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Côte d''Ivoire

Visites capitales

Depuis leur rencontre à Yamoussoukro le 4 décembre, le président Gbagbo, les Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci) et les Forces nouvelles (FN) sont engagés sur un échéancier très serré. Le 5 décembre, les deux camps adverses ont retiré leurs unités intempestivement avancées dans la zone de confiance, à Allangouassou, dans la région de M’Bayakro pour les Fanci et à Bania dans le département de Bouna pour les FN. Deux jours plus tard, les FN ont libéré 44 militaires, prisonniers de guerre. Le 10 décembre, une réunion quadripartite (Forces nouvelles, Fanci, Licorne et Cedeao) doit établir un calendrier programmant, à compter du 15 décembre, la levée des barrages, le regroupement des armes et le cantonnement des hommes. Le 12 décembre, le comité de réunification doit également se concerter. Parallèlement, les FN doivent se prononcer sur leur retour attendu au gouvernement. Enfin, sitôt ces étapes franchies, le président Gbagbo a prévu d’aller proclamer la fin de la guerre à Bouaké, avant de s’envoler pour Paris, sans doute après les fêtes de fin d’année.
Difficile de savoir précisément dans quel état d’esprit sont aujourd’hui les populations des zones revendiquées par les FN. Mais vendredi, une trentaine de rois et de chefs traditionnels ivoiriens sont allés dire à Lomé, au président Eyadema, que «la Côte d’Ivoire divisée, nous ne pouvons plus dormir parce que nos familles sont détachées». «En règle générale, un roi ne se déplace pas», a expliqué leur porte-parole de Tiapoum, Jacob Amichia, «mais aujourd’hui, c’est nécessaire car nous sommes désespérés». Les rois étaient venus «supplier Gnassingbe Eyadema de faire en sorte que nous soyons en contact direct et permanent avec les ex-rebelles qui occupent le nord du pays». Dans les familles royales ou ordinaires, les rares nouvelles à franchir le no man’s land de la zone de confiance sont en effet rarement apaisantes. Une bouffée d’espoir a toutefois soufflé sur Abidjan le 7 décembre avec la libération par les FN de 44 militaires détenus en majorité à Korhogo et pour huit d’entre eux à Bouaké. Après l’amnistie du 6 août dernier, le geste des FN est bienvenu. Leur démobilisation militaire serait décisive.

La France a salué comme des «décisions essentielles pour le processus de paix» les résultats de la réunion du 4 décembre à Yamoussoukro entre le président Gbagbo, l’état-major des Fanci et les Forces nouvelles, qui «a débouché sur l'annonce d'un calendrier précis de mise en oeuvre des opérations de regroupement et de désarmement. Le président Gbagbo a, par ailleurs, clairement exprimé sa détermination à appliquer intégralement les accords de Marcoussis. Il a enfin fait part de sa décision de se rendre à Bouaké pour annoncer la fin de la guerre». «Dans ce contexte», Paris estime que «toutes les conditions, notamment de sécurité, sont réunies pour que les ministres des Forces nouvelles puissent regagner dans les meilleurs délais les instances gouvernementales pour prendre toute leur part au processus de sortie de crise».

Proclamer la fin de la guerre

Acculés par la diplomatie internationale, les anciens rebelles ne sont pas pressés de se laisser diluer dans la normalisation civile. C’est du moins l’impression qu’ils donnent à tant traîner les pieds à la porte du gouvernement de réconciliation. Il est vraisemblable que les populations qu’ils prétendaient libérer sont elles-aussi «fatiguées» et elles en savent plus long que quiconque sur les modalités d’une occupation asphyxiante pour l’économie ordinaire. Au final, le pourrissement de la situation ternit l’étendard FN déjà entaché de luttes intestines plus ou moins occultées. Dans le camp adverse, cette dégradation incite aussi certains «autochtones» à se croire en droit d’exercer leur propre loi. Cela ne pourrait qu’empirer si les FN avaient la mauvaise idée de s’en remettre à leur seule capacité de nuisance armée et renonçaient au chemin politique qui leur est proposé. Certes, ce dernier n’est pas semé de roses et la concurrence s’annonce rude jusque dans les rangs des adversaires du régime Gbagbo. Mais, dans la perspective du scrutin présidentiel de 2005, le gouvernement et l’Assemblée nationale chargés de le préparer ne sont pas tribunes négligeables.

«Les questions de défense et de sécurité sont en réalité réglées à la présidence», persiste l’un des porte-paroles FN, Sidiki Konaté, réitérant son antienne sur la délégation des pouvoirs présidentiels au Premier ministre Seydou Diarra dont, à ses yeux, «la signature… serait un acte de paix». Les FN l’ont redit samedi à Seydou Diarra, dépêché à Bouaké par le président Gbagbo, mais aussi répété à la délégation militaire de l’Onu venue en fief FN dimanche et encore une fois au Comité de suivi de l’application de l’accord de Marcoussis, dont le mandat s’achève le 4 février prochain et dont le président, Albert Tévoédjré, doit rendre son rapport d’ici le 10 janvier. Pourtant, une délégation FN dirigée par le secrétaire-général adjoint du mouvement politico-militaire, Louis Dacoury Tabley, était attendue à Abidjan mardi soir pour refaire la tournée des parrains de Marcoussis et leur présenter un «plan de sortie de crise». Entre temps, Laurent Gbagbo s’est déclaré suffisamment optimiste pour inscrire à son agenda une visite déterminante à Bouaké, la capitale des ex-rebelles, où il espère pouvoir très prochainement proclamer officiellement la fin de la guerre, ce qu’il s’était refusé à faire au moment du cessez-le-feu «définitif» du 4 juillet 2003.

S’il n’avait aucune raison d’approuver la règle du jeu imposée à Marcoussis, Laurent Gbagbo en a encore moins d’accepter qu’elle change en cours de partie. «Il faut que les accords trouvés et signés en France soient appliqués jusqu’au bout. S’il n’est pas appliqué jusqu’au bout, un accord ne vaut rien», observait-il ce 4 décembre à Yamoussoukro, ajoutant, «je compte sur le Premier ministre pour ramener autour de la table du conseil des ministres ceux qui en sont partis momentanément», le 24 septembre, car, «dès leur retour, nous allons achever d’examiner les décrets de loi inspirés par cet accord». «Le gouvernement doit terminer son travail pour que l’Assemblée nationale et le peuple puisse aussi faire» le leur, conclut le président Gbagbo qui sait pouvoir compter sur une bonne partie de l’opinion ivoirienne et même sur la plupart des partis politiques concurrents lorsqu’il s’agira d’examiner le fond du problème ivoirien. Entre temps, si les FN reviennent au gouvernement et consentent à valider un calendrier de désarmement, de Bouaké à Paris – en janvier sans doute –, Laurent Gbagbo pourra se réclamer de Marcoussis, mais cette fois, comme chef d’un Etat ivoirien plein et entier.



par Monique  Mas

Article publié le 09/12/2003