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Culture

Napoléon et la mer, un rêve d’Empire

Au musée de la Marine à Paris, l’exposition Napoléon et la mer, un rêve d’Empire constitue un des points forts des commémorations d’envergure internationale du bicentenaire du sacre de Napoléon qui doivent avoir lieu tant en France qu’en Angleterre ces deux prochaines années. La mer est la grande oubliée de la légende napoléonienne. Pourtant, dès son arrivée au pouvoir, la mer a constitué pour Bonaparte l’une de ses principales préoccupations puisqu’il voulait construire une Marine aux dimensions de l’Europe pour faire face à l’hégémonie anglaise. Réalisée avec l’appui de prestigieuses institutions françaises et étrangères -tel que le musée maritime national de Greenwich en Angleterre- l’exposition retrace la double histoire de la volonté et de la ténacité de Napoléon conquérant, et celle de la contribution des marins au rêve impérial. Depuis un siècle et demi, l’affrontement entre Napoléon et Nelson a suscité un intérêt très vif des deux côtés de la Manche. L’exposition entend faire découvrir à la fois le rôle du politique, et celui de l’homme de guerre face au défi de l’hégémonie anglaise.
Le majestueux canot d’apparat, à bord duquel Napoléon et Marie-Louise ont visité le port d’Anvers -le plus important de l’arsenal de l’Empire en 1810- signe avec éloquence l’ouverture de l’exposition. Descendant un large escalier balisé par des murs d’un rouge impérial, le visiteur se laisse mener au cœur de l’histoire pour revivre, au gré d’un développement scientifique rigoureux et pédagogique les grands voyages de l’Empereur. L'itinéraire suit celui du très beau catalogue de l'exposition édité par les éditions du Seuil, articulé autour de cinq grands chapitres, et auquel le lecteur pourra se référer, à savoir: une vision maritime ?, le Grand Organisateur, la Guerre navale, le Duel contre l’Angleterre, Vaisseaux et navires. Gravures et tableaux historiques -comme autant de fresques à valeur de reportages visuels-, objets, armes, mais aussi maquettes donnent à voir combien la maîtrise des mers a très vite représenté un enjeu de taille pour l’Empereur qui souhaitait faire de la France la plus grande puissance européenne. L’exposition s’ouvre sur le dernier voyage de l’Empereur qui, dans son testament, avait exprimé le vœu «que [ses] cendres reposent sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français qu’[il a] tant aimé…». Des tableaux comme celui par exemple d’Henri - Félix Philippoteaux «Arrivée de la Dorade à Courbevoie» racontent ce retour des cendres. A l’automne 1840, la dépouille mortelle, conformément à ses vœux, est donc rapatriée en France à bord de la Belle Poule, puis est transbordée une première fois sur le vapeur Normandie, avant de remonter lentement la Seine jusqu’à Courbevoie à bord de la Dorade n°3.

Puis, sur fond de tempête et de ressacs violents, un extrait du film d’Abel Gance est projeté sur grand écran, un film dans lequel Abel Gance -qui considérait que «Napoléon est un abrégé du monde»- se sert de la tempête maritime comme métaphore pour illustrer la tempête politique, et exalter la grandeur du conquérant. Des vagues agitées, et des scènes de corps à corps sauvages surgissent sur l’écran tantôt le visage de Napoléon tantôt l’aigle emblématique. Napoléon Bonaparte rêvait d’accéder à la carrière d’officier de marine et devint artilleur et «il s’intéressa plus à la mer qu’on ne le croit» affirment les commissaires de l’exposition, Jean-Marcel Humbert et Bruno Ponsonnet. «Ajaccio, Toulon, Marseille, Gênes, Venise: enfant, jeune lieutenant ou général vainqueur, Bonaparte est d’abord un homme de la Méditerranée». Rappelant que, stratège et législateur de génie, Napoléon Ier fut aussi le souverain qui a la plus navigué et qui s’est le plus intéressé au développement de la Marine en imaginant des projets grandioses d’arsenaux, une salle est consacrée à l’époque de conquête: «Je n’ai déjà plus de gloire, cette petite Europe n’en fournit pas assez. Il faut aller en Orient»… et 1798, c’est le «Départ de l’armée d’Orient pour l’Egypte», à bord du très impressionnant Océan, un vaisseau qui comptait pas moins de 118 canons et 900 hommes d’équipage, et qui conduisait une flotte de 300 navires. Par ailleurs une carte animée retrace la chasse poursuite avec les Anglais. La maquette de la Muiron évoque le retour à Toulon: c’est en effet la frégate qui le ramena au port en 1799 et sur laquelle il a préparé le 18 Brumaire. Considérant qu’il ne peut y avoir de puissance française sans puissance maritime, qu’elle soit militaire, économique ou coloniale, Napoléon a porté un intérêt tout particulier aux techniques et aux sciences pouvant contribuer au développement de la construction navale et au développement des arsenaux. C’est ainsi que l’ingénieur américain Robert Fulton propose en 1797 un projet de «bateau poisson» destiné à détruire la flotte anglaise. Reconstitué en coupe et grandeur réelle, le prototype du sous-marin présenté au public avait rencontré «un intérêt poli auprès de l’amirauté et de Bonaparte», mais le niveau technique de l’époque n’avait pas permis toutefois d’aller plus avant.

