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Côte d''Ivoire

Impasse politique pour les Forces nouvelles

En recevant, le 6 octobre, les signataires de l’Accord de Marcoussis au palais présidentiel, Laurent Gbagbo a promis d’organiser un forum de concertation pour examiner les différents «points de blocage» que lui imputent ses adversaires dans un mémorandum critique. Le chef de l’Etat suggère que les partis politiques, le gouvernement, le Comité de suivi de Marcoussis, mais aussi des représentants de la société civile participent à ce forum. Le parti d’Alassane Ouattara, le Rassemblement démocratique républicain (RDR) rejette cette perspective. Du côté de l’ancienne rébellion des Forces nouvelles (FN), Guillaume Soro, demande la démission du président Gbagbo et tente de pérenniser la partition du pays. Ce faisant, les FN se mettent en porte à faux vis-à-vis du plan international de règlement de la crise ivoirienne.
Le forum sera l’occasion de battre le rappel de ceux qui acceptent le jeu de la réconciliation nationale telle que définie à Marcoussis. Et cela, cette fois, sous la houlette de Laurent Gbagbo, même s’il ne participe pas personnellement aux débats. Ceux qui décideraient de boycotter le forum de concertation prendraient le risque d’être mis à l’index, non seulement par les autres partenaires de l’accord, mais aussi par les garants internationaux du processus de normalisation de la Côte d’Ivoire. Pour sa part, en tant que chef de l’Etat en exercice et donc garant de la charte fondamentale ivoirienne, Laurent Gbagbo n’est pas dépourvu d’arguments constitutionnels pour réfuter au forum les accusations de «blocage» réitérées par ses adversaires. Ces derniers viennent en effet en particulier de relancer le débat sur les prérogatives présidentielles concédées par Marcoussis au Premier ministre, en l’occurrence Seydou Diarra. Certains ministres de la «réconciliation nationale», FN en tête, exigent aussi de nommer des collaborateurs de leur choix dans leurs administrations respectives et dénoncent la lenteur des décrets présidentiels à ce sujet.

Concernant la dimension constitutionnelle des pouvoirs présidentiels, les parrains français de Marcoussis viennent de rappeler qu’il «y a des moments de l’histoire où les constitutions peuvent être balayées…Ce danger a guetté il y a quelques mois la Constitution ivoirienne. Il est bien possible que ce soit Marcoussis qui l’ait sauvée», comme l’explique le conseiller du président Chirac, Michel de Bonnecorse, dépêché à Abidjan début octobre. Michel de Bonnecorse retient que la Constitution ivoirienne n’a pas été abrogée, même si elle a «été amendée sur quelques rares points», et que «c’est l’ensemble des partis politiques ivoiriens qui l’ont décidé». Et, visiblement, le conseiller présidentiel français n’a pas vraiment apprécié la décision des FN qui ont suspendu leur participation aux réunions du gouvernement fin septembre, pour protester contre le président Gbagbo dont leur tête d’affiche politique, Guillaume Soro, demande désormais la démission, comme aux premiers jours de la guerre de septembre 2002. «Il faut que les Forces nouvelles reviennent dans l’équipe de la réconciliation. La guerre est terminée. Il leur faut maintenant prendre une vraie dimension politique», commente l’envoyé du président Chirac, qui a croisé la semaine dernière à Abidjan l’ancien président sénégalais Abdou Diouf, actuel secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).

Le tabou de la partition

La tentative d’Abdou Diouf pour «renouer les fils du dialogue» a avorté. Il n’a pas répondu à Guillaume Soro qui l’invitait dans son fief de Bouaké. Difficile en effet pour le patron de la francophonie -ancien chef d’Etat africain qui plus est- d’entériner une partition que les Forces nouvelles énoncent clairement sur la page d’accueil du site Internet du MPCI: «Gbagbo n’est plus le président de toute la Côte d’Ivoire. Bouaké, c’est aussi la Côte d’Ivoire». Cette position obère toute perspective électorale. Car le temps presse, estiment des experts de la francophonie mandatés sur place par Abdou Diouf. Ils indiquent en effet que pour tenir le calendrier des présidentielles de 2005, il faudrait engager la réunification au plus tard fin 2003. Cela supposerait que le désarmement soit terminé, mais aussi la restauration de l’administration sur l’ensemble du territoire, ne serait-ce que pour établir les listes électorales. Mais outre les aspects techniques du processus électoral, il reste aussi à mettre en œuvre les différents volets de l’accord de Marcoussis relatifs à ses modalités ou à l’identification des électeurs et des candidats.

