sida, où en est cette initiative ?

A.H.
: Le Congrès n’a toujours pas validé le déblocage de ces sommes. Le fait d’avoir promis un milliard [sur les 15] pour le Fonds global était une annonce positive. Pour la suite, c’est un peu comme l’accord à l’OMC. Les conditions derrière sont telles qu’il y a de fortes chances que ce milliard ne soit jamais versé. Le reste relève du bilatéral. Et là, les Etats-Unis posent aussi des conditions : politique de planning familial, abstinence préconisée… qui relèvent du domaine de l’inacceptable. L’aide est une forme de récompense pour les pays qui auraient appliqué une bonne politique… et dans lesquels les Etats-Unis verraient intérêt à financer quelque chose.

RFI : De quoi les pays africains ont-ils besoin en priorité pour lutter contre le sida ?

A.H.
: D’argent et de toutes sortes d’aides car traiter des malades du sida cela veut dire avoir des médicaments mais aussi du personnel. Ils ont aussi besoin d’avoir des modes de traitement des malades qui ne soient pas une réplication totale de ce qui se fait en Occident car c’est inapplicable. Etant donné le nombre de malades qu’il faut traiter, il n’y aura jamais un médecin derrière chaque patient, jamais de matériel de laboratoire en quantité suffisante, de laboratoires, de laborantins… Il faut inventer des modes de prise en charge simplifiés pour faire face à une épidémie d’une ampleur qui n’a rien à voir avec celle que l’on connaît ici [au Nord].

RFI : Que peut-on attendre de la Conférence de Nairobi ?

A.H.
: Une fois de plus, il va être redit et démontré que c’est possible de traiter les malades en Afrique et que cela marche. Ce que l’on peut attendre à Nairobi, c’est donc une mobilisation un peu plus importante des décideurs africains sur le fait de faire quelque chose, des bailleurs de fonds pour tenir leurs engagements et fournir les financements nécessaires. C’est aussi l’endroit où va être menée cette réflexion sur le thème de savoir comment on peut s’attaquer à une épidémie d’une telle ampleur [en Afrique] alors que jusqu’à présent on ne l’a fait que pour quelques milliers de malades au Nord.


13ème Conférence internationale sur le sida en Afrique



par Propos recueillis par Valérie  Gas

Article publié le 20/09/2003