Côte d''Ivoire
Ivoiriser l’emploi dans le privé
Entré en vigueur le 19 février dernier, au jour de sa signature par les ministres de l’Emploi, de la Fonction publique et de la Prévoyance sociale, Hubert Oulaye ainsi que par celui de l'Economie et des Finances, Paul Bohoun Bouabré, l’arrêté ministériel 1437 marque un pas supplémentaire (par rapport au précédent de 1997) dans la volonté «d’ivoiriser» l’emploi dans le secteur salarié privé. Ce nouvel arrêté renchérit en effet le coût du travail des étrangers. Mais surtout, il exige de leurs employeurs «un plan d'ivoirisation du poste, approuvé par le ministre en charge de l'emploi». Selon les autorités ivoiriennes, l’objectif est d’être plus dissuasif pour les employeurs et de "promouvoir les compétences nationales", pour lutter contre le chômage.
Le ministre Hubert Oulaye «estime à environ 1,5 million» le nombre des demandeurs d’emploi ivoiriens et à quelque 25% le pourcentage de travailleurs étrangers employés dans le secteur salarié privé. Dans ce contexte, il explique que les autorités ivoiriennes ont jugé nécessaire de donner un coup de pouce supplémentaire à «l’ivoirisation des emplois» engagée sous le président Henri Konan Bédié avec l’arrêté 4810 du 21 avril 1997. Ce dernier réglementait en effet le recrutement de travailleurs non Ivoiriens et imposaient un surcoût à leurs employeurs avec des frais de «visa de contrat de travail»(autorisation). A l’usage, l’arrêté se serait avéré insuffisamment dissuasif et facile à contourner, incitant les ministères concernés à lui substituer un nouvel arrêté (1437), le 19 février dernier.
A l’instar de l’arrêté de 1997 qui tentait déjà de «promouvoir les compétences nationales» en prévoyant que «toute vacance de poste de travail doit faire l’objet de publication pendant deux mois auprès des organismes de placement agréés par l’Etat», l’arrêté 1437 limite lui aussi l’embauche d’un étranger à l’impossibilité pour l’employeur de trouver un Ivoirien correspondant au profil du poste proposé. En revanche, ce qui est nouveau, c’est le plan d’ivoirisation d’une durée maximale de deux ans que le nouvel arrêté ministériel exige de l’employeur. Ce plan devra être approuvé par le ministre de l’Emploi et il devient la condition sine qua non posée à la délivrance du «visa de contrat de travail» valable un an, en vigueur depuis 1997. Comme par le passé, ce dernier a un coût, mais c’est surtout dans la question du renouvellement du «visa» que l’arrêté 1437 s’annonce contraignant et dissuasif.
L’arrêté de 1997 fixait un barème précis aux frais de «visa», plus ou moins élevé en fonction de l’origine du postulant - ouest-africaine (ressortissant de la Cedeao), africaine (hors la sous-région) ou non africaine - et de sa place dans la hiérarchie fonctionnelle. C’est ainsi que l’employeur devait par exemple débourser 10 000 francs CFA pour un manœuvre ressortissant de la Cedeao et 750 000 CFA pour un non africain employé à un poste de direction. Le dernier arrêté efface toutes ces distinctions et exige «un mois du salaire brut du travailleur» concerné pour délivrer le permis d’employer. En outre, ce dernier s’inscrit désormais dans un plan d’ivoirisation assorti de pénalités financières.
Un grand point d’interrogation après deux ans
Depuis le 19 février dernier, employer un travailleur étranger, c’est entrer avec lui dans un cycle de deux ans au terme duquel il sera remplacé par un Ivoirien, sauf «si la non ivoirisation du poste n’est pas imputable à l’employeur». Dans ce dernier cas, «le visa peut être accordé exceptionnellement sans frais, dans la limite d’une année, à l’expiration de la deuxième année du contrat». Mais dans tous les cas, dès la deuxième année, l’employeur paiera la moitié ou le double du salaire mensuel brut du travailleur concerné (un mois de salaire brut la première année), selon qu’il manifeste ou non de la bonne volonté à ivoiriser le poste. Le ministère de l’Emploi en jugera.
