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Guinée

Le pays est comme anesthésié

La campagne pour l’élection présidentielle officiellement ouverte depuis le 21 novembre, un mois avant le scrutin. Mais rien dans le pays ne laisse soupçonner une ambiance pré-électorale, si ce n’est des passages à la radio et à la télévision nationales des candidats ou de leurs représentants. L’opposition est en train de réussir à faire du scrutin présidentiel du 21 décembre prochain un non-événement.
Le mot d’ordre est simple: «Il n’y a pas d’élection donc ne bougez pas». En effet, plusieurs réunions et séances de travail à Conakry, de tous les partis politiques ont fait ressortir un consensus sur la marche à suivre pour boycotter l’élection présidentielle. Pour l’instant les mots d’ordre semblent être pris en compte par les militants qui affichent une grande indifférence aux appels du pied des candidats en lice. La participation aux meetings ne mobilise guère les foules beaucoup plus préoccupées par les coupures de courant et de distribution d’eau. Le président candidat Lansana Conté et son adversaire désigné, Bhoye Barry ont certainement mesuré la délicatesse de la situation pour avoir choisi la barrière des ondes et du petit écran pour s’adresser aux populations. La débauche de moyens qui accompagne normalement la tournée des candidats aurait été indécente face à la misère du peuple.

Du coup la retenue des candidats fait le jeu de l’opposition qui constate effectivement le non événement. De toute façon, le président candidat malade fait plus d’apparitions télévisuelles que visuelles et suffisamment brèves pour que des portraitistes ne remarquent sur son visage des signes évidents d’une extrême fatigue. A moins d’une vingtaine de jours de l’élection présidentielle aucune affiche nulle part ne signale l’événement. La campagne du président candidat se résume essentiellement à un étalage des réussites de son régime qui fêtera bientôt son vingtième anniversaire. «L’homme de la paix» ainsi est-il baptisé par ses supporteurs tout aussi discrets, qui semblent avoir peur d’une confrontation avec le peuple. Des milliers de T-shirts sont arrivés dans les états-majors, à l’effigie du général président Lansana Conté, mais connaissent une distribution plutôt timide. Le président aurait aussi offert à son parti, le PUP, (Parti pour l’union et le progrès), une somme de 280 millions de francs guinéens, environ 70 millions de francs CFA, soit un peu plus de 106 000 euros pour faire sa campagne. Les dignitaires du parti sont déçus, mais la dotation de l’Etat, 500 millions de francs guinéens leur remettra du baume au cœur. Par ailleurs plusieurs centaines de motos ont été distribuées dans les régions pour assurer la propagande dans les campagnes.

Le nom de Sékou Touré applaudi

Mais la campagne elle-même est assurée par les médias d’Etat. Les ministres et autres directeurs d’organismes d’Etat ne manquent pas une occasion pour «saluer la force de caractère du président» qui débordent d’attention pour tous ses concitoyens. Le ministère de la Communication faisant un don de vingt-et-une motos à la radio nationale pour réaliser des reportages dans les régions, a concédé l’événement à la grande «magnanimité» du président de la République. Le don d’instruments de musique au mythique orchestre Bembeya Jazz national, par un particulier guinéen vivant au Mexique, a été récupéré par le pouvoir qui en fait un événement rendu possible par la politique conduite par Lansana Conté. La cérémonie a été déplacée de 72 heures pour permettre à plusieurs membres du gouvernement de participer à la fête pour éventuellement mettre au compte du régime la réussite de cet homme d’affaires et la relance de cet orchestre populaire dont la réputation couvrait toute l’Afrique dans les années 60 et 70.

Une seule région semble manifester un petit intérêt à cette élection présidentielle, celle dont le président est issu, la région de Boké: le pays Soussou. Mais de Conakry à Labé, à Mamou dans le Fouta (pays Peulh) en passant par Faranah, Kissidougou, Kankan, Kouroussa et Siguiri, l’indifférence des populations est totale. En soutenant le boycott à Conakry l’opposition a dépêché dans les régions des porteurs «de la bonne parole» qui insistent auprès des militants pour qu’ils restent sourds à toutes les sollicitations du pouvoir et du PUP.

Le candidat Bhoye Barry, adversaire du président, voulant jouer sur la fibre ethnique peulhe, s’est vu couper l’herbe sous le pied par Siradiou Diallo et Mamadou Bâ les incontournables du Fouta Djalon. Illustre inconnu, la campagne de Bhoye Barry frise le pathétique. Sa première apparition à la télévision a battu des records d’audience parce que sa personne suscitait une certaine curiosité. Comme un écolier il s’est présenté en déclinant son identité, son parcours scolaire, professionnel et familial, la preuve s’il en est, que personne ne le connaît. L’énoncé des programmes politiques n’est qu’un chapelet de lieux communs qui ne fait rêver personne. Nombreux sont les Guinéens qui pensent qu’il a non seulement été choisi par le pouvoir pour servir de faire valoir au président candidat, mais qu’il est aussi attiré par l’appât du gain: 500 millions de francs guinéens pour une simple figuration.

Le rêve et l’avenir pour le commun des Guinéens semblent bien obscurs au point que les seules références qui ont mis du piment dans la vie des hommes restent celles connues sous le règne de Sékou Touré. Le nom du dictateur est évoqué par des officiels soulevant des applaudissements dans des interventions plusieurs fois diffusées à la radio et à la télévision nationales. L’ancienne résidence du gouverneur sous la colonisation devenue le palais présidentiel de Sékou Touré, détruit et laissé en ruines depuis la chute de son régime en 1984 est en peine phase de réhabilitation sous l’autorité du président Lansana Conté. Le quartier du palais en réfection a même pris le nom de Sékou-Toureya, chez Sékou Touré en langue Malinké. Malgré la multiplication des gestes de récupérations diverses, la perspective de la réélection de Lansana Conté qui battrait Sékou Touré en terme de longévité au pouvoir refroidit plus d’un Guinéen. Cela explique aussi le manque d’intérêt pour cette élection dont l’issue est connue d'avance.







par Didier  Samson

Article publié le 01/12/2003