Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Rwanda

Médias de la haine à perpétuité

Ce mercredi 3 décembre, au terme d’un procès ouvert le 23 octobre 2000, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a sanctionné par la prison à perpétuité l’un des fondateurs de la Radio télévision libre des mille collines (RTLM), Ferdinand Nahimana, ainsi que le patron du brûlot ethniste Kangura, Hassan Ngeze. Le tribunal a établi que ces «médias de la haine» procédaient d’une stratégie politique qui a délibérément conduit au génocide de 1994. Un deuxième responsable de «radio machettes» (la RTLM), idéologue d’un parti extrémiste, Jean-Bosco Barayagwiza écope de 35 ans de prison. Accusés «d’entente en vue de commettre le génocide, de génocide, d’incitation directe et publique à commettre le génocide, de complicité dans le génocide et de crimes contre l’humanité», le juriste Jean-Bosco Barayagwiza et l’historien Ferdinand Nahimana avaient été arrêtés au Cameroun le 26 mars 1996. Hassan Ngeze l’avait été le 18 juillet 1997, au Kenya où les Etats-Unis ont mis à prix la tête du financier de la RTLM, Félicien Kabuga. Un quatrième comparse, italo-belge, Georges Ruggiu purge actuellement une peine de douze années de prison, prononcée en 1999 après ses aveux.
L’argumentaire étoffé du TPIR rappelle la politique «d’incitation à la peur et à la haine» développée par le régime Habyarimana en riposte au déclenchement de la lutte armée du Front patriotique rwandais (FPR), en octobre 1990. Dans les allées d’un pouvoir qui se voulait hutu, l’objectif était déjà d’en finir «avec l’ennemi et ses complices» tutsi. Assassinats politiques et massacres de civils se succèdent alors. L’Office rwandais de l’information (Orinfor) veille à ce que la presse écrite et Radio Rwanda relaient les appels aux meurtres à peine déguisés des discoureurs publics, politiques ou militaires. Dans les couloirs de la maison présidentielle, l’Akazu, certains idéologues, comme Jean-Bosco Barayagwiza, concoctent, en février 1992, un nouveau parti, la Coalition pour la défense de la République (CDR) chargée de promouvoir au grand jour l’expression la plus haineuse d’une pensée unique radicale, celle du pouvoir. D’autres, mais aussi les mêmes, et en particulier Ferdinand Nahimana font le tour des pays amis, la France notamment, pour finaliser le budget de la RTLM à naître (en 1993). Félicien Kabuga, le beau-père du fils aîné du président Habyarimana a pour sa part déjà mis la main à la poche. C’est lui qui présidera le conseil d’administration de «la radio qui tue». A l’instar de nombres de collaborateurs de «radio machettes», journalistes, chanteurs et autres «animateurs» du génocide de 1994, Félicien Kabuga n’a toujours pas été rattrapé par la justice.

«Les tombes ne sont pas tout à fait assez pleines»

Les pères-fondateurs de la radio privée des mille collines espéraient un retour sur investissement politique, rémunéré en cadavre d’inyenzi (cafards) et autres serpents (tutsi), à peine éclos ou déjà mûrs, males ou femelles, comme le suggérait leur antenne pleine de bons mots exhortant le petit peuple au «travail» de nettoyage ethnique et déplorant que «les tombes ne sont pas tout à fait assez pleines». Après l’assassinat de Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994, c’est en effet ouvertement d’extermination qu’il s’agit. Les cibles sont «les Tutsi de l’intérieur, les Hutu mécontents du régime en place, les étrangers mariées aux femmes Tutsi…», l’Italo-Belge Georges Ruggiu, ancien fonctionnaire de la sécurité sociale belge, se distinguant avec ses appels du genre «à chacun son Belge…». Arrêté à Monbasa le 23 juillet 1997, converti dans une communauté de Somaliens et rebaptisé Omar, Ruggiu le «Hutu blanc» sait qu’il ne pourra plus courir le cachet auprès des potentats africains. Il a même peur de ses co-détenus rwandais. Il plaide coupable, offre sa collaboration au tribunal et raconte les tableaux de service de la RTLM affairée à demander l’élimination de personnalités politiques jugées adverses, avec listes noires affichées et noms cochés après chaque assassinat.

Selon le TPIR, le plan média des «génocidaires» a été très articulé, «avant et durant le génocide», de la RTLM grand public jusqu’à Kangura et ses «dix commandements du Hutu» et autre «protocole du sage tutsi» à couper comme mauvaise herbe. «Le fait que ces gens n’ont pas touché de sang avec leurs mains est sans importance», notait le Parquet d’Arusha en octobre 2000 à l’ouverture d’un procès emblématique des pensées et des mots qui tuent. «C’est la RTLM qui guidait l’activité des gens ordinaires pendant le génocide», a rappelé le réquisitoire. Elle a joué un rôle déterminant dans des collines étroitement quadrillées et encadrées, mais aussi psychologiquement préparées à écouter la radio comme parole d’Evangile et à en déchiffrer les messages valant permis puis ordre de tuer. La RTLM aura même été du dernier carré des commanditaires, continuant de diffuser à partir du Congo Kinshasa où elle s’était faufilée via la zone française Turquoise, après la chute de Kigali aux mains du FPR, en juillet 1994.

Le TPIR assène sa plus lourde peine, la prison à perpétuité, à Hassan Ngeze, l’ancien cordonnier tardivement recyclé dans un funeste journalisme de caniveau, et à Ferdinand Nahimana, le brillant docteur en histoire dévoyé dans un morbide chauvinisme ethnique. Ils ont peut être laissé davantage de traces écrites de leur engagement que l’ancien cadre de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), Jean-Bosco Barayagwiza, à qui le tribunal laisse une chance de retrouver la liberté à un âge avancé. Tous trois ont en commun d’avoir voulu gagner les esprits d’une partie des Rwandais pour éliminer l’autre. Ils ont alimenté consciencieusement l’idée du génocide dans laquelle s’est noyée à jamais l’élite intellectuelle à laquelle ils prétendaient appartenir. En tant que catégorie, les médias de la haine (d’où qu’ils soient) viennent de subir leur premier procès, face à la justice universelle et pour un crime imprescriptible.

Ecouter également:

Pauline Simonet, correspondante de RFI à Kigali, au micro de Raphaël Reynes (3 décembre 2003, 4'40'').






par Monique  Mas

Article publié le 03/12/2003