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Centrafrique

Le FMI et la Banque mondiale évaluent le régime Bozizé

Le 19 janvier, des experts du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale ont entamé une mission de deux semaines à Bangui pour évaluer la situation économique et financière, mais surtout les orientations politiques du régime Bozizé. Si les résultats de leur enquête sont positifs, les institutions de Bretton Woods envisagent de préparer un programme «post-conflit» qui pourrait démarrer d’ici trois mois et s’accompagner, d’ici la fin de l'année, de mesures réservées aux «pays pauvres très endettés» (PPTE).
Pour le moment, il ne s’agit pas de «commencer des négociations» mais d’envisager des «actions à mettre en œuvre qui dépendront des progrès des autorités centrafricaines, notamment dans les domaines des réformes structurelles, de l'assainissement des finances publiques, de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption» explique Mark Lewis, l’expert du FMI qui précise que cette reprise de contacts directs constitue une évaluation de «la situation économique et financière du pays et surtout des orientations politiques du gouvernement pour résoudre les problèmes du pays». En clair, les bailleurs de fonds ne veulent pas revenir à l’aveuglette dans un pays dont le ministre à l'Economie et aux Finances, Jean-Pierre Lebouder, met lui-même l'accent sur l'insécurité et la corruption pour expliquer le marasme économique.

Déjà, sous le président Ange-Félix Patassé, le 10 octobre 2001, la RCA avait signé avec le FMI un accord intérimaire de six mois maximum dont la bonne application avait été posée comme condition sine qua non à un programme d’aide sur trois ans au titre des facilités accordées par l’instance internationale pour la réduction de la pauvreté et la croissance. Le programme devait être validé le 18 septembre 2002. Il est resté en suspens pour cause de rébellion, le général François Bozizé venant d’engager la lutte armée contre Ange-Félix Patassé. Depuis le renversement de ce dernier, le 15 mars 2003, le FMI a effectivement changé d’interlocuteur. Et aujourd’hui, c’est en quelque sorte un examen de passage que le président Bozize subit devant les institutions de Bretton Woods. Il s’est donc efforcé de mettre les bouchées doubles pour répondre aux exigences internationales.

Le 15 janvier dernier, à la veille de la visite cruciale des bailleurs de fonds, le gouvernement centrafricain promettait une réponse rapide du comité interministériel chargé d'élaborer le projet de budget, mais aussi le calendrier de la série de scrutins qui doivent marquer le retour à l'ordre constitutionnel promis par le chef de l’Etat auto proclamé François Bozizé. Créé en conseil des ministres début janvier et placé sous la tutelle du Premier ministre Célestin Gaombalet, ce comité comprend des représentants de plusieurs ministères parmi lesquels ceux des Finances, de l'Intérieur et de l'Administration du Territoire. Il doit donc présenter non seulement un budget prévisionnel, mais aussi un calendrier pour l'organisation des élections municipales, législatives et présidentielle, prévues entre fin 2004 et avril 2005, deux sujets qui intéressent au premier chef les experts qui ont fait le déplacement de Bangui.

Pour le moment, les étapes préalables aux différents scrutins traînent en longueur. Le dialogue national de réconciliation de septembre-octobre 2003 programmait par exemple la révision du code électoral entre octobre et décembre 2003. Elle n’a pas commencé. En revanche, le recensement de la population nécessaire pour établir les listes électorales a été réalisé entre le 8 et le 22 décembre 2003. Mais aucun résultat n’a encore été rendu public. L’identification des électeurs devrait attendre la réforme du code électoral, annoncée cette fois pour février prochain. Ensuite, le conseil national de la «transition» Bozizé devrait concocter une nouvelle constitution. Au total, il s’avère difficile de juger de la stabilisation politique du pays avant les élections. Mais en même temps, la Centrafrique souffre d’une faillite économique de longue haleine nourrie des turbulences politico-militaires qu’elle a également contribué à alimenter.

La dette centrafricaine était évaluée à quelque 881,4 millions de dollars en l’an 2000. En 2003, l’indice de développement humain du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) classait la Centrafrique parmi les plus pauvres, au cent soixante huitième rang. Ses quelque 3,8 millions d’habitants parviennent néanmoins à se nourrir grâce à une agriculture de subsistance qui, avec l’exploitation forestière, demeure la colonne vertébrale de l’économie centrafricaine. Selon la Banque mondiale, le produit national brut centrafricain (PNB) oscille autour du milliard de dollars par an seulement. Il aurait commencé à remonter un peu avec un taux de croissance de 1,3 % en 2003. L’agriculture contribue pour moitié au PNB. Le bois représente environ 16% des recettes extérieures et le diamant autour de 54% (4% seulement du PNB). Reste que l’origine et la quantité de diamants exportée par Bangui sont douteuses. Et au total, les observateurs notent une extrême disparité dans la répartition des maigres revenus de la Centrafrique.

