Culture
Les caricaturistes à l’Assemblée nationale
Accueillis au Palais Bourbon où siègent les députés français, six humoristes ont croqué les parlementaires et exposent leurs travaux jusqu’au 7 février.
La caricature, du latin caricare, «charger», n’a pas pour dessein d’enlaidir ou de déformer l’aspect d’une personne, mais plutôt d’en accentuer les caractéristiques. Cette forme d’art connut un âge d’or sous l’Empire et le Restauration alors que les changements politiques incessants attisaient considérablement la satire des artistes, lesquels ridiculisèrent à souhait les chefs d’Etat de l’époque. Les maîtres du XIXe siècle Grandville, Daumier, Traviès ne sont pas morts, ils ont des héritiers pour qui la pratique de la discipline est devenue quasi indispensable dans une société où la démocratie est en bonne santé.Pour Plantu, caricaturiste éditorialiste au Monde, l'exercice est un «baromètre de la démocratie». Entretien.
La caricature, du latin caricare, «charger», n’a pas pour dessein d’enlaidir ou de déformer l’aspect d’une personne, mais plutôt d’en accentuer les caractéristiques. Cette forme d’art connut un âge d’or sous l’Empire et le Restauration alors que les changements politiques incessants attisaient considérablement la satire des artistes, lesquels ridiculisèrent à souhait les chefs d’Etat de l’époque. Les maîtres du XIXe siècle Grandville, Daumier, Traviès ne sont pas morts, ils ont des héritiers pour qui la pratique de la discipline est devenue quasi indispensable dans une société où la démocratie est en bonne santé.Pour Plantu, caricaturiste éditorialiste au Monde, l'exercice est un «baromètre de la démocratie». Entretien.
RFI: Qu’entendez-vous exactement par «baromètre de la démocratie» ?
Plantu: Quand un journaliste part à l’étranger, je trouve que la première chose dont il devrait s’enquérir serait de savoir quel type de dessin est publié dans le/les journaux du pays, car grâce à ça on voit tout de suite l’éventail des possibilités de liberté d’expression et de droit à la critique dans le dit-pays. Prochainement je dois aller en Egypte où mes dessins doivent être exposés; je croyais qu’il n’était pas envisageable de produire des dessins qui bousculent les religieux musulmans du Caire -et d’ailleurs- dans un pays où sévit l’intégrisme; or quand on arrive là-bas on découvre des dessins contre le port du voile beaucoup plus violents et virulents que ceux que, nous, nous pouvons nous permettre. Et ça j’aime bien, j’aime bien connaître ce baromètre, mesurer avec surprise une liberté de ton et d’expression là où l’on s’attend à voir des horreurs muselées, alors que les dessinateurs parviennent à raconter beaucoup de choses. C’est un baromètre aussi, à l’inverse, dans des pays où l’on s’imaginerait que tout peut être dit, et où en fait on s’aperçoit qu’on ne dit rien car l’autocensure est très forte, comme par exemple au Japon où les tabous sont tels que les dessinateurs s’interdisent de faire beaucoup de choses.
RFI: L’espace du dessin pourrait-il être comparé à celui du carnaval, un espace bien circonscrit dans le périmètre duquel on peut s’autoriser une remise en question de l’ordre établi ?
P: Non, il y a une différence, la parenthèse du carnaval invite les gens à pouvoir se défouler pendant un, deux ou trois jours. Et après, c’est fini. Les dessinateurs ont une petite lucarne dans le journal, et ils peuvent effectivement se défouler. Mais moi, je suis un militant du «pas-n’importe-quoi!», c’est-à-dire que je ne reprends pas l’idée véhiculée par Charlie hebdo du style «on peut tout se permettre, sur tout, et avec n’importe qui». Moi je pense qu’on ne peut pas tout se permettre, ce qui n’empêche pas un côté défouloir mais la fonction du dessin de presse en 2004 depuis une vingtaine d’années est de plus en plus liée à celle du journaliste: tous les dessinateurs, et j’en suis un militant, ont une carte de presse. Je souhaite que le dessin soit lu et apprécié comme une sorte de passage vers l’essentiel, et l’essentiel pour moi c’est l’écrit; j’estime que si le dessin est réussi, il aura donné envie d’alimenter le débat. C’est une info, et c’est un regard en plus.
