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Culture

Kangxi, le Fils du Ciel, revient à la Cour du Roi Soleil

Alors que la France et la Chine célèbrent, en 2004, quarante années de liens diplomatiques, l’exposition au Château de Versailles témoigne d’un intérêt réciproque de deux «despotes éclairés», Kangxi et Louis XIV, en quête de magnificence. Plus de trois cent cinquante objets sont exposés dont certains ont quitté la Chine pour la première fois; ils retracent les fastes de la cour impériale, et le portrait du monarque éclairé soucieux d’intégrer les découvertes de l'Occident à la culture de son pays.

Pour faire rentrer la Cité pourpre à Versailles, il fallait étudier la mise en scène en harmonisant volumes et ambiances ; l’option a été prise pour des cloisons en soie peintes censées suggérer «par leur irisations l’esthétique orientale, et créer un calme visuel propice à la bonne lecture des œuvres de la Cité interdite». Ces 3 000 mètres de soieries rouges, noires et vert bronze servent d’écrin à 358 pièces exceptionnelles, provenant pour certaines des collections conservées en France au musée du Louvre, à la Bibliothèque nationale, au musée Guimet, au musée de l’Armée, au château de Compiègne, et au musée d’Auxerre, tandis que les autres ont été prêtées par le gouvernement de la République populaire de Chine

Kangxi, Fils du Ciel –titre d’usage donné aux empereurs chinois- a régné de 1661 à 1722 en Chine et fut le deuxième de la dynastie mandchoue des Qing. Louis XIV dans un courrier daté de 1688 s’adresse à l’empereur Kangxi dans ces termes : «Très haut, très excellent, très puissant, très magnanime et invincible prince, notre très cher et bon ami». Le ton est donné: le Roi-Soleil, s’il ne souffrait point d’égal en Europe, était réellement fasciné par ce si lointain contemporain, souverain à la fois puissant et tolérant, stratège lettré et savant.

Tous deux bâtisseurs et vivant en un point diamétralement opposé du globe, ce sont bien les deux monarques Louis XIV et Kangxi qui ouvrirent le bal des relations officielles entre les deux pays. L’Asie était déjà au goût du jour, et lorsque le père Bouvet, un jésuite, publie un portrait de Kangxi -traduit en anglais, en hollandais, en italien, et en latin par Leibniz- le portrait du «despote éclairé» oriental, lettré et savant, force alors l’admiration de Montesquieu à Diderot.


Kangxi avait à cœur de se faire représenter en lettré pour gommer ses origines mandchoues, autrement dit étrangères et barbares. Pour souligner cette image d’un homme à la croisée de la Chine confucéenne et de la culture occidentale, l’ouverture de l’exposition commence avec les sciences, et se termine en bouquet final sur la présentation d’une armure d’apparat en tissu lamé d’or, velours et satin jaune (couleur impériale), brodée de motifs de dragons, un raffinement à faire pâlir d’envie le Roi-Soleil!


A l’entrée, une sphère armillaire, réplique des fameux instruments astronomiques en bronze fondus à la demande de Kangxi en 1675 sous la direction de Ferdinand Verbiest (directeur du bureau impérial pour l’astronomie) et une série d’astrolabes, d’instruments de mesure, de mappemondes, de recueils de principes mathématiques de l’ancien observatoire de Pékin évoquent à la fois la fascination de l’Europe du XVIIème siècle pour l’Empire céleste, et la volonté de ce dernier de mieux comprendre le monde à la lumière des découvertes occidentales. Kangxi, jeune Empereur, avait d’ailleurs reçu lui-même des leçons d’astronomie d’un père jésuite, Adam Shall von Bell. Mais ces objets sont aussi un écho à l’encouragement audacieux de Louis XIV pour ces échanges scientifiques entre la France et la Chine: il avait pris l’initiative d’envoyer une mission scientifique en Chine dès 1684 pour éveiller l’attention des élites lettrées chinoises.

Tel qu’imaginé par la vision confucéenne du pouvoir, Kangxi devait se présenter comme un modèle respectueux des traditions et structures de la société chinoise dans laquelle une place importante devait être consacrée à l’étude. La salle consacrée à la calligraphie rappelle l’intérêt de l’Empereur pour la poésie, et évoque l’esthète accompli : le portrait de l’Empereur Kangxi écrivant en costume non officiel privilégie l’image de l’intellectuel auquel on doit la rédaction d’un dictionnaire portant son nom le Kangxi zidian. L’Académie de peinture étant par ailleurs extrêmement importante (car intimement liée à l’écriture elle constitue une des bases de la culture chinoise), un long bandeau de soie peinte de 38 mètres de long dévidée entre deux rouleaux aux manches d’ivoire retrace avec une fraîcheur incroyable des couleurs des scènes de vie (échoppes, altercations, jeux, commerce) de toute une foule de Pékinois, un peu à la manière d’un reportage en bande dessinée.

Influence esthétique de l’Empire céleste
La fascination de l’Occident pour l’Asie est tout aussi réelle. Le raffinement de l’Asie séduit la Cour tout autant que les riches marchands; si l’ère Kangsi s’intéressa aux techniques d’émaux cloisonnés en vogue en Occident, de nouveaux décors exotiques fleurissent sur les soieries, les céramiques et les porcelaines en France. Toute une salle est consacrée aux chinoiseries sur lesquelles abondent des motifs extrême-orientaux : des dragons lovés, des nuages, des motifs floraux de magnolias et de camélias, des grues, des tigres, des phénix ou bien encore des paysages aux décors de rochers et de pins. L’art de la tapisserie témoigne du même engouement, et pour répondre aux attentes de riches particuliers, Colbert favorise en 1664 la création d’une manufacture à Beauvais: la visite de la fastueuse ambassade du Siam (actuelle Thaïlande) reçue en 1686 à Versailles et les récits exotiques des voyageurs inspirèrent les cartonniers, et la tenture de l‘«Histoire de l’Empereur de Chine», en laine et soie, témoigne d’une France sous le charme de l’Asie.

En point d’orgue à l’exposition, la dernière salle expose les armures et les vêtements de cour somptueux témoignant d’une époque où les ateliers de tissage de soieries étaient extrêmement productifs, excellant dans le travail d’étoffes subtilement brodées de motifs de pavots, de dragons, de nuages ou de champignons de longévité. A la fois évoquant protocole et majesté, l’exposition se termine sur fond de velours, de satins jaunes ou bleu nuit, de lamés d’or, de panache de fourrure de martre comme autant de gages de raffinement et de préciosité mais aussi de puissance d’un homme de pouvoir qui accède au trône alors qu’il n’a pas dix ans, et qui meurt en 1722 en laissant un empire vaste et prospère.

www.chateauversailles.fr

A écouter :
La cité interdite au Château de Versailles
La chronique culture de Stéphane Lagarde (02/02/2004).





par Dominique  Raizon

Article publié le 04/02/2004