Paris a devancé l'appel

Fait notable dans l’histoire économique du pays, les rares salariés, les fonctionnaires, ont reçu leurs salaires entre avril et août 2003. Mais ils recommencent à accuser des arriérés, pour novembre et décembre 2003 en particulier. Les caisses sont vides et, depuis son adhésion au FMI (le 10 juillet 1963), de droits de tirages spéciaux en rééchelonnements, voire en remise de dette, la République centrafricaine stagne dans le rouge des débiteurs et la grogne sociale menace. La France a régulièrement mis la main au porte-monnaie pour combler le déficit courant. Avec l’Union européenne et les Nations unies, elle promet d’apporter son aide aux scrutins annoncés tout en exigeant des gages suffisants de bonne gouvernance.

En attendant l’ouverture de la période électorale, l’Onu soutient le programme centrafricain de désarmement, démobilisation et de réinsertion (PNDR) créé en janvier 2002. Le PNDR propose formation et matériel de travail en échange de leurs armes aux très nombreux porteurs de fusils centrafricains. Début janvier, 220 personnes avaient reçu de quoi tenter leur retour à la vie civile dans les secteurs de la mécanique auto, de l'électricité ou de la charpenterie. Entre juin 2002 et mars 2003, la collecte des armes a permis de retirer du circuit (par incinération fin juillet 2003) quelque 210 armes légères, 134 000 munitions, 1 361 grenades, 27 mortiers et 54 roquettes. Le PNDR doit prendre fin ce 31 janvier. Mais des négociations devraient se poursuivre avec les donateurs pour assister les militaires qui souhaiteraient réintégrer la vie civile, mais aussi peut-être les anciens miliciens d’Ange-Félix Patassé. Cela serait sans doute la meilleure réponse au banditisme et à l’insécurité qui alarment le secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan.

Dans son dernier rapport d’évaluation, couvrant la période de juillet à décembre 2003, Kofi Annan se dit «gravement préoccupé par la recrudescence des actes de viols, de braquages et d'atteintes au droit à la vie» commis dans les provinces sud-africaines reculées mais aussi aux portes de Bangui. En conséquence, il appelle la communauté internationale à «répondre gracieusement» aux besoins humanitaires centrafricains et à soutenir le processus électoral, faute de quoi, prophétise-t-il, «la République centrafricaine renouerait avec l'instabilité aux conséquences incalculables pour les Centrafricains et l'ensemble de la sous-région où la paix reste fragile». Kofi Annan, recommande «qu'en plus du déploiement des forces de sécurité et de défense, la force multinationale de la Communauté économique et monétaire des Etats de l'Afrique centrale (Cemac) soit renforcée, tant en équipement qu'en effectif, pour lui permettre d'intervenir à l'intérieur du territoire et participer simultanément à la sécurisation de Bangui». Pour sa part, Paris a devancé l’appel.

Fin décembre dernier, saluant la visite à Bangui de la ministre française de la Défense, Michèle Alliot-Marie, le général Bozizé s’est déclaré «ouvert à la présence permanente de militaires français» en Centrafrique. Depuis son coup d’Etat, un contingent français de 200 hommes est en effet resté sur place, pour sécuriser l’aéroport et soutenir les 350 soldats de la Cemac. Ils sont là «pour apporter un soutien et non pas pour se substituer à des militaires centrafricains», assurait Michèle Alliot-Marie à Bangui, expliquant que «il y a des besoins de sécurisation et de formation que nous assurons» et qui concernent en particulier trois bataillons dans le cadre de la restructuration de l'armée centrafricaine. La ministre française souligne elle aussi que «la stabilisation et le développement de la République centrafricaine dépend largement de la situation sécuritaire». Pour sa part, le président Bozizé compte sur les Français pour être «notre avocat auprès de l'Union européenne et des institutions de Bretton Woods pour...qu'ils nous soutiennent en vue de la remise à niveau des forces de défense et de sécurité» désormais placées sous sa férule. Les troupes franco-africaines resteront au moins jusqu’aux élections pour assister leurs compagnons d’arme centrafricains.

Début janvier, les Etats Unis ont rayé la Centrafrique de leur liste des pays éligibles aux tarifs préférentiels de l'African Growth and Opportunity Act (AGOA). En annonçant cette mesure qui concerne sur le continent un seul autre Etat (l’Erythrée), le président américain, George Bush a expliqué que selon lui Bangui «n'avait pas réalisé les progrès exigés» pour bénéficier de l’AGOA qui libéralise l'accès au marché américain depuis le 18 mars 2000. Bonne dernière sur la liste des exportateurs d’Afrique sub-saharienne, la Centrafrique enregistre sans surprise ce mauvais point délivré par Washington à l’issue de son évaluation 2003 des «Etats qui ont réalisé des progrès continus vers le libre commerce et les politiques économiques qui réduisent la pauvreté et protègent les droits des travailleurs». Nul doute que Bangui soit loin du compte en la matière. Pour l’heure, son avenir économique est suspendu à la décision finale des Grands argentiers de la finance internationale.



par Monique  Mas

Article publié le 21/01/2004