RFI: Alors quand la caricature politique rentre à l’Assemblée peut–on en déduire que notre démocratie se porte bien ?
P: Moi je trouve sympathique l’invitation faite aux dessinateurs de pouvoir exposer leurs travaux à l’Assemblée nationale, mais je suis allé dans bien des pays où les dessinateurs officiels sont invités par des organes officiels à exposer leurs dessins, et dans ce cas-là ils servent d’alibi. A vous de démontrer que je ne suis pas tombé dans un alibi mais… euh moi je me souviens d’être allé en Iran, et bien entendu il n’était pas question, en Iran, de se moquer des ayatollahs; les dessinateurs se sont moqués des religieux Taliban, mais pas question de se moquer des chiites.
RFI: Oui mais là, Plantu, vous repartez à l’étranger; moi je vous demande chez nous ?
P: Bien sûr mais j’essaie de vous dire honnêtement que pour un Iranien, se dire «tiens, il expose à l’Assemblée nationale» cela ne représentera pas nécessairement un vecteur total de liberté d’expression. Les dessinateurs exposés à Cuba invités par les autorités officielles de la Havane n’ont pas pour autant le droit de dessiner Fidel Castro. J’estime qu’en France la liberté d’expression est en meilleure forme qu’en Iran, en Algérie ou ailleurs, mais je reste toujours très vigilant.
RFI: En faisant entrer la caricature politique au sein du Palais Bourbon, on pourrait imaginer qu’il y ait un côté récupération de l’aspect subversif que peut avoir le dessin ?
P: Jean-Louis Debré a raison d’essayer, et à vous de vérifier dans les mois et les années qui passent si nous montrons de l’allégeance auprès du président de l’Assemblée nationale. A chaque fois, personnellement, que l’on pense me récupérer je suis la grosse déception des hommes politiques. Moi je pense qu’il a l’intelligence de se dire «je leur donne de la surface et une belle tribune au sein de l’Assemblée, ils font ce qu’ils veulent», et Jean-Louis Debré, qui connaît mon parcours, sait très bien qu’il n’a rien à attendre ni de moi ni de la part des autres dessinateurs pour faire sa pub! On profite très sympathiquement et lâchement de cette tribune!
«La politique, un métier magnifique, mais des discours souvent fumeux!»
RFI: Vous cultivez l’art de l’irrévérence? étiez-vous un enfant insolent, Plantu ?
P: Pas du tout! Pas du tout! D’ailleurs c’est la raison pour laquelle j’évite de trop voir les hommes politiques. Quand je les vois, j’ai plutôt un côté très convivial. Pour commencer, la politique est un métier que j’admire beaucoup, et si je voyais trop les hommes politiques, je sais que je serais trop séduit. Je ne cherche pas à créer trop de liens: je serais trop sous le charme.
RFI: En exergue à l’exposition vous dites «Aujourd’hui les hommes politiques fument moins, mais les discours sont encore quelquefois un peu fumeux. N’empêche, hommes politiques, et surtout femmes politiques (quel avenir !) c’est un métier magnifique, passionnant et tellement humain. Ah! Un conseil: de temps en temps, au lieu de parler, faites des dessins. Vous verrez, vous serez plus clairs!».
