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Côte d''Ivoire

L’ONU à la rescousse

En quelques jours, le président Gbagbo aura fait le tour des chefs d’Etat de la région, en finissant par le Burkinabé Blaise Compaoré, après une échappée au Gabon où il a rencontré le chef de la diplomatie française, Dominique de Villepin. Au menu: la relance du gouvernement de réconciliation nationale chargé de mettre en œuvre le programme de Marcoussis, mais aussi, une possible visite «d’étape» à Paris du chef de l’Etat ivoirien. Ce dernier a par ailleurs promis des explications à la Nation et fait savoir qu’il voudrait célébrer Noël avec un début de normalisation. De leur côté, les ex-rebelles des Forces nouvelles ont décrété l’état d’urgence dans leur zone de contrôle et relancé un branle-bas diplomatique pour imputer à Laurent Gbagbo le blocage politico-militaire actuel. En réponse, ils ont été invités à revenir au gouvernement, notamment par le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, qui préconise de renforcer la présence onusienne en Côte d’Ivoire.
«Les Forces nouvelles ont déclaré l’état d’urgence dans les zones qui sont sous son contrôle et elles accusent le président Gbagbo de préparer une attaque contre leurs positions. Le danger que la Côte d’Ivoire glisse à nouveau dans le conflit est bien réel», s’alarme Kofi Annan qui prêchait ce 24 novembre en faveur d’un renforcement de la Mission des Nations unies en Côte d’Ivoire (Minuci), devant le Conseil de sécurité et en compagnie du président de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le ministre ghanéen des Affaires étrangères, Nana Akufo. Administrativement, la Minuci est une «mission politique spéciale» chargée d’appuyer la mise en œuvre du programme de règlement de la crise ivoirienne concocté à Marcoussis le 24 janvier dernier. Or, souligne Nana Akufo, la Cedeao ne dispose pas des moyens suffisants pour «contraindre les deux parties» à respecter ces dispositions. Pour sa part, il souhaite que la Minuci se transforme en opération de maintien de la paix et intègre les 1500 hommes déployés par la Cedeao aux côtés des forces françaises de l’opération Licorne actuellement chargées de sécuriser la «zone de confiance» entre les anciens belligérants.

Le 13 novembre dernier, le mandat de la Minuci a été prorogé jusqu’au 4 février 2004. Aujourd’hui, la Cedeao et la France comptent sur le renforcement de son mandat et de ses effectifs pour ouvrir une soupape financière aux Africains et rompre le tête à tête franco-ivoirien. Ils ont été entendus par Kofi Annan qui annonce l’envoi d’une mission d’évaluation sur place. Il faut d’urgence sortir de «l’impasse politique actuelle provoquée par le retrait des Forces nouvelles du gouvernement de réconciliation, le 23 septembre», insiste le secrétaire général de l’Onu qui presse les récalcitrants d’accepter les ministres de la Défense et de la Sécurité nommés le 12 septembre dernier. Il faut aussi, ajoute Kofi Annan, procéder rapidement au «démantèlement, cantonnement et désarmement des milices et des groupes armés, ainsi qu’à la restructuration des forces armées» ivoiriennes, les Fanci. Exhortant les Forces nouvelles à reprendre leur place dans le gouvernement de réconciliation nationale, il invite les protagonistes de la crise ivoirienne à travailler rapidement à la mise en œuvre du programme de gouvernement de Marcoussis concernant les questions qui ont servi d’arguments à la rébellion le 19 septembre 2002: citoyenneté, code électoral ou propriété foncière en particulier.

«Mettre fin à la partition du pays»

Le 31 octobre dernier, la diplomatie française estimait déjà qu’il «est plus que temps désormais de quitter la logique des préalables pour rentrer sans délai dans la phase de mise en oeuvre des accords». A ce sujet, elle notait que «le président Gbagbo vient de demander à son gouvernement d'inscrire ''sans délai'' l'ensemble des textes résultant de l'accord de Marcoussis à l'ordre du jour du Conseil des ministres. Dans ce contexte, la France invite l'ensemble des membres du gouvernement à reprendre sans tarder le travail». C’est aussi le conseil donné par le président Bongo à l’ancien chef rebelle, Guillaume Soro reçu ce mardi à Libreville. Le 13 novembre, le président de la Commission européenne, Romano Prodi avait délivré le même message, de Ouagadougou à Abidjan, appelant les autorités burkinabé à jouer les conciliateurs et les Ivoiriens à se ressaisir. «La situation est grave, le pays divisé, la croissance arrêtée, l’économie en crise profonde, les programmes sociaux stoppés, les hôpitaux fermés…Il existe une crainte que le pays reste divisé à l’avenir. Il faut faire vite», ajoutait-il pour argumenter le refus européens de décaisser les 400 millions d’euros promis en janvier dernier à la Côte d’Ivoire, après Marcoussis.

