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Guinée

2003, année cruciale

Depuis son retour des soins au Maroc, le 10 janvier, le président Lansana Conté s’est muré dans un silence qui alimente des rumeurs de toutes sortes en Guinée. En revanche, il n’est plus un secret pour personne que le président est très malade et qu’il vit désormais dans son village Moussaya à une cinquantaine de kilomètres de Conakry. La classe politique essaye de combler le vide en multipliant les initiatives de réunions publiques et la publication de profession de foi des uns et des autres, au cas où la vacance du pouvoir deviendrait effective. L’instabilité politico-militaire en Côte d’Ivoire fragilise aussi l’équilibre politique en Guinée.
Les partis politiques de l’opposition regroupés au sein du FRAD (Front républicain pour l’alternance démocratique) ont tenu un grand meeting à Conakry le 19 janvier. Les politiques se sont succédé à la tribune pour un même discours fustigeant l’action gouvernementale. De nombreux militants ont tout de même regretté l’absence du leader du RPG (Rassemblement du peuple de Guinée), Alpha Condé. Il était représenté par Fatou Bangoura, considérée comme le numéro 2 du parti. Globalement le FRAD s’est dit prêt à gouverner en affichant cordiale entente entre les différents leaders de partis politiques qui composent cette coalition. Le FRAD rejette en bloc le référendum constitutionnel du 11 novembre 2001 qui autorise le président Conté de briguer un troisième mandat. Il ne reconnaît pas non plus l’élection législative de juin 2002. De fait le FRAD considère que le président Lansana Conté termine son mandat dès la fin 2003. Mais pour autant les leaders du FRAD se refusent à évoquer un quelconque plan de «conquête du pouvoir», dès la fin du mandat présidentiel.

Le camp du président malade, handicapé par le mutisme de son chef, n’entend pas laisser le terrain politique à l’opposition, qui visiblement marque des points. Le secrétaire général du PUP (Parti pour l’unité et le progrès) parti au pouvoir, a confirmé la naissance d’une «coordination de la mouvance présidentielle», lors d’une conférence de presse le 18 janvier. Cette coalition regrouperait tous les partis qui ne rejettent ni les législatives ni le référendum organisés par le pouvoir. Evidemment, la Coordination de la mouvance présidentielle, s’est prononcée en faveur de la candidature de son leader naturel, Lansana Conté. Mais, les militants , même inconditionnels du pouvoir, se demandent «quel crédit accordé» aux lieutenants du PUP, qui refusent d’envisager la suite des opérations sans Lansana Conté. Mais si le pire survenait, c’est-à-dire la mort du président, la constitution, la nouvelle prévoit «qu’en cas de vacance du pouvoir, le président de l’Assemblée nationale assure l’intérim pendant 60 jours au cours desquels il organise de nouvelles élections». La mouvance présidentielle espère ainsi, malgré tout, garder le pouvoir.

Un coup d’Etat salutaire

C’est pourquoi, même dans les rangs du FRAD, certaines voix discordantes envisagent un arbitrage de l’armée en cas de vacance du pouvoir, ou même pour certains adeptes des mesures radicales, un coup d’Etat militaire dès la fin du mandat présidentiel, en décembre 2003, terme prévu par l’ancienne constitution, la seule qu’ils reconnaissent. Mais pour les plus modérés, cette option est «dangereuse et précipitera la Guinée dans une grave crise à l’ivoirienne». On n’y est pas loin non plus de certaines revendications identitaires et ethniques au sujet des responsabilités politiques, entre Soussous, Malinkés et Peulhs, principales ethnies qui cohabitent en Guinée. De nombreux observateurs craignent aussi une résurgence de la rébellion mâtée en septembre 2000. Selon le pouvoir guinéen cette rébellion serait soutenue par Charles Taylor président du Libéria et par Blaise Compaoré, président du Burkina Faso. Les autorités guinéennes pensent aussi que cette rébellion a bien pu se replier au Libéria.

La classe politique guinéenne observe de très près l’évolution de la crise ivoirienne et elle craint des phénomènes de contagion. Dans des milieux politiques guinéens, certaines déclarations sont pesées et analysées selon des critères «qui n’ont plus rien d’objectif», constate Alpha Condé, le président du RPG. En effet, ses positions en faveur de la légalité institutionnelle en Côte d’Ivoire, en soutien à Laurent Gbagbo et rejetant toute prise de pouvoir par les armes a été interprété, dans certains milieux, comme «un manque de patriotisme au moment où des ressortissants guinéens sont chassés de Côte d’Ivoire». Cette petite querelle entre opposants, non représentés à l’Assemblée nationale, est tout de suite exploitée par les députés. Siradiou Diallo, député et président de l’Union pour le progrès et le renouveau (UPR) prend la tête d’une délégation de parlementaires (un Béninois, un Sénégalais et un Ghanéen) qui se donne pour mission «d’accentuer la nécessité d’un engagement plus énergique de la CEDEAO» pour la résolution de la crise en Côte d’Ivoire.

Par ailleurs, le conflit en Côte d’Ivoire aurait déjà lancé sur les chemins du retour plusieurs milliers de Guinéens. Carolyn McAskie, l’envoyée humanitaire de l’ONU en Côte d’Ivoire, a reçu plusieurs témoignages selon lesquels plusieurs dizaines, voire des centaines de Guinéens seraient retenus par des mercenaires libériens et empêchés de rentrer chez eux. Ces Libériens seraient des mercenaires du LURD, mouvement rebelle qui tente de renverser, depuis 1999, le président Taylor. Néanmoins, Carolyn McAskie a demandé aux autorités guinéennes de continuer à faciliter la tâche aux employés du HCR qui encadrent toujours les 100 480 réfugiés en terre guinéenne. Plusieurs camps de réfugiés, au sud-est de la Guinée accueillent déjà 57 653 Libériens, 40 076 Sierra-Léonais et 2 752 Ivoiriens. Les organisations humanitaires confirment également l’arrivée, ces derniers mois, de plusieurs milliers d’Ivoiriens et de Libériens dans les camps guinéens du HCR. Les organisations humanitaires très inquiètent de la dégradation de la situation en Côte d’Ivoire n’exclut pas, dans cette hypothèse, une grave déstabilisation de la Guinée et de tous ses pays frontaliers.



par Didier  Samson

Article publié le 07/02/2003