P: Je trouve qu’on n’utilise pas assez les images, pas assez les images photos, pas assez les images dessins. Quand on a quelque chose à raconter même sur la sécurité sociale, même sur les caisses de retraite, ou la pauvreté à Paris, je trouve qu’un homme politique devrait avoir le courage de se mettre devant une photo représentant des gens qui vivent sous un pont à un feu rouge sur le pont d’Austerlitz, et s’engager devant l’image «moi vous me donnez le pouvoir, vous votez pour moi, et je vous assure que ça, on ne le verra plus, désormais tout le monde aura un endroit décent pour vivre», là, l’image parlerait, le discours aurait plus d’impact. On a compris que les hommes politiques utilisent la langue de bois; or les gens sont des consommateurs d’image, et jse trouve qu’on n’utilise pas ses qualités pédagogiques. Moi j’ai besoin de quelque chose qui me parle, et un dessin ou une image me parlent souvent davantage qu’un discours alambiqué.
«La caricature politique entre à l’Assemblée», jusqu’au 7 février 2004.
Entrée libre, 33, quai d’Orsay, 75 007 Paris.
www.assemblee-nat.fr
Plantu: Quand un journaliste part à l’étranger, je trouve que la première chose dont il devrait s’enquérir serait de savoir quel type de dessin est publié dans le/les journaux du pays, car grâce à ça on voit tout de suite l’éventail des possibilités de liberté d’expression et de droit à la critique dans le dit-pays. Prochainement je dois aller en Egypte où mes dessins doivent être exposés; je croyais qu’il n’était pas envisageable de produire des dessins qui bousculent les religieux musulmans du Caire -et d’ailleurs- dans un pays où sévit l’intégrisme; or quand on arrive là-bas on découvre des dessins contre le port du voile beaucoup plus violents et virulents que ceux que, nous, nous pouvons nous permettre. Et ça j’aime bien, j’aime bien connaître ce baromètre, mesurer avec surprise une liberté de ton et d’expression là où l’on s’attend à voir des horreurs muselées, alors que les dessinateurs parviennent à raconter beaucoup de choses. C’est un baromètre aussi, à l’inverse, dans des pays où l’on s’imaginerait que tout peut être dit, et où en fait on s’aperçoit qu’on ne dit rien car l’autocensure est très forte, comme par exemple au Japon où les tabous sont tels que les dessinateurs s’interdisent de faire beaucoup de choses.
RFI: L’espace du dessin pourrait-il être comparé à celui du carnaval, un espace bien circonscrit dans le périmètre duquel on peut s’autoriser une remise en question de l’ordre établi ?
P: Non, il y a une différence, la parenthèse du carnaval invite les gens à pouvoir se défouler pendant un, deux ou trois jours. Et après, c’est fini. Les dessinateurs ont une petite lucarne dans le journal, et ils peuvent effectivement se défouler. Mais moi, je suis un militant du «pas-n’importe-quoi!», c’est-à-dire que je ne reprends pas l’idée véhiculée par Charlie hebdo du style «on peut tout se permettre, sur tout, et avec n’importe qui». Moi je pense qu’on ne peut pas tout se permettre, ce qui n’empêche pas un côté défouloir mais la fonction du dessin de presse en 2004 depuis une vingtaine d’années est de plus en plus liée à celle du journaliste: tous les dessinateurs, et j’en suis un militant, ont une carte de presse. Je souhaite que le dessin soit lu et apprécié comme une sorte de passage vers l’essentiel, et l’essentiel pour moi c’est l’écrit; j’estime que si le dessin est réussi, il aura donné envie d’alimenter le débat. C’est une info, et c’est un regard en plus.
RFI: Alors quand la caricature politique rentre à l’Assemblée peut–on en déduire que notre démocratie se porte bien ?
P: Moi je trouve sympathique l’invitation faite aux dessinateurs de pouvoir exposer leurs travaux à l’Assemblée nationale, mais je suis allé dans bien des pays où les dessinateurs officiels sont invités par des organes officiels à exposer leurs dessins, et dans ce cas-là ils servent d’alibi. A vous de démontrer que je ne suis pas tombé dans un alibi mais… euh moi je me souviens d’être allé en Iran, et bien entendu il n’était pas question, en Iran, de se moquer des ayatollahs; les dessinateurs se sont moqués des religieux Taliban, mais pas question de se moquer des chiites.
