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Sida

Sauver des vies, c’est rentable

Donner l’accès aux antirétroviraux aux malades des pays en développement ne serait pas forcément un investissement réalisé en pure perte. Epargner des millions de vies et préserver des classes d’âge composées d’actifs, c’est une manière de contribuer au développement des pays que l’épidémie de sida affecte terriblement. L’exemple des résultats obtenus par le Brésil, premier pays du Sud à avoir généralisé l’accès aux médicaments, en offre la preuve.
Si le Brésil a réussi la mise en œuvre de son programme d’accès universel aux traitements contre le sida, c’est en grande partie grâce à la réduction du prix des antirétroviraux obtenue par le gouvernement qui a fait de cette question une véritable priorité. Des traitements dont le coût était de 5 000 dollars par an et par malade en 1997 ne valent plus aujourd’hui que 2 000 dollars grâce à la fabrication locale de génériques (copies des spécialités sous brevet) et à des négociations avec les laboratoires pour baisser les tarifs de leurs molécules protégées.

En conjuguant les actions de prévention efficaces et la distribution gratuite des traitements, les autorités brésiliennes ont obtenu des résultats spectaculaires. Près de 130 000 malades du sida sont aujourd’hui pris en charge sans frais par le système de santé public. Ce chiffre représente la moitié du total des malades des pays en développement qui ont accès aux antirétroviraux. D’autre part, la mortalité a reculé de manière significative et 90 000 malades ont évité la mort. L’espérance de vie après la détection des premiers symptômes est passée de 6 mois à 5 ans depuis la mise en œuvre du programme en 1996. Les hospitalisations ont diminué. Pour le docteur Ricardo Marins, du programme national de lutte contre le sida, ces résultats ont permis d’obtenir un bénéfice énorme sur le plan humain et social mais aussi sur le plan économique. En menant ces actions, le gouvernement brésilien estime en effet avoir économisé 2,2 milliards de dollars.

«Quand on maintient une population en vie, productive, le bénéfice va au-delà de l’individu»

L’exemple brésilien illustre non seulement le fait que la distribution des traitements contre le sida est possible dans le contexte socio-économique des pays pauvres dès lors qu’il y a une véritable volonté politique, mais aussi que le rapport coût-efficacité de la mise en œuvre de ce type d’action n’est pas forcément négatif. Jusqu’à très récemment en effet, certains économistes soutenaient que l’effort financier à consentir pour généraliser l’accès aux traitements dans les pays du Sud ne valait pas la chandelle car il ne s’agissait pas du domaine dans lequel le «retour sur investissement» était le plus élevé. Les positions sont dorénavant beaucoup moins tranchées.

Une étude intitulée Economics of aids and access to HIV/aids care in developing countries réalisée sous la direction de l’Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS) et présentée à l’occasion de la 2ème Conférence de l’International Aids Society, à Paris, insiste sur la réussite de certains programmes menés notamment dans des entreprises en Côte d’Ivoire ou au Bostwana, qui démontrent que l’élargissement de l’accès aux traitements est pertinent sur le plan économique. Tony Barnett, de l’Université d’East Anglia au Royaume-Uni, explique que «quand on maintient une population en vie, productive, le bénéfice va au-delà de l’individu». L’impact de l’épidémie de sida se calcule dans le long terme. L’analyse du rapport entre le coût des traitements et les bénéfices que l’on peu en attendre doit donc tenir compte de ce paramètre.

Dans la problématique de l’élargissement de l’accès aux antirétroviraux, la question centrale demeure celle des accords internationaux sur la propriété intellectuelle (Adpic) qui sont en cours de renégociation à l’Organisation mondiale du Commerce (OMC). A l’heure actuelle, les pays en développement sont soumis à des règles sur les brevets des médicaments conçues, selon Benjamin Coriat du Centre de recherche sur l’innovation au Centre national de recherche scientifique (CNRS), «pour les entreprises des pays développés». En l’état, ces accords signés en 1994 étendent la législation sur les brevets aux pays en développement et les empêchent dans la plupart des cas de produire ou d’importer les génériques dont ils ont besoin.

Le Brésil a réussi à se faufiler dans les brèches des textes pour engager la production de certaines molécules sous forme générique avant qu’elles ne soient brevetées. Cette stratégie lui a aussi permis d’agir sur le marché en engageant une concurrence avec les fabricants des spécialités qui a permis au gouvernement de négocier des réductions de prix. Malgré tout, même dans ce pays une différence notable demeure entre les tarifs des génériques et ceux des spécialités. Et quoi qu’il en soit, d’ici 2005 le Brésil va se trouver dans le même cas que la plupart des autres pays du Sud car il ne sera plus en mesure d’importer d’Inde ou de Chine, comme il le fait actuellement, les principes actifs nécessaires à la fabrication des génériques si les négociations des accords Adpic à l’OMC n’aboutissent pas à un assouplissement du régime.

Pour Benjamin Coriat, l’objectif est d’arriver «à traiter les antirétroviraux comme des produits de base» et d’obtenir «la libre circulation des principes actifs et des génériques pour les pays en développement». Cette position ne fait pas l’unanimité et pour le moment les intérêts trop divergents entre les pays du Sud et du Nord n’ont pas permis d’arriver à un compromis. Le verdict de cette négociation devrait néanmoins tomber d’ici la prochaine réunion de l’OMC au mois de septembre à Cancun.

2ème Conférence de l'International Aids Society

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L'invité du matin de RFI: Peter Piotr , directeur exécutif d'Onu sida





par Valérie  Gas

Article publié le 16/07/2003