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Côte d''Ivoire

Laurent, Henri, Alassane et les autres

Depuis le 19 septembre 2002, la politique en Côte d’Ivoire n’est plus tout à fait ce qu’elle était. Les principaux acteurs sont toujours en place, mais recomposent leur base dans la perspective des prochaines échéances électorales.
Laurent Gbagbo : «l’homme est politiquement mort» disent ses adversaires, réussissant même au passage à faire douter aux militants du FPI de la capacité de leur leader à gouverner sereinement. Mais après chaque épreuve force est de constater que l’homme est plutôt «un vrai politique et un fin joueur». Un an après le coup de force du 19 septembre 2002, Laurent Gbagbo reste l’homme politique ivoirien qui s’en sort le mieux. Il a assis son pouvoir personnel faisant du poste du président de la République le socle de la nation. «Mal élu» a-t-on dit, mais il réussit à rendre son pouvoir populaire avec une arme absolue : la rue. Il en a plusieurs fois fait la démonstration. Les accords de Marcoussis présentés comme une victoire pour les rebelles est en fait la meilleure chose qui pouvait arriver à Laurent Gbagbo au moment où son régime était chancelant. Il a très vite compris qu’il fallait accepter du bout des lèvres les accords de Marcoussis qui lui étaient imposés, pour ensuite en faire une interprétation une fois à la «maison». Il a réussit mieux que quiconque à faire une bonne lecture de la constitution de son pays que les signataires des accords affirment «respecter». Il n’hésite pas à adopter un ton trivial pour critiquer les attitudes de ses adversaires se prévalant toujours de rôle constitutionnel de chef de l’Etat et garant de l’unité nationale. Il met aujourd’hui toute sa force dans l’exercice de l’autorité du chef de l’Etat, et en étroite collaboration avec les structures de son parti, le FPI, et prépare les prochaines échéances électorales qui ponctueront en 2005, la gestion de la transition par le gouvernement de réconciliation nationale.

Alassane Dramane Ouattara (ADO) : le grand perdant. Rendu populaire par les questions de nationalité, écarté de l’élection présidentielle par les anciens présidents Henri Konan Bédié et Robert Guéi, ADO a été depuis quelques années au cœur des querelles politico-sociales de son pays. Régulièrement cité comme un des cerveaux du coup de force du 19 septembre 2002, il a toujours clamé son innocence, jouant même les bons offices auprès de Laurent Gbagbo, quelques mois après le déclenchement de la rébellion. Très actif lors des différentes négociations de Marcoussis à Accra, il a récolté l’effet inverse de ce qu’il escomptait. Il entendait se laver de tout soupçon, mais à l’arrivée il a été accusé d’intrigue politique et cherchant à faire diversion. La rébellion chassant sur le même terrain politique que lui a fourni à Laurent Gbagbo des arguments supplémentaires pour l’accuser d’intelligence politique. Comment rebondir politiquement, quand une certaine frange de la rébellion refuse de lui concéder le bénéfice de leurs actions, et comment être présent tout en se distinguant du mouvement né le 19 septembre 2002, et très populaire dans le nord du pays, sont les principales questions auxquelles ADO et ses amis ont du mal à apporter une réponse.

Henri Konan Bédié a presque tout perdu, mais c’est peut-être lui qui emportera finalement la mise. Il est aujourd’hui un grand défenseur de la légalité constitutionnelle. Il a encore en mémoire le coup d’Etat de décembre 1999 qui a renversé son pouvoir et ne désespère pas de retrouver son fauteuil présidentiel si tout le monde respecte la loi. Même s’il se sent victime d’une usurpation de pouvoir, il n’a d’autre alternative aujourd’hui que de s’ériger en chantre de la démocratie républicaine. Après avoir récupéré la direction de son parti, le PDCI, il se fixe comme objectif la mobilisation des militants pour les élections de 2005. Jetant un œil sur sa droite il voit bien la dissidence de son parti devenue RDR et conduite par ADO, et à sa gauche l’ennemi d’hier, le FPI de Laurent Gbagbo qui lui pique ses bases populaires en lui empruntant des thèses nationalistes. Il a engagé des rapprochements subtiles avec les uns et les autres, espérant la grosse fracture dans le nord entre Forces nouvelles (ex-rébellion) et RDR et l’essoufflement du FPI dans le sud et pourquoi pas à l’ouest du pays, région d’où Laurent Gbagbo est originaire, et dont une autre subdivision lui reproche d’avoir «roulé dans la farine» un autre fils du pays, le général Robert Guéi. Cette somme de clivages pourrait faire l’affaire du PDCI d’Henri Konan Bédié si la transition continue d’être chaotique jusqu’aux échéances électorales prévues par l’accord de Marcoussis.

Guillaume Soro, l’éternel étudiant. Ancien leader de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI), il a retrouvé ses classiques d’orateur et de revendicateur. Manipulateur de concepts, il a été propulsé au devant de la scène pour incarner la voix du MPCI. De la théorie il est passé à la pratique, apprenant au passage les subtilités de la politique qui sont des équations à plusieurs variables. Parti de la pouponnière du FPI, qu’est la FESCI, il s’est retrouvé sur des listes RDR, en deuxième position derrière Henriette Diabaté, la secrétaire générale du RDR, pour les législatives de 2000. Cette étape de sa vie politique lui colle à la peau, jetant, pour certains, le doute sur sa dévotion entière au MPCI. L’intéressé bien sûr s’en défend, mais doit maintenant répondre sur un autre terrain, celui des intrigues politiques. Le MPCI dont il est le porte-voix subit de plus en plus les secousses de querelles internes. Les «orthodoxes» du mouvement lui reprochent de devenir «trop politique (faire des concessions à l’adversaire, se complaire dans un rôle de ministre) au détriment des objectifs du départ». Guillaume Soro, étudiant peut-être mais tacticien, profite de la sévérité des relations avec le président de la République pour annoncer avec fracas que «le processus de réconciliation nationale est dans l’impasse». Le leader connu du MPCI a engagé une tournée de remobilisation des troupes, exercice dans lequel il excelle, pour montrer sa disponibilité et son dévouement au service d’une cause, au moment où il est question du retour au pays d’un autre symbole de la revendication des gens du Nord, le sergent-chef Ibrahim Coulibaly, alias IB.



par Didier  Samson

Article publié le 19/09/2003