L’arrêté 1437 précise que les «personnels non ivoiriens rémunérés aux résultats» et les manœuvres agricoles non qualifiés ne sont pas concernés «sauf s’ils sont salariés». En revanche, il inclut comme «également soumis au visa… tout contrat de consultant ou d’expert non ivoirien passé avec une entreprise établie et exerçant ses activités en Côte d’Ivoire». Selon le ministère de l’Emploi, cette catégorie aurait été abondamment utilisée par certains employeurs pour abuser son administration, en jouant notamment sur la durée du contrat de travail. Ces deux précisions apportées, l’arrêté s’applique indifféremment à toutes les corporations, toutes nationalités étrangères confondues, et organise donc son barème de frais, mais aussi de sanctions, sur la base des salaires déclarés. Tout défaut de visa sera en effet sanctionné côté employeur par «une pénalité égale à quatre mois du salaire mensuel brut du travailleur par année d’infraction» qui viendra s’ajouter au «paiement des frais de visa de contrat». Quant à l’employé délictueux, il sera «frappé d’une interdiction de travailler en Côte d’Ivoire».
Le ministre de l’Emploi explique qu’il compte aussi sur cette réglementation contraignante pour dresser des statistiques sur lesquelles fonder des programmes de formation qui répondent aux besoins du marché de l’emploi. Et dans la perspective électorale de l’horizon 2005, l’arrêté 1437 a tout pour plaire aux travailleurs ivoiriens. Aucun parti politique ne l’a du reste contesté le 19 février. Les critiques sont venues essentiellement des employeurs, mais aussi de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa qui rassemble le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo) dont l’article 91, ratifié le 29 janvier 2003, prévoit notamment «l'abolition entre les ressortissants des Etats membres de toute discrimination fondée sur la nationalité, en ce qui concerne la recherche et l'exercice d'un emploi». Pour sa part, l’arrêté de 1997 prévoyait déjà une «discrimination positive» en faveur des nationaux et imposait des «frais d’établissement du formulaire de visa du contrat de travail» sans faire polémique.
Il est clair que la mise en œuvre de l’arrêté 1432 pose un grand point d’interrogation sur l’avenir des travailleurs étrangers en Côte d’Ivoire, au terme des deux années éventuelles du plan d’ivoirisation imposé à leurs employeurs. Certains de ces derniers estiment pouvoir s’en arranger. D’autres s’inquiètent des limites désormais fixées à leurs choix en matière de recrutement. Au Burkina Faso, la presse fustige «un coup de poignard dans le dos de l’intégration régionale». Reste que, depuis de longues années, la Côte d’Ivoire s’interroge sur l’opportunité de rester ou non la terre d’immigration voulue par Félix Houphouët-Boigny, en un temps où ce dernier avait choisi de résoudre son équation économique et politique en attirant les travailleurs de la sous-région. Du régime Bédié à celui du président Gbagbo, les arrêtés de 1997 et de 2004 témoignent de la volonté commune des Ivoiriens à rompre avec ce passé.
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A l’instar de l’arrêté de 1997 qui tentait déjà de «promouvoir les compétences nationales» en prévoyant que «toute vacance de poste de travail doit faire l’objet de publication pendant deux mois auprès des organismes de placement agréés par l’Etat», l’arrêté 1437 limite lui aussi l’embauche d’un étranger à l’impossibilité pour l’employeur de trouver un Ivoirien correspondant au profil du poste proposé. En revanche, ce qui est nouveau, c’est le plan d’ivoirisation d’une durée maximale de deux ans que le nouvel arrêté ministériel exige de l’employeur. Ce plan devra être approuvé par le ministre de l’Emploi et il devient la condition sine qua non posée à la délivrance du «visa de contrat de travail» valable un an, en vigueur depuis 1997. Comme par le passé, ce dernier a un coût, mais c’est surtout dans la question du renouvellement du «visa» que l’arrêté 1437 s’annonce contraignant et dissuasif.
