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Côte d''Ivoire

Les Forces nouvelles en panne de stratégie

A l’issue d’un conclave politico-militaire dans leur fief de Bouaké, les anciens rebelles des Forces nouvelles ont annoncé ce mardi qu'elles «suspendent la participation de leurs ministres» au gouvernement, mais aussi «au programme national de désarmement et au conseil de réunification», qui devait permettre le retour de l’administration dans la moitié nord du pays qu’ils contrôlent toujours. Ils dénoncent en particulier le choix des ministres de la Défense et de la Sécurité intérieure nommés le 14 septembre dernier. Mais derrière cette pomme de discorde se dessine le souci grandissant d’une opposition armée composite qui redoute de perdre les dividendes du 19 septembre 2002 et qui peine à ajuster la trajectoire de ses ailes politique et militaire. Au moment où les Nations unies souhaitent que les opérations de désarmement démarrent le 1er octobre et où la France se prépare à déployer ses troupes au Nord, reste aux anciens rebelles la tentation du statu quo militaire et de la partition.
Le caractère provisoire d’une suspension donne aux Forces nouvelles le temps de la réflexion ou celui de faire machine arrière sans trop de casse. Mais en invitant ses partenaires au gouvernement de réconciliation nationale «à prendre leurs responsabilités», les Forces nouvelles indiquent en creux qu’elles font cavalier seul. Difficile en tout cas de s’inscrire en faux contre le désarmement des anciens belligérants et contre la réunification du pays. Les Forces nouvelles placent donc la balle dans le camp présidentiel en accusant le chef de l’Etat de nier «au Premier ministre et aux ministres du gouvernement de réconciliation nationale les prérogatives de l’accord de Marcoussis… Laurent Gbagbo dévoie et rend caduc ledit accord… ». De la même manière, le communiqué lu par Guillaume Soro stigmatise «un surarmement manifeste» du camp adverse et «une faiblesse évidente de la communauté internationale» pour agiter la menace d’une «reprise de la guerre » qui «n’est plus une utopie». Se faisant l’interprète des habitants des zones sous contrôle Forces nouvelles, qui selon lui, ne croient plus à une solution politique, Guillaume Soro explique que « les Forces nouvelles n’ont d’autre choix que de se replier dans leurs zones où la protection et l’assistance aux populations civiles sont devenues impérieuses».

La commémoration du 19 septembre 2002 à Bouaké semblait avoir un goût présidentiel pour Guillaume Soro, passant en revue des troupes dont le désarmement est repoussé depuis le 1er août dernier, date initialement prévue par le Premier ministre «de consensus», Seydou Diara, pour engager les opérations de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) des anciens belligérants. Mais la «fête» martiale avait aussi un fort relent de crise pour le secrétaire général du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI), Guillaume Soro. C’est sa démission de ministre de la Communication qu’il mettait alors dans la balance politico-militaire. Avec lui trois autres ministres issus des Forces nouvelles ( ils sont neuf au total) et plusieurs chefs militaires du mouvement réunis à Bouaké ont donc décidé de la «ligne de conduite» à suivre, un an après la tentative de coup d’Etat et ses nombreux rebondissements.

Les Forces nouvelles affichent leur défiance vis-à-vis des ministres de la Défense et de la Sécurité intérieure désignés selon eux «unilatéralement» par leur adversaire principal, le président Laurent Gbagbo. Un argument de plus pour renvoyer le DDR aux calendes grecques. Mais cette fois, ils n’ont pas l’agrément des Nations unies. Le secrétaire général, Kofi Annan, s’est justement félicité, le 19 septembre dernier, de la nomination des ministres attendus depuis six mois, encourageant «tout le gouvernement de réconciliation nationale, qui est maintenant complètement formé, à donner toute leur chance aux accords de Marcoussis». A Abidjan, son envoyé spécial qui préside le Comité de suivi des accords, Albert Tévoedjré, précise que «ce que nous désirons vraiment, c’est de commencer le désarmement aussi rapidement que possible, le 1er octobre».

«Non au déploiement des troupes françaises dans le Nord!»

L’Union européenne aussi «se réjouit que le gouvernement de réconciliation nationale soit maintenant au complet» et estime qu’il «est urgent de procéder au cantonnement des forces en présence et au désarmement ainsi qu’au rétablissement de l’administration sur l’ensemble du territoire». Pour sa part, la ministre française de la Défense, Michèle Alliot-Marie avait considéré comme «un pas en avant» les nominations d’un pair ivoirien et d’un ministre de l’Intérieur, décidées à la veille de son arrivée en Côte d’Ivoire pour une importante tournée des popotes françaises. Jusque là, le président Gbagbo servait de repoussoir aux anciens rebelles qui s’étaient prévalus à Paris des deux portefeuilles sécuritaires (au lendemain de la conférence des chefs d’Etat de l’avenue Kleber entérinant la formation du gouvernement chargé d’appliquer le programme de Marcoussis). Désormais, les Forces nouvelles sont en délicatesse avec les options internationales qui visent à «stabiliser la situation» dans la perspective de présidentielles en 2005, comme l’a expliqué Michèle Alliot-Marie.

