Guinée
Tensions sociales, incertitudes politiques
Il règne depuis quelques semaines à Conakry une ambiance de fronde exacerbée par la profonde dégradation des conditions de vie des habitants de la capitale et de sa banlieue. Les coupures d’eau incessantes, les délestages électriques et la hausse importante des produits pétroliers et des transports ont brusquement accru la tension sociale, dans un contexte politique marqué par la maladie du chef de l’Etat.
Selon les forces de l’ordre, il n’y a plus de jeunes gens détenus, et tous ont été relâchés après avoir été copieusement battus. Ces jeunes gens, une cinquantaine, avaient été interpellés lundi alors qu’ils participaient à une nouvelle manifestation de protestation contre les hausses importantes des prix des carburants (de 1 300 à 1 600 francs guinéens pour un litre d’essence, soit de 0,99 à 1,22 euros) et des transports. Plus généralement, les conditions de vie se dégradent. L’électricité est une denrée rare actuellement en Guinée, ainsi que l’eau. A tel point que les jeunes descendent des banlieues pour défier les autorités et leur demander des comptes. Les heurts sont violents, à la mesure de l’exaspération. Lundi, les forces de l’ordre ont du tirer en l’air pour contenir les assauts. Il y a eu des dizaines de blessés. Un manifestant est mort. Mais surtout : ce ras-le-bol est profond à en juger par son installation durable dans le paysage guinéen. Les premières pénuries remontent au mois de novembre et les premières manifestations ont démarré fin janvier. L’indignation a atteint un paroxysme fin février lorsqu’une famille de neuf personnes a péri dans l’incendie accidentel de sa maison, à cause d’une bougie… et pendant l’une de ces fameuses coupures d’eau. En fin de semaine, le calme était revenu sur la capitale guinéenne, mais le dispositif de sécurité est maintenu et les forces de l’ordre garde un œil vigilant sur ces quartiers périphériques désormais si prompts à s’enflammer.
La situation sociale est chaotique et la maladie du chef de l'Etat rajoute à l'incertitude politique qui pèse sur l'avenir du pays. A la fin de l'année, en principe, doit avoir lieu l'élection présidentielle. Aucun obstacle constitutionnel ne peut entraver la candidature du chef de l'Etat. Lansana Conté peut briguer un troisième mandat à la fin de l’année, sauf la lourde hypothèque que fait peser sur la poursuite de sa carrière politique l'évolution de sa maladie, dont il se remet difficilement en dépit des soins qu'il a reçu récemment à l'étranger. Dans ce contexte, on aboutit fatalement à la question savoir si le régime mis en place en 1984 par Lansana Conté y survivra.
La Guinée dispose de partis politiques mais, en dépit de l'habillage institutionnelle, n'a pas de tradition démocratique. Elle est l'héritière du parti-Etat légué par Sékou Touré. Un processus d'évolution politique vers la construction d'un Etat démocratique a bien été entamé lorsque le «vent d'Est a soufflé sur les cocotiers», lors de la décennie 90. Mais, près de 20 ans après la disparition du fondateur de la Guinée post-coloniale, et en dépit de la pression internationale, il pèse toujours sur l'opposition (elle-même divisée) un climat de harcèlement qui paralyse jusqu'au fonctionnement mécanique de la démocratie, à commencer par la garantie d'organisation de scrutins transparents. Chaque élection guinéenne est accompagnée d'un concert de protestations en raison des fraudes électorales et, là aussi, le boycottage est devenu un mode d'expression. Quant à la «société civile», elle ne constitue évidemment pas un relais d'opinion capable d'influencer le général Conté.
Intérim militaire ?
En cas de vacance du pouvoir, la Constitution guinéenne stipule que c'est au président de l'Assemblée nationale d'assurer l'intérim et d'organiser un nouveau scrutin présidentiel dans les deux mois. Un schéma certainement opérationnel dans n'importe quel pays où les institutions fonctionnent et qui vit en sécurité dans sa sous-région. C’est loin d’être le cas pour la Guinée qui, après avoir «encaissé» les contrecoups des guerres libérienne et sierra-leonaise, reçoit à présent sa part de l’onde de choc ivoirienne.