Une obsession de l’Empereur fut son duel avec l’Angleterre; si, selon les commissaires, «l’exposition n’est pas une réhabilitation de l’œuvre navale», l’approche du bicentenaire de la bataille de Trafalgar que les Anglais doivent célébrer l’an prochain pourrait toutefois le laisser imaginer. Beaux joueurs, les Britanniques ont toutefois laissé sortir du musée de Greenwich un de leurs fleurons, le très beau tableau Destruction de l’Orient lors de la bataille du Nil, de Georges Arnald, qui retrace la bataille d’Aboukir; on y voit une lumière extraordinaire qui troue des nuées sombres liées aux explosions: le bateau amiral sur lequel Bonaparte avait fait le trajet venait d’exploser en pleine nuit, une explosion si magistrale qu’elle se fit entrendre jusqu’à Alexandrie et les combats s’arrêtèrent près d’un quart d’heure.

«Soyons maîtres de la Manche»

L’empereur déclarait: «Soyons maîtres de la Manche pendant six heures et nous serons les maîtres du monde»… c’est que, est-il rappelé par les organisateurs de l’exposition «les enjeux sont multiples: économiques avec le contrôle du commerce des colonies, idéologiques, scientifiques, sans parler des conquêtes territoriales». C’est ainsi que Napoléon mobilise toutes les énergies entre 1803 et 1805 pour organiser le Camp de Boulogne, réunissant 2 000 bateaux et 150 000 hommes pour tenter d’envahir l’Angleterre. En 1805, l’amiral Nelson inflige la terrible et magistrale défaite de Trafalgar qui marquera la mémoire collective! Pour l’heure, des caricatures anglaises ont quitté momentanément le musée maritime national de Greenwich, sur lesquelles on peut voir par exemple Napoléon à bord d’une frêle embarcation ridicule qui n’est autre qu’un bicorne. Les tableaux sont là pour rappeler que «si côté français la peinture officielle exalte quelques beaux exemples d’héroïsme et de combativité, le bilan reste lourd».

«Loin de se résumer aux deux combats d’escadre qu’ont été Aboukir et Trafalgar, la guerre navale est pour l’essentiel une histoire faite d’abordages et de combats singuliers entre frégates, de poursuites d’île en île dans les Antilles, en Méditerranée ou dans l’océan Indien. Une histoire qui s’inscrit aussi dans la plus longue des guerres maritimes connues par la France entre 1793 et 1814». Si les résultats ne sont pas à la hauteur des espoirs ou des illusions de Napoléon, les deux défaites n’arrêteront pas pour autant son désir de doter la France et l’Europe d’une Marine pensée comme un «instrument de cette politique globale». La Marine, deuxième budget de l’Etat après la guerre, restera une priorité comme en témoigne sa correspondance. Et Napoléon continuera d’entreprendre de gigantesques travaux pour développer les arsenaux qui forceront l’admiration des Anglais, notamment en 1814 quand ils découvriront l’arsenal d’Anvers.

La vie quotidienne à bord des navires est évoquée, mais on peut regretter qu’elle ne l’ait pas été davantage. Il est toutefois rappelé qu’elle y était difficile pour l’équipage et que «guerre» rimait aussi avec «prisonniers»: de beaux objets comme des tabatières exécutées au moment des escales ou par des prisonniers sont là comme témoin des vies rudes où, entassés et mal nourris, les équipages devaient défier l’ennui. S’en suit une salle où sont exposées des armes diverses, allant des petites armes à feu comme l’espingole à silex, joli nom et bel objet en bois aux cuivres rutilants, aux grands fusils et au canon –copie de l’original conservé au musée de l’Armée. On mesure aussi ce que l’économie et industrie pouvaient devoir à la guerre et à l’artillerie : c’est grandeur nature qu’est reconstruit un entrepont de batterie de canon de 4 tonnes! Enfin, aux côtés de plans et de cartes remarquables pour les amateurs, un film pédagogique convertit les toiles de maîtres en batailles rangées en 3D afin de donner une vue d’ensemble des attaques et des stratégies de batailles navales. Il rappelle aussi comment, après avoir réorganisé la Marine et l’administration, et avoir formé des hommes appelés à devenir les futurs cadres de la Marine du XIXème siècle, Napoléon aura laissé en héritage une Marine à son apogée.

Napoléon abdique le 4 avril 1814, et après avoir «échappé de son dérisoire royaume de l’île d’Elbe», il débarque à Golfe Juan à la tête d’une petite troupe pour tenter de reconquérir son Empire. Dix mois plus tard, c’est la défaite de Waterloo, et dans son «désarroi» il embarque sur le Bellerophon qui appareille pour Plymouth puis, transféré à bord du Northumberland, apprend sa déportation à Sainte Hélène. Découvrant sa prison maritime, Napoléon s’adressant à Las Cases -écrivain qui accompagna Napoléon dans son exil et resta à ses côtés pendant dix-huit mois- lui aurait demandé «Que pourrons-nous faire dans ce lieu perdu ?» et Las Cases de lui répondre «Sire, nous vivrons du passé».

Napoléon et la mer, un rêve d’Empire
Musée national de la Marine jusqu’au 23 août 2004
www.musee-marine.fr



par Dominique  Raizon

Article publié le 17/03/2004