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Côte d''Ivoire

Milice dissoute, manifestations interdites

La dissolution ce 16 octobre du Groupement des patriotes pour la paix (GPP) concrétise le rappel à l’ordre public lancé par le président Gbagbo après les saccages perpétrés le 10 octobre dernier contre les bureaux de services publics accusés par ses partisans les plus farouches de continuer à desservir en eau, électricité et téléphone les zone contrôlées par les Forces nouvelles (FN). Cette semonce en forme de coup d’arrêt concerne plus largement l’ensemble des «jeunesses patriotes» qui entendaient défiler le 19 octobre prochain pour dénoncer la partition du pays. Mais l’interdiction de manifester prononcée hier pour trois mois vise aussi les adversaires du président qui lui reprochent de ne pas déléguer suffisamment ses pouvoirs au Premier ministre et qui avaient annoncé une marche à Abidjan, sans fixer de date.
Les deux mesures ont été proposées par les ministres de la Défense et de l’Intérieur, René Amani et Martin Bléou. Il n’est pas indifférent de noter que leur nomination a été l’un des motifs invoqués par les Forces nouvelles pour boycotter justement les conseils du gouvernement de réconciliation nationale, repoussant de ce fait le désarmement et la réunification du pays. Plus largement, les FN accusent le président Gbagbo de ne pas déléguer suffisamment de pouvoirs au Premier ministre Seydou Diarra. Elles partagent ce dernier grief avec la plupart des autres partis opposés au régime Gbagbo, mais néanmoins partisans de rester à la table du gouvernement. Ceux-ci revendiquent désormais aux côtés des FN l’étiquette de «Marcoussistes», dénonçant Gbagbo comme un obstacle délibéré à la mise en œuvre du programme de réconciliation. Mardi, ils avaient arrêté ensemble «le principe d’une grande marche suivie d’un meeting à Abidjan», à une date encore aléatoire, le seul effet d’annonce suffisant d’ailleurs à laisser présager des affrontements difficilement contrôlables.

A l’idée d’une marche adverse dans la capitale, «les patriotes se tiennent en haleine pour qu’aucune marche pro-rebelle n’ait lieu dans aucune ville sous contrôle loyaliste jusqu’à ce que la guerre finisse», menaçait Charles Blé Goudé, le "général" des «jeunesses patriotes» décidé à conduire la marche de ses troupes le 19 octobre, à Tiébissou, à la frontière du no man’s land séparant les territoires FN des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci). A la limite de la «zone de confiance» remplie par les troupes françaises de l'opération Licorne et par les forces ouest-africaines, Tiébissou devait servir de point de rassemblement pour une «manifestation de soutien» aux Fanci. Les «patriotes» croyaient devoir appuyer le commandant du «théâtre des opérations» basé à Yamoussoukro, le lieutenant-colonel Philippe Mangou, qui vient de signer un communiqué fustigeant l’attitude des FN vis-à-vis du DDR (Désarmement-Démobilisation-Réinsertion).

Coup de balai

Les «patriotes» avaient même reçu le renfort du parti de Laurent Gbagbo, le Front populaire ivoirien (FPI) dont le président, l’ancien Premier ministre Pascal Affi Nguessan avait jugé utile de dire : «l’armée reste mobilisée, elle reste proche du pouvoir, c’est une grande espérance pour nous. Nous voudrions solennellement la féliciter et lui dire que le FPI compte sur elle pour, le moment venu, apporter sa contribution à la solution finale de ce problème». Mais la manifestation des «patriotes» n’aura pas lieu. Outre les propos du chef du FPI plutôt malheureux quant à la solution militaire, la marche sur Tiébissou (sur l’ancienne ligne de front) s’annonçait plutôt encombrante du point de vue d’un soldat de métier. Pour tout politicien rompu à l’exercice, le rassemblement des Marcoussistes à Abidjan n’était pas, lui non plus, sans risques. Il est lui-aussi supprimé. Le gouvernement de réconciliation a tranché, en l’absence des ministres FN, c’est vrai, et non sans débat. Mais les manifestants devront patienter au moins un trimestre, en zone «gouvernementale» du moins.

Visiblement, ceux qui se revendiquent «jeunes patriotes» n’ont pas compris qu’ils agissaient à contretemps, vis-à-vis du terrain politico diplomatique en particulier. En tout cas, un des chefs des «groupes d’auto défense», Eugène Djué s’est empressé de désavouer les casseurs du 10 octobre qui ont dévasté à coups de barres de fer ou de gourdins des agences de la compagnie d’électricité (CIE) de la société des eaux (Sodeci) où de la téléphonie mobile Orange, faisant au passage trois blessés. «La colère des jeunes est fondée… Aujourd’hui il y a deux Côte d’Ivoire, une où l’on paye l’eau, l’électricité et le téléphone et une Côte d’Ivoire rebelle où tout est gratuit», explique Eugène Djué en ajoutant «nous sommes sûrs que ce ne sont pas nos jeunes qui ont causé ces dégâts que nous condamnons».

Pour sa part, jadis tombé sous le coup de loi anti-casseurs alors qu’il était dans l’opposition, le président Gbagbo est tout de suite monté au créneau, indiquant «je n’inquièterai jamais quelqu’un qui manifeste pour ses conditions de vie parce que c’est moi qui ait initié les marches ici…mais si des gens veulent profiter des mouvements de jeunes pour s’infiltrer et attaquer les magasins des Français (les opérateurs des sociétés visées sont en effet français)…nous les arrêterons et les traduirons devant les tribunaux». Pour le Groupement des patriotes pour la paix (GPP), la mesure a été plus radicale encore, avec la dissolution décidée en conseil de ministres. Et cela sur une accusation nouvelle et collective, «pour usurpation de titres, faux et usage de faux», en l’occurrence des cartes professionnelles détenues illégalement et similaires à celles des forces de sécurité et de défense, selon le communiqué officiel. Des accusations très graves dont tous les tenants et les aboutissants n’ont pas été publiquement énoncés. Elles ont en tout cas valu un coup de balai donné par le président Gbagbo dans la cour de ses propres partisans entraînant sans doute l’adhésion des Marcoussistes, hors FN, pour interdire les manifestations de rues.



par Monique  Mas

Article publié le 17/10/2003