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Sida

La tension monte autour de l’accès aux antirétroviraux

Pour la première fois, la semaine dernière, l’association Campagne d’action pour les traitements (TAC), a perturbé une inauguration officielle en présence du président Thabo Mbeki. Le chef de l’Etat bloque toujours l’accès de la majorité des malades aux antirétroviraux.
De notre correspondante en Afrique du Sud.

Imperturbable, le président a lu son discours comme prévu ce 17 avril, lors de l’inauguration d’un nouvelle Cour de justice à Khayelitsha, une township noire du Cap. Pour la première fois, quelques dizaines de membres de TAC l’ont personnellement visé en manifestant à son arrivée. Comme à leur habitude, ils ont brandi des pancartes présentant comme «recherchés» Manto Tshabalala-Msimang, la ministre de la Santé, et Alec Erwin, ministre du Commerce et de l’Industrie. «Ces deux ministres sont visés parce qu’ils ont le pouvoir d’importer ou d’autoriser la fabrication locale des versions génériques des traitements existants, explique Mark Heywood, l’un des responsables juridiques de TAC. Sous des prétextes fallacieux, manque d’argent ou toxicité des médicaments, ils refusent de faciliter l’accès aux antirétroviraux dans les hôpitaux publics. Ils condamnent à mort 600 personnes par jour».

Si Thabo Mbeki évite autant que possible de parler du sida, son gouvernement prête toujours une oreille attentive aux thèses des scientifiques «dissidents». Ceux-ci réfutent le lien de causalité entre HIV et Sida, mais aussi l’efficacité des traitements existants. Ces traitements sont considérés par plusieurs ministres sud-africains comme un racket organisé par les grands laboratoires. «Il n’y a que les grandes firmes pharmaceutiques pour affirmer que les antirétroviraux sont efficaces», s’est emporté le mois dernier Trevor Manuel, le ministre des Finances, lors d’un débat parlementaire.

Face à cette obstination, TAC a lancé une «campagne de désobéissance civile». Le 20 mars, une centaine de ses membres ont été arrêtés alors qu’ils occupaient un poste de police du Cap. Là, comme dans d’autres grandes villes du pays, ils ont porté plainte pour «homicide volontaire» contre Manto Tshabalala-Msimang et Alec Erwin. Des manifestants ont hué la ministre de la Santé, le 25 mars, pendant qu’elle prononçait un discours au Cap lors d’une conférence internationale sur la santé publique. Manto Tshabalala-Msimang n’a pu reprendre son discours qu’après la lecture d’un communiqué de TAC, qui l’a accusée de porter la «responsabilité morale» des morts du sida.

«Le gouvernement laisse les morts se multiplier»

Séropositif et malade, Zackie Achmat, le président de TAC, refuse toujours de se soigner, tant que la majorité de ses compatriotes – quelque 5 millions de personnes séropositives, 11 % de la population – n’aura pas accès aux antirétroviraux. Aujourd’hui, il ne cache pas sa colère : «Après d’innombrables tentatives de dialogue, de pressions publiques et même un procès (…), le gouvernement laisse les morts se multiplier, tout en jouant les diplomates secourables et bien intentionnés en Afrique et au Moyen-Orient», a-t-il écrit dans l’hebdomadaire The Mail & Guardian.

Depuis le 1er mars, date à laquelle un programme national de traitement négocié par le Conseil économique et social (Nedlac) devait entrer en vigueur, l’association multiplie les manifestations et les coups d’éclat. Bloqué, nié même par le président Thabo Mbeki, cet accord avait pourtant reçu, le 1er décembre dernier, l’aval du secteur privé, des syndicats, mais aussi de hauts fonctionnaires des ministères des Finances et du Travail. Aujourd’hui, le gouvernement temporise, affirmant avoir mis sur pied un «groupe de travail» chargé d’étudier les coûts des traitements.

«Ces coûts sont connus depuis longtemps», affirme Mark Heywood, aujourd’hui dans la ligne de mire de la ministre de la Santé. Manto Tshabalala-Msimang a en effet jeté un froid, le 8 avril, en l’accusant directement d’être un Blanc qui manipule des Noirs. Lors d’une cérémonie censée accueillir en Afrique du Sud Richard Feachem, le directeur du Fonds global des Nations unies contre le sida, la ministre, irritée par les manifestants de TAC à l’entrée de la salle, a commencé son allocution par une attaque cinglante contre Mark Heywood. «Nos Africains disent : ‘attendons l’homme blanc pour qu’il nous dise où nous mettre et où manifester’». «Vous êtes une menteuse», a rétorqué Mark Heywood, présent, devant une assemblée médusée.

Au cours de sa visite, Richard Feachem s’est déclaré «déçu». Pretoria n’a toujours pas signé le document permettant le déblocage d’une aide de 42 millions de dollars, un an après que celle-ci ait été octroyée. Principal tort du Fonds global : avoir prévu, dans son programme d’action, la fourniture d’antirétroviraux à des malades de la province du Kwazulu Natal.



par Sabine  Cessou

Article publié le 25/04/2003