«La prochaine étape est le déploiement dans le nord du pays», dans les zones sous le contrôle des Forces nouvelles, déclare le commandant de l’opération française Licorne. «Cela peut se faire à partir de la semaine prochaine si les conditions sont réunies. Cela dépendra de l’état d’esprit des uns et des autres», ajoutait-il le 16 septembre. L’enjeu immédiat, c’est la réunification de la Côte d’Ivoire dont plus de la moitié du territoire n’a toujours pas vu le retour de l’administration, en dépit de la fiction d’un gouvernement de réconciliation nationale en place depuis mars dernier. Conjugué avec le désarmement, la fin de la partition pourrait sonner d’une certaine manière l’heure de vérité pour les Forces nouvelles. Difficile de renoncer aux instruments de dissuasion et de pouvoir conservés depuis ce que Laurent Gbagbo appelle «la cessation de la guerre en tant que bataille aux fusils et aux canons opposant deux groupes armés». Mais, ajoute-t-il, «l’arrêt des hostilités ouvertes n’est pas la fin de la guerre. Je proclamerai la fin de la guerre lorsque notre pays aura retrouvé son unité».

Le coup d’Etat ayant échoué le 19 septembre 2002, le tournant de cette année de conflit n’est pas facile à négocier pour ses protagonistes ou ceux qui s’en réclament. D’une manière générale, tous les opposants au régime Gbagbo, sont intéressés au dénouement. Pour les Forces nouvelles, la concurrence est très large, qu’elle vienne de l’extérieur ou de l’intérieur. D’autant que les tenants et les aboutissants du conflit n’ont jamais été clairement identifiés, pas plus que ses commanditaires ou ses chefs de file. L’heure de ramasser la mise venue, il n’est pas inhabituel d’enregistrer des hiatus entre militaires et civils, entre initiateurs et seconds rôles. Difficile aussi pour ceux qui ont agi masqués de venir réclamer ensuite à visage découvert. «Parfois, je vous l’assure, j’ai envie de rendre ma démission du gouvernement, mais quand je pense à nos populations, je ne le fais pas», assurait hier Guillaume Soro. Aujourd’hui, il ouvre une parenthèse.

A la mi-septembre, deux ministres Forces nouvelles, Roger Banchi, ministre des Petites et Moyennes entreprises, et le colonel Michel Gueu, ministre des Sports et des loisirs avaient été «convoqués» à Bouaké pour répondre de leur présence au conseil de gouvernement qui avait précédé les nominations contestées à la Défense et l’Intérieur. Avant cela, de multiples rappel à l’ordre avaient concerné certains cadres militaires impliqués dans des désordres locaux et, au plan politique, les Forces nouvelles restent une hydre à trois têtes, menaçant de se décomposer avant même les échéances électorales. Mais surtout, l’affaire Ibrahim Coulibaly a laissé entrevoir plus crûment les tiraillements qui travaillent le noyau dur des Forces nouvelles. Mis en examen en France le 27 août dernier et accusé d’avoir recruté des mercenaires pour tenter de renverser le président Gbagbo, libéré sous caution le 17 septembre, le sergent-chef «IB» n’apparaît pas officiellement dans l’organigramme des Forces nouvelles. Selon ses avocats, il pourrait changer d’avis et se positionner sur l’échiquier politique ivoirien ce qui lui permettrait de plaider différemment, de voir son dossier judiciaire traité plus rapidement, voire de faire lever son assignation à résidence en France.

IB reconnaît sans peine sa participation au renversement du président Bédié en décembre 1999, mais dénie toute implication le 19 septembre 2002. Et c’est justement pour cela, explique-t-il, qu’il n’a pas «répondu à l’appel de ses frères» après le 19 septembre parce que sinon «on aurait dit que c’est à partir du Burkina que tout a été préparé, alors qu’au fond tout a été préparé sur le territoire ivoirien». Jusqu’à présent, il s’est bien gardé de poursuivre toute polémique publique contre la direction politique des Forces nouvelles accusée de «mollesse» - Guillaume Soro en tête - par certains de leur partisans, au moment de son interpellation en France. Elles ne «m’ont pas lâché», assure «IB». Elles «ont joué leur rôle». Et «IB» se réclame comme «un grand sympathisant» de leur cause pour donner son avis sur le grand débat qui les agite.

«Il y a l’armée française, la force ouest-africaine. Ils ne peuvent pas continuer une guerre au risque de se mettre le monde entier à dos», confiait IB au quotidien français Le Figaro juste avant que la décision de suspendre la participation des ministres Forces nouvelles au gouvernement ne soit rendue publique. En tout cas, le site du MPCI s’ouvre sur un «Non au déploiement des troupes françaises dans le Nord! ». Et s’il s’avère en en effet gênant d’adresser directement une fin de non recevoir au programme de règlement international, visiblement, les Forces nouvelles croient encore utile de gagner du temps. Quant à «IB», il ne désespère pas: «si un jour l’ONU et la France constatent qu’avec Gbagbo on ne peut plus avancer, ils prendront leur responsabilités».



par Monique  Mas

Article publié le 23/09/2003 Dernière mise à jour le 22/09/2003 à 22:00 TU