Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Guinée

L’opposition en ordre de bataille

La politique en Guinée aujourd’hui est au point mort. Elle passionne un cercle d’initiés qui s’intéressent plus à ce qui ne se fait pas qu’à ce qui se dit dans les coulisses des partis politiques. Le Front républicain pour l’alternance démocratique (Frad) regroupant la plupart des partis d’opposition, craignant de tomber dans l’oubli du fait de son choix de boycotter l’élection présidentielle, multiplie les initiatives pour occuper et mobiliser les médias dont il se dit «exclu».
De notre envoyé spécial à Conakry

La libération de Jean-Marie Doré, président de l’Union le progrès de la Guinée (UPG) par des interpellé et détenu pendant quelques jours puis libéré le 14 novembre vers minuit, a été l’occasion pour l’opposition politique guinéenne de dénoncer «les pratiques arbitraires d’un régime qui instaure à nouveau dans ce pays le délit d’opinion», comme l’affirme le président du Frad, Mamadou Bâ, lui-même leader de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG). «L’opposition est divisée et minée par des querelles de personnes et cherche à prendre le gouvernement en faute» rétorquent les dignitaires du pouvoir. Ce jeu d’accusations mutuelles alimente le débat politique qui s’appauvrit d’autant. Les préoccupations des populations guinéennes sont loin de ce débat politique qui n’occupe que ceux qui s’y intéressent. Le mot d’ordre de boycott de l’élection présidentielle du 21 décembre lancé par le Frad a convaincu le commun des citoyens que la politique n’était que l’affaire de quelques individus bien placés à Conakry.
Ce sentiment largement répandu dans la population en Guinée, marque une perte de terrain de l’opposition face au pouvoir qui par ailleurs bénéficie d’un relais des activités gouvernementales à la radio et à la télévision nationales. L’opposition se plaint, à qui veut l’entendre, de cette confiscation des médias publics par le pouvoir «alors même que la campagne officielle n’est pas ouverte». En organisant une conférence de presse le 19 novembre à Conakry, l’opposition dévoile une de ses tactiques pour s’inviter dans les médias qui n’auraient pas forcément pris l’initiative de lui accorder un temps d’antenne.

Les leaders de l’opposition, organisés dans le Frad, ont voulu afficher leur unité et leur solidarité envers Jean-Marie Doré, libéré pendant le week-end, par cette première conférence de presse. Tour à tour, ils ont chacun dit leur foi dans le boycott, regrettant que Bhoye Barry, le seul candidat «autorisé» à affronter le président sortant, le général Lansana Conté n’ait pas encore annoncé son renoncement à participer au scrutin du 21 décembre prochain. «C’est un gentil garçon, mais un mauvais apprenti politicien, un lascar», affirme Jean-Marie Doré qui raconte dans le détail une entrevue avec le candidat Bhoye Barry. En le mettant en garde contre une possible tentative de corruption de la part du pouvoir, il aurait été surpris de voir l’adversaire déclaré du général président Conté très intéressé par cette éventualité. «Quel est le montant de la somme qu’ils vont me proposer ? Attention, laissons la ligne de téléphone libre, ils sont peut-être en train de chercher à me joindre», aurait dit Bhoye Barry à Jean-Marie Doré. Ses faits rapportés suscitent l’hilarité de l’assistance. L’opposition fustige et ridiculise ainsi la candidature de l’unique adversaire du général Lansana Conté.

«La faillite du système»

Mamadou Bâ, quant à lui, espère que le pouvoir annonce le report pur et simple de ce scrutin présidentiel «par lequel on veut tenter de masquer les vrais difficultés des citoyens», affirme-t-il. Les grèves des enseignants et des employés de banque de Guinée sont une preuve supplémentaire de la «faillite» du système mis en place le pouvoir Conté. Mais l’exploitation de ces grèves par l’opposition est une collusion coupable que le gouvernement guinéen montre du doigt pour décrire «un vaste complot de déstabilisation de la Guinée». «Ridicule», s’écrit l’ancien Premier ministre, Sidya Touré leader de l’Union des forces républicaines(UFR) qui dépeint une situation sociale préoccupante. Il juge les grèves légitimes tant «les sacrifices demandés aux travailleurs sont disproportionnés par rapport au train de vie des gens du pouvoir». Les annonces de signature ou d’accord de réalisation de certains ouvrages «ne sont que purs mensonges et propagandes» martèle Sidya Touré qui entend déployer les efforts nécessaires avec ses camarades de l’opposition pour ne pas «laisser les populations se faire prendre au piège des déclarations sans lendemain» précise-t-il.

A chacun son rôle à la table des opposants qui s’adressaient à la presse. Mamadou Bâ, le doyen d’âge et président du Frad annonce l’intention du collectif des partis d’opposition à «occuper le terrain autant que le pouvoir» pour lui donner la réplique. Sidya Touré, le technicien du groupe démontre avec des chiffres la faillite du système, les difficultés économiques et le manque de perspectives du pouvoir en place. Les discours et les bonnes intentions «ne changeront pas la nature du pouvoir au lendemain de l’élection du 21 décembre», déclare Sidya Touré. Jean-Marie Doré, volubile et truculent attaque le régime en mettant en exergue ses propres contradictions.
L’opposition veut ainsi montrer qu’elle travaille en parfaite coordination. Elle espère en tout cas remobiliser sa base et regagner la confiance du commun des Guinéens de plus en plus dubitatif sur la capacité des uns et des autres à apporter des réponses satisfaisantes à ses problèmes.



par Didier  Samson

Article publié le 20/11/2003