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Ethiopie

Israël prépare la venue des Falashmora

Le chef de la diplomatie israélienne, Sylvan Shalom, est depuis mardi soir en Ethiopie pour une visite officielle de deux jours, la première du genre depuis 1991. Il était ce mercredi dans le nord-ouest éthiopien, dans la province du Gondar où vit la majorité de la communauté des Falasha (exilés en langue amharique), qui pratiquent une religion dérivée du judaïsme, et des Falashmora, considérés par Israël comme des juifs convertis de force au christianisme, au XIXème siècle. En février 2003, l’Etat hébreu avait relancé l’immigration ce ces Ethiopiens, donnant son feu vert au «retour» en Israël de 20 000 d’entre eux qui attendent pour la plupart leur visa d’entrée dans des camps de transit, depuis les précédents mouvements migratoires des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Ce serait un apport démographique bienvenu aux yeux du gouvernement Sharon. Mais l’opinion israélienne est partagée.
Les Falasha se réclament de Beta Israel (la Maison d’Israël) et d’une légende biblique vieille de 3 000 ans qui rapporte une visite à Jérusalem de la reine de Saba (ancien nom de l'Ethiopie) au roi Salomon qui lui aurait donné un fils, fondateur de la dynastie du Lion de Juda, Ménélik 1er. D’autres sources pensent qu’ils ont été convertis au judaïsme plus tard, par des migrants venus d’Arabie saoudite ou d’Egypte. Israël reconnaît en tout cas la judaïté des Falasha depuis 1975 et pendant la guerre civile éthiopienne du milieu des années quatre-vingt, un pont aérien a «rapatrié» environ 10 000 Falasha, en vertu du «droit au retour» qui accorde la nationalité israélienne à quiconque peut se prévaloir de son appartenance à la confession juive. En mai 1991, l’Ethiopie avait consenti à laisser partir 14 000 Falasha de plus et d’autres encore en 1998. Aujourd’hui, quelque 80 000 juifs noirs vivraient en Israël. 3 000 seulement manqueraient encore à l’appel, éparpillés sur le vaste territoire des rois de Juda. Ils sont promis au «retour» avec 17 000 autres Ethiopiens juifs, des Falashmora.

Christianisés au XIXème siècle, les Falashmora ont dû attendre que les autorités religieuses israéliennes lèvent les doutes sur leur judaïté, après leur conversion au christianisme au XIXème siècle. Celle-ci aurait été obtenue de force, disent aujourd’hui certains rabbins pour couper court à la polémique qui se poursuit dans la presse israélienne. Une partie de l’opinion exprime en effet ses craintes vis-à-vis de migrants qui se réclameraient indûment du judaïsme pour fuir le marasme économique de leur pays. «Ils ont vécu une double vie», mais ils sont restés juifs au fond du cœur, plaide le porte-parole du parti Shas, favorable à leur venue. «La plus grande partie des personnes qui attendent de monter en Israël n’ont jamais eu le moindre lien avec le judaïsme et profitent simplement de l’occasion qui se présente pour quitter le pays», rétorquent les chefs spirituels des juifs d’origine éthiopienne, les Keiss. La très difficile intégration des Falasha nourrit la polémique.

"renforcer les relations entre Israël et l'Afrique"

40% des Falasha d’Israël ont moins de vingt ans. 75% ne savent ni lire ni écrire l’hébreu. Ils vivent en majorité dans les marges les plus pauvres de la société israélienne. Quelque 4 000 Falashamora seraient parvenus à se faufiler parmi eux, au cours des migrations des années quatre-vingt-dix. Depuis, Israël avait décidé d’examiner les demandes au cas par cas et 250 nouveaux venus arrivaient chaque mois. En février 2003, le gouvernement avait finalement décidé que ceux qui pourraient prouver une ascendance juive maternelle pourraient venir sans attendre. Addis Abeba s’était opposée à un programme de départ massif, estimant que la situation en Ethiopie ne le justifiait pas, chacun étant libre de quitter le pays par les voies habituelles. En juin dernier, 390 Falashmora avaient porté plainte devant la Cour suprême israélienne contre le gouvernement Sharon, accusé de ne pas tenir ses promesses. A la veille du départ du ministre pour Addis Abeba, des centaines d’entre eux sont allés manifester devant le siège du Likoud pour demander au gouvernement de ramener leurs parents en Israël.

Pour sa part, le Premier ministre, Ariel Sharon, a souvent répété qu’il souhaitait atteindre le million d’immigrés supplémentaires d’ici la fin de la décennie, en réponse à la croissance démographique arabe. Aujourd’hui, la diplomatie israélienne estime que l’immigration éthiopienne est «un élément important dans le renforcement des relations avec l’Afrique en général et l’Ethiopie en particulier». Israël entretient des ambassades dans neuf pays d’Afrique sub-saharienne seulement (Afrique du Sud, Angola, Cameroun, Côte d’Ivoire, Erythrée, Ethiopie, Kénya et Angola). La position géo-stratégique de l’Ethiopie dans la turbulente corne de l’Afrique n’est sûrement pas indifférente à la diplomatie israélienne qui se soucie tout particulièrement des menaces terroristes pouvant émaner de la région. Le 28 novembre 2002, trois touristes israéliens avaient été tués au Kenya dans l’attentat à la voiture piégée contre un hôtel de Mombasa tenu par l’un de leurs compatriotes. En outre, deux roquettes avaient manqué de peu un charter israélien qui décollait avec 261 passagers à bord . Le procès de trois accusés kényans vient de démarrer à Nairobi.

La Somalie impraticable, le Soudan islamiste, l’Erythrée en perte de crédit international, l’Ethiopie apparaît dans la région comme un morceau de choix pour la diplomatie israélienne. Outre son homologue des Affaires étrangères, Silvan Shalom doit aussi rencontrer le Premier ministre Meles Zenawi. Il est entouré d’une délégation d’une vingtaine d’hommes d’affaires et de chefs d’entreprises israéliens déjà implantés en Ethiopie, notamment dans les secteurs de l’agriculture, des télécommunications et de la sécurité, trois domaines dans lesquels Israël est performant en Afrique. Pomme de discorde en Israël, la poignée de Falashmora rencontrée par le chef de la diplomatie israélien pourrait aussi bien faire figure de tête de pont dans une Ethiopie à la souveraineté sourcilleuse.



par Monique  Mas

Article publié le 07/01/2004