L’arrêté de 1997 fixait un barème précis aux frais de «visa», plus ou moins élevé en fonction de l’origine du postulant - ouest-africaine (ressortissant de la Cedeao), africaine (hors la sous-région) ou non africaine - et de sa place dans la hiérarchie fonctionnelle. C’est ainsi que l’employeur devait par exemple débourser 10 000 francs CFA pour un manœuvre ressortissant de la Cedeao et 750 000 CFA pour un non africain employé à un poste de direction. Le dernier arrêté efface toutes ces distinctions et exige «un mois du salaire brut du travailleur» concerné pour délivrer le permis d’employer. En outre, ce dernier s’inscrit désormais dans un plan d’ivoirisation assorti de pénalités financières.
Un grand point d’interrogation après deux ans
Depuis le 19 février dernier, employer un travailleur étranger, c’est entrer avec lui dans un cycle de deux ans au terme duquel il sera remplacé par un Ivoirien, sauf «si la non ivoirisation du poste n’est pas imputable à l’employeur». Dans ce dernier cas, «le visa peut être accordé exceptionnellement sans frais, dans la limite d’une année, à l’expiration de la deuxième année du contrat». Mais dans tous les cas, dès la deuxième année, l’employeur paiera la moitié ou le double du salaire mensuel brut du travailleur concerné (un mois de salaire brut la première année), selon qu’il manifeste ou non de la bonne volonté à ivoiriser le poste. Le ministère de l’Emploi en jugera.
L’arrêté 1437 précise que les «personnels non ivoiriens rémunérés aux résultats» et les manœuvres agricoles non qualifiés ne sont pas concernés «sauf s’ils sont salariés». En revanche, il inclut comme «également soumis au visa… tout contrat de consultant ou d’expert non ivoirien passé avec une entreprise établie et exerçant ses activités en Côte d’Ivoire». Selon le ministère de l’Emploi, cette catégorie aurait été abondamment utilisée par certains employeurs pour abuser son administration, en jouant notamment sur la durée du contrat de travail. Ces deux précisions apportées, l’arrêté s’applique indifféremment à toutes les corporations, toutes nationalités étrangères confondues, et organise donc son barème de frais, mais aussi de sanctions, sur la base des salaires déclarés. Tout défaut de visa sera en effet sanctionné côté employeur par «une pénalité égale à quatre mois du salaire mensuel brut du travailleur par année d’infraction» qui viendra s’ajouter au «paiement des frais de visa de contrat». Quant à l’employé délictueux, il sera «frappé d’une interdiction de travailler en Côte d’Ivoire».
Le ministre de l’Emploi explique qu’il compte aussi sur cette réglementation contraignante pour dresser des statistiques sur lesquelles fonder des programmes de formation qui répondent aux besoins du marché de l’emploi. Et dans la perspective électorale de l’horizon 2005, l’arrêté 1437 a tout pour plaire aux travailleurs ivoiriens. Aucun parti politique ne l’a du reste contesté le 19 février. Les critiques sont venues essentiellement des employeurs, mais aussi de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa qui rassemble le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo) dont l’article 91, ratifié le 29 janvier 2003, prévoit notamment «l'abolition entre les ressortissants des Etats membres de toute discrimination fondée sur la nationalité, en ce qui concerne la recherche et l'exercice d'un emploi». Pour sa part, l’arrêté de 1997 prévoyait déjà une «discrimination positive» en faveur des nationaux et imposait des «frais d’établissement du formulaire de visa du contrat de travail» sans faire polémique.
Il est clair que la mise en œuvre de l’arrêté 1432 pose un grand point d’interrogation sur l’avenir des travailleurs étrangers en Côte d’Ivoire, au terme des deux années éventuelles du plan d’ivoirisation imposé à leurs employeurs. Certains de ces derniers estiment pouvoir s’en arranger. D’autres s’inquiètent des limites désormais fixées à leurs choix en matière de recrutement. Au Burkina Faso, la presse fustige «un coup de poignard dans le dos de l’intégration régionale». Reste que, depuis de longues années, la Côte d’Ivoire s’interroge sur l’opportunité de rester ou non la terre d’immigration voulue par Félix Houphouët-Boigny, en un temps où ce dernier avait choisi de résoudre son équation économique et politique en attirant les travailleurs de la sous-région. Du régime Bédié à celui du président Gbagbo, les arrêtés de 1997 et de 2004 témoignent de la volonté commune des Ivoiriens à rompre avec ce passé.
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par Monique Mas
Article publié le 10/03/2004