Or, dans ces conditions, même au sein de la classe politique guinéenne, on s'interroge sur la validité de l’hypothèse d’une transition «institutionnelle», compte tenu des risques d'installation d'une situation incontrôlable. Et la solution d'une brève transition militaire commence à faire son chemin. C’est une solution qui comporte sa part de lourdes incertitudes car personne ne sera alors en mesure de garantir que les militaires guinéens restitueront un jour le pouvoir aux civils. Ou alors, quel en sera le prix ?
Mais pour le moment les Guinéens semblent encore assez loin de ces préoccupations. Interrogé par l’AFP, un habitant de Conakry déclare : «Nous voterons pour celui qui sera capable de nous donner du courant, de l’eau et du téléphone».
La situation sociale est chaotique et la maladie du chef de l'Etat rajoute à l'incertitude politique qui pèse sur l'avenir du pays. A la fin de l'année, en principe, doit avoir lieu l'élection présidentielle. Aucun obstacle constitutionnel ne peut entraver la candidature du chef de l'Etat. Lansana Conté peut briguer un troisième mandat à la fin de l’année, sauf la lourde hypothèque que fait peser sur la poursuite de sa carrière politique l'évolution de sa maladie, dont il se remet difficilement en dépit des soins qu'il a reçu récemment à l'étranger. Dans ce contexte, on aboutit fatalement à la question savoir si le régime mis en place en 1984 par Lansana Conté y survivra.
La Guinée dispose de partis politiques mais, en dépit de l'habillage institutionnelle, n'a pas de tradition démocratique. Elle est l'héritière du parti-Etat légué par Sékou Touré. Un processus d'évolution politique vers la construction d'un Etat démocratique a bien été entamé lorsque le «vent d'Est a soufflé sur les cocotiers», lors de la décennie 90. Mais, près de 20 ans après la disparition du fondateur de la Guinée post-coloniale, et en dépit de la pression internationale, il pèse toujours sur l'opposition (elle-même divisée) un climat de harcèlement qui paralyse jusqu'au fonctionnement mécanique de la démocratie, à commencer par la garantie d'organisation de scrutins transparents. Chaque élection guinéenne est accompagnée d'un concert de protestations en raison des fraudes électorales et, là aussi, le boycottage est devenu un mode d'expression. Quant à la «société civile», elle ne constitue évidemment pas un relais d'opinion capable d'influencer le général Conté.
Intérim militaire ?
En cas de vacance du pouvoir, la Constitution guinéenne stipule que c'est au président de l'Assemblée nationale d'assurer l'intérim et d'organiser un nouveau scrutin présidentiel dans les deux mois. Un schéma certainement opérationnel dans n'importe quel pays où les institutions fonctionnent et qui vit en sécurité dans sa sous-région. C’est loin d’être le cas pour la Guinée qui, après avoir «encaissé» les contrecoups des guerres libérienne et sierra-leonaise, reçoit à présent sa part de l’onde de choc ivoirienne.
Or, dans ces conditions, même au sein de la classe politique guinéenne, on s'interroge sur la validité de l’hypothèse d’une transition «institutionnelle», compte tenu des risques d'installation d'une situation incontrôlable. Et la solution d'une brève transition militaire commence à faire son chemin. C’est une solution qui comporte sa part de lourdes incertitudes car personne ne sera alors en mesure de garantir que les militaires guinéens restitueront un jour le pouvoir aux civils. Ou alors, quel en sera le prix ?
Mais pour le moment les Guinéens semblent encore assez loin de ces préoccupations. Interrogé par l’AFP, un habitant de Conakry déclare : «Nous voterons pour celui qui sera capable de nous donner du courant, de l’eau et du téléphone».
par Georges Abou
Article publié le 14/03/2003