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Centrafrique

Le retour de Kolingba

Le général d’armée André Kolingba et le général de division François Bozize sont des adversaires de longue date. Mais le 15 mars dernier, c’est à son vieil ami, Ange-Félix Patasse, que l’ancien chef d’état-major Bozize a arraché le pouvoir. A l’heure du dialogue national qui devrait se clore sur la définition d’une transition politique d’ici la fin de la semaine, le président déchu Patasse reste interdit de retour pour cause de menaces judiciaires. Le désormais président Bozizé a en revanche usé de toute sa persuasion pour ramener au pays l’ancien chef de l’Etat, hier voué aux gémonies des tentations ethnistes et putschistes, en particulier celle de mai 2001 qui avait précipité en exil André Kolingba et nombre de Yakoma. Bozizé soupçonnait aussi publiquement Kolingba d’avoir été l’instigateur des mutineries à répétition de 1996-97. Il n’a sans doute pas oublié qu’il fut deux ans durant son prisonnier. Mais l’heure est à la réconciliation.
Je suis «ému de rentrer dans mon pays qui m’est si cher», déclarait André Kolingba dimanche soir, sur le tarmac de l’aéroport de Bangui, remerciant le «président Bozize» de l’avoir «fraternellement encouragé à rentrer» de son exil à Kampala (Ouganda) où l’avait conduit une tentative de putsch le 28 mai 2001, lorsque des officiers de la minorité yakoma avaient pris d’assaut à l’arme lourde la résidence présidentielle d’Ange-Félix Patasse. Des renforts libyens, mais aussi des combattants de la rébellion congolaise de Jean-Pierre Bemba avaient mis fin à l’aventure dix jours plus tard, au prix d’un nettoyage sanglant des quartiers sud de Bangui. Une répression brutale avait suivi, chassant du pays des dizaines de milliers de Yakoma. 3000 d’entre eux ont été rapatriés des deux Congo en juin dernier par le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR). Un millier d’autres, civils ou militaires, avaient rejoint la Centrafrique à la faveur de la loi d’amnistie décidée par Bozize le 23 avril dernier. Pour eux, le retour de l’ancien président Kolingba (1981-1993) est un signal.

«Le gros problème, c’est l’argent»

Côté yakoma, le retour de Kolingba marque un apaisement des tensions intercommunautaires et des fractures militaires qui se sont en particulier signalées par les mutineries de 1996-97. Mais au début de l’année, la bataille Bozize-Patasse a fait quelque 40 000 nouveaux réfugiés passés au Sud du Tchad. Autour des cités tchadiennes de Moundou, Gore et Sahr, d’immenses camps mêlent Centrafricains et Tchadiens installés de longue date dans la république voisine, mais surtout une majorité de femmes chargées de famille qui hésitent encore à rentrer en raison de l’insécurité dans les zones frontalières en particulier et le Nord centrafricain en général. Le problème de la sécurité est en effet majeur en Centrafrique où les ennemis d’hier comme les amis d’aujourd’hui ont mis en circulation quantités d’armes légères. Elles sont de plus en plus souvent au service d’un banditisme en plein essor. L’insécurité est d’ailleurs l’une des raisons invoquées par Kolingba pour remettre son retour au lendemain pendant ses longues tractations avec le régime Bozize, ces derniers mois.

Toutes les résidences de l’ancien chef d’Etat avaient été rasées en 2001. Reste une villa proche de la cathédrale Notre Dame de l’Immaculée Conception de Bangui qui appartient à l’ancienne première dame, Mireille Kolingba. Selon son entourage, le président Bozize serait venu en personne la semaine dernière pour faire un tour du propriétaire à l’issue duquel il aurait décidé d’introduire une ligne supplémentaire dans le budget de l’Etat afin d’équiper plus dignement son hôte. Quant à la sécurité rapprochée de Kolingba, la force de paix de la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (Cémac) a été chargée de lui fournir «six sous-officiers centrafricains choisis par ses soins» et d’assurer la garde de sa résidence. Le gîte et le couvert garantis, l’ancien président est appelé à une retraite méritée à 67 ans. A lui aussi, Bozize a accordé l’amnistie en avril dernier pour les événements de mai 2001. Il l’a rétabli dans son grade de général d’armée, le seul pour le moment en Centrafrique en attendant que Bozize en reçoive les galons (comme l’admet la classe politique), pour services rendus dans le renversement de Patasse en mars dernier.

André Kolingba a déjà prévu de se rendre rapidement en Ouganda ou en France, pour des examens médicaux, dit-il. Mais avant de repartir où que ce soit, il devrait délivrer «un message de paix à ses compatriotes dans le cadre du dialogue national». Son statut d’ancien chef d’Etat fait en effet de lui un membre de droit de l’organe législatif consultatif instauré par Bozize, le Conseil national de transition (CNT). «Je l’ai rétabli dans tous ses droits. C’est une preuve de bonne foi et de disponibilité. A lui maintenant de savoir saisir cette main tendue», commentait tout récemment le général Bozize, ajoutant quand même: «Est-il capable d’ouvrir son cœur ? N’a-t-il pas d’arrières pensées ? Vient-il sincèrement contribuer à la reconstruction de la RCA qui a tant souffert ?». Difficile en effet de jauger le geôlier qui avait envoyé en 1989 un commando à Cotonou (Bénin) pour embarquer manu militari dans un avion congolais le remuant opposant d’alors, François Bozize, détenu ensuite pendant deux ans à Bangui sous un Kolingba à la main de fer. Mais en même temps, le nouveau président prêche en quelque sorte pour lui-même.

«On veut reporter la faute de la situation actuelle sur les présidents Kolingba et Patasse, alors que nous étions tous acteurs de cette période», s’agace Bozize, face à un dialogue national qu’il appel à transformer «mentalement» les Centrafricains. A ses yeux, d’ailleurs «le gros problème, c’est l’argent», celui des bailleurs de fonds aux abonnés absents depuis des lustres et que ce Dialogue est largement chargé d’amadouer. Et avec lui, la «réconciliation nationale» dont André Kolingba s’annonce comme l’un des premiers fleurons.



par Monique  Mas

Article publié le 06/10/2003