Romano Prodi rappelle que la promesse faite aux signataires de l’accord était assortie de «la condition expresse que ces engagements solennels soient effectivement traduits dans la réalité». De son côté, venu lui aussi à New York appeler l’ONU à la rescousse, le secrétaire exécutif de la Cedeao, Mohamed Ibn Chambas, rappelle qu’à elle seule, la Côte d’Ivoire représente 13% du PNB de l’Afrique de l’Ouest. Pivot du commerce intra-régional, il est impératif d’enrayer son écroulement, insiste-t-il, d’autant que la Côte d’Ivoire est depuis des lustres une terre d’immigration. Il estime urgent de débattre de son avenir en la matière, au plan régional. En attendant, à Abidjan, la chambre de commerce et d’industrie française s’inquiétait ce 21 novembre, devant le ministre ivoirien de la Sécurité intérieure, Martin Bléou. «Les opérateurs économiques sont démoralisés. Aucune économie ne peut se développer dans un climat délétère», a déploré le président de la CCI, Michel Tizon qui a même dénoncé franchement les «débordements et les dysfonctionnements de la police dont certains éléments sont plus des collecteurs (de fonds) que des responsables de la sécurité».

De leur côté, les Forces nouvelles ont appelé en vain les «institutions financières et les opérateurs économiques à revenir dans les zones occupées». Selon Kofi Annan, «certaines indications font penser que la situation dans les provinces du Nord contrôlées par les Forces nouvelles est en train de dégénérer et de plonger le secteur dans les désordres». Quant au redéploiement de l’administration nationale commencé le 11 novembre, il reste limité au retour dans l’Ouest ivoirien (à Guiglo, Duékoué, Toulepleu et Danané) d’une mince poignée des 169 préfets et sous-préfets qui ont fui leur circonscription au début de la crise pour rejoindre la zone de contrôle des Fanci. Et, à l’Ouest aussi la situation continue de dégénérer autour de questions foncières complexes. Mais avant de dire et d’imposer le droit, «il faut mettre fin à la partition du pays», répète Kofi Annan. C’est déjà en soi une réponse aux Forces nouvelles qui appelaient la semaine dernière l’Union africaine et l’Onu «à venir en renfort pour relancer le processus de réconciliation», en panne d’initiative côté Cedeao et côté français selon eux.

Guillaume Soro a gardé son bâton de pèlerin, du Ghana, au Gabon en passant par le Niger cette fois, pour réaffirmer que «la paix en Côte d’Ivoire n’est pas possible avec Laurent Gbagbo», qu’il somme d’abandonner ses pouvoirs au Premier ministre Seydou Diara. Pour sa part, le président Omar Bongo a estimé au soir du 21 novembre que sa rencontre à Libreville avec Laurent Gbagbo et surtout le tête à tête du président ivoirien avec le chef de la diplomatie française, Dominique de Villepin, «augurent d’un renforcement de ce qui a déjà été fait». Des propos sibyllins quant au contenu exact d’entretiens dont le président gabonais assure toutefois qu’ils «démontrent la volonté du président Gbagbo de conduire son pays sous de bons auspices». Quant au huis-clos avec le ministre français, il témoigne, selon un conseiller à la présidence ivoirienne, d’une volonté franco-ivoirienne de réaffirmer une «communauté de destin» entre les deux pays. Plus classique mais non moins forte, la déclaration du Quai d’Orsay indique que «La rencontre de Libreville témoigne de la mobilisation de tous pour créer les conditions du rétablissement de la confiance et de l'accélération du processus en cours. Elle témoigne aussi de la détermination du président ivoirien à conduire son pays vers la sortie de crise

Fort de cette pluie de bons points diplomatiques et de coups d’épingles aux Forces nouvelles, Laurent Gbagbo a bouclé sa tournée africaine par une entrevue avec son voisin du nord, Blaise Compaoré, celui que les adversaires des Forces nouvelles chargent de tous les maux ivoiriens et plus encore. Mais visiblement, en s’envolant le 26 novembre pour Bobo Dioulasso, en terre burkinabé, Laurent Gbagbo ne se percevait pas en vaincu de Canossa comme le redoutaient certains de ses propres partisans. D’ailleurs, à l’instar du président libérien par intérim, Gyude Bryant, venu à Abidjan ce mardi, Blaise Compaoré a multiplié les déclarations conciliantes lors de sa dernière rencontre avec le chef de l’Etat ivoirien, à Accra, le 11 novembre dernier. Le Libérien Bryant a salué la fraternité retrouvée avec les Ivoiriens. «Les Ivoiriens sont nos premiers frères. Il faut que nous avancions ensemble. C’est notre destin. Nous ne pouvons pas faire autrement» assure de son côté le Burkinabé Compaoré. Destins croisés, conflits croisés, solutions croisées, Blaise Compaoré assurait même tout récemment qu’il a des contacts personnels et quotidiens avec Laurent Gbagbo. Tout indique donc que l’escale de Bobo compte surtout pour son effet d’affichage. La presse ivoirienne en suppute une autre, prochainement, à Paris. Pour sa part, Laurent Gbagbo a promis de livrer aux Ivoiriens sa lecture des derniers développements et de leur incidence sur l’avenir national.



par Monique  Mas

Article publié le 26/11/2003