RFI: Oui mais là, Plantu, vous repartez à l’étranger; moi je vous demande chez nous ?
P: Bien sûr mais j’essaie de vous dire honnêtement que pour un Iranien, se dire «tiens, il expose à l’Assemblée nationale» cela ne représentera pas nécessairement un vecteur total de liberté d’expression. Les dessinateurs exposés à Cuba invités par les autorités officielles de la Havane n’ont pas pour autant le droit de dessiner Fidel Castro. J’estime qu’en France la liberté d’expression est en meilleure forme qu’en Iran, en Algérie ou ailleurs, mais je reste toujours très vigilant.
RFI: En faisant entrer la caricature politique au sein du Palais Bourbon, on pourrait imaginer qu’il y ait un côté récupération de l’aspect subversif que peut avoir le dessin ?
P: Jean-Louis Debré a raison d’essayer, et à vous de vérifier dans les mois et les années qui passent si nous montrons de l’allégeance auprès du président de l’Assemblée nationale. A chaque fois, personnellement, que l’on pense me récupérer je suis la grosse déception des hommes politiques. Moi je pense qu’il a l’intelligence de se dire «je leur donne de la surface et une belle tribune au sein de l’Assemblée, ils font ce qu’ils veulent», et Jean-Louis Debré, qui connaît mon parcours, sait très bien qu’il n’a rien à attendre ni de moi ni de la part des autres dessinateurs pour faire sa pub! On profite très sympathiquement et lâchement de cette tribune!
«La politique, un métier magnifique, mais des discours souvent fumeux!»
RFI: Vous cultivez l’art de l’irrévérence? étiez-vous un enfant insolent, Plantu ?
P: Pas du tout! Pas du tout! D’ailleurs c’est la raison pour laquelle j’évite de trop voir les hommes politiques. Quand je les vois, j’ai plutôt un côté très convivial. Pour commencer, la politique est un métier que j’admire beaucoup, et si je voyais trop les hommes politiques, je sais que je serais trop séduit. Je ne cherche pas à créer trop de liens: je serais trop sous le charme.
RFI: En exergue à l’exposition vous dites «Aujourd’hui les hommes politiques fument moins, mais les discours sont encore quelquefois un peu fumeux. N’empêche, hommes politiques, et surtout femmes politiques (quel avenir !) c’est un métier magnifique, passionnant et tellement humain. Ah! Un conseil: de temps en temps, au lieu de parler, faites des dessins. Vous verrez, vous serez plus clairs!».
P: Je trouve qu’on n’utilise pas assez les images, pas assez les images photos, pas assez les images dessins. Quand on a quelque chose à raconter même sur la sécurité sociale, même sur les caisses de retraite, ou la pauvreté à Paris, je trouve qu’un homme politique devrait avoir le courage de se mettre devant une photo représentant des gens qui vivent sous un pont à un feu rouge sur le pont d’Austerlitz, et s’engager devant l’image «moi vous me donnez le pouvoir, vous votez pour moi, et je vous assure que ça, on ne le verra plus, désormais tout le monde aura un endroit décent pour vivre», là, l’image parlerait, le discours aurait plus d’impact. On a compris que les hommes politiques utilisent la langue de bois; or les gens sont des consommateurs d’image, et jse trouve qu’on n’utilise pas ses qualités pédagogiques. Moi j’ai besoin de quelque chose qui me parle, et un dessin ou une image me parlent souvent davantage qu’un discours alambiqué.
«La caricature politique entre à l’Assemblée», jusqu’au 7 février 2004.
Entrée libre, 33, quai d’Orsay, 75 007 Paris.
www.assemblee-nat.fr
par Dominique Raizon
Article publié le 27/01/2004