A l’exception du Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo et du Parti ivoirien des travailleurs (PIT) de Francis Wodié, l’opposition tout entière, armée ou non, reproche au chef de l’Etat de reprendre bribe par bribe les prérogatives dont elle avait espéré le voir dépouillé à Marcoussis. En même temps, le tentaculaire Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, ancien parti unique) du président déchu Henri Konan Bédié, dénonce comme un blocage du processus de réconciliation le boycott des conseils de ministres décidé par les FN. Autre réfractaire à cette décision, le ministre des PME issu du Mouvement patriotique ivoirien du Grand Ouest (Mpigo, une composante des FN), Roger Banchi, considère comme des «problèmes d’intendance» l’absence de budget pour son ministère. Certes, explique-t-il sur lacôtedivoire.net, c’est faute de décret de nomination de son directeur financier que son ministère est en panne de budget. Mais, dans les commissions qui rassemblent les partenaires de Marcoussis, «nous sommes en train de plancher sur la politique d’identification (des populations, permettant de recenser nationaux et étrangers) qui est un point fondamental de Marcoussis, contrairement à la nomination d’un directeur central d’administration». L’ancien rebelle ajoute qu’à ses yeux, «la sagesse commande de réunifier d’abord» un pays «au bord du gouffre financier, confronté à la misère et à la pauvreté».

Exclu du Mpigo, Roger Banchi n’obtempère pas. Il ne désavoue pas non plus pour autant celui qu’il qualifie d’ami, Guillaume Soro. A propos de ce dernier, il explique: «il dribble comme il peut… il est en train de se construire un futur politique». Transfuge ou sincère, Roger Banchi fustige la tentation sécessionniste appelant à réagir les anciens des Forces armées de Côte d’Ivoire (Fanci) passés à la rébellion «quand vous entendez quelqu’un qui met en cause l’intégrité du territoire national, réagissez. C’est interdit, c’est tabou». La rébellion s’effrite, comme en témoignent aussi les batailles rangées autour de la banque de Bouaké qui ont justifié l’intervention de l’opération française Licorne dans la capitale du fief Forces nouvelles. Querelles de souveraineté politique ou militaire, désaccord sur l’objectif de la lutte armée et désormais sur son bien-fondé, le mouvement composite subit l’épreuve du temps au plan interne, mais aussi au plan international. Cela conditionne grandement ses positions sur l’échiquier politique national.

Le jeu politique continue à battre son plein. Avec les élections de 2005 comme objectif, désarmement et réunification sont désormais les priorités internationales. C’est aussi visiblement, la hantise de la composante des FN qui répond à Guillaume Soro. En pratiquant la surenchère sur un terrain plutôt miné, il vient d’offrir à Laurent Gbagbo l’occasion de le pousser à la faute et d’élargir les éventuelles brèches internes. Jusqu’à tout récemment, c’est le chef de l’Etat qui faisait figure de principal fauteur de guerre, en tentant d’imposer son autorité politique et militaire avec force marches et diatribes ou par des recrutements mercenaires et des soutiens régionaux douteux. Aujourd’hui, les Forces nouvelles de Guillaume Soro sont à leur tour sur la défensive. Elles répugnent à se dépouiller des attributs de souveraineté qu’elles revendiquent sur une demi-Côte d’Ivoire. Un territoire, une population, une armée, des ressources économiques, c’est-à-dire un Etat, mais aussi une capacité de nuisance et au total, un pouvoir –ou une illusion de pouvoir– sans lequel les FN et Guillaume Soro retomberaient dans le lot commun des politiciens ordinaires, poids plumes face aux vieux routiers des compétitions électorales.

Outre le forum annoncé, le président Gbagbo songeait à un ultimatum d’une dizaine de jours contraignant les Forces nouvelles à trancher leur position ambiguë. Les FN ont en effet «suspendu» leur participation aux rencontres gouvernementales mais pas renoncé à leurs portefeuilles. De leur côté, les Fanci se sont également manifestées le 7 octobre dans un communiqué signé par le commandant du théâtre des opérations basés à Yamoussoukro, le lieutenant-colonel Philippe Mangou qui presse les FN de revenir dans les instances du programme de désarmement, démobilisation, réinsertion (DDR) dont elle ont également claqué la porte. Il s’agit notamment d’un comité technique de réunification du territoire (préalable à tout recensement, casernement, réinsertion etc.) et du cadre des consultations quadripartite qui associe aux état-majors ivoiriens ceux des forces françaises et ouest-africaines chargée de veiller au cessez-le-feu –définitif depuis le 4 juillet dernier– et à la bonne application des accords de Marcoussis. Au passage, le communiqué de la Grande muette dénonce des violations du cessez-le-feu et des exactions contre les populations. Une mise en demeure plus qu’une déclaration de guerre, au moment où les garants internationaux de Marcoussis sermonnent eux-aussi les FN.



par Monique  Mas

Article